Citations sur François Le Petit (41)
François IV ne s'inquiétait pas outre mesure de la percée du Front populiste ; il se concentrait sur ses chiffres et ses courbes qui ne s'infléchissaient point, et il pensait qu'à force de les regarder elles finiraient par bouger dans le bon sens, selon une recette d’auto-persuasion qui ressemblait aux incantations magiques des marabouts.
S'il avait eu deux sous d'énergie quand les Messieurs de la Cour des Comptes vinrent lui présenter en choeur l'état calamiteux du Trésor, avec le trou de six cents millions et les quatre cent mille emplois industriels évanouis sous le règne de Nicolas-le-Prodigue, il eût dû réagir avec véhémence mais il tergiversa.
N'aimant personne en vrai, connu pour tel, on ne se pouvait défendre de le rechercher. Les gens qui avaient le plus lieu de le redouter, tant qu'il régentait le Parti Social, il les enchaînait par des paroles. Il disait oui à tout le monde. Jamais la moindre humeur en aucun temps ; enjoué, gai, paraissant avec le sel le plus fin, invulnérable aux surprises et aux contretemps, libre dans les moments les plus inquiétants et les plus contraints, il avait passé sa vie dans des bagatelles qui charmaient l'auditoire.
Mademoiselle Julie avait dix ans de moins que la marquise de Pompatweet, laquelle, quand elle s'enamoura de François-le-Flambeur, avait dix ans de moins que l'archiduchesse des Charentes. Ainsi allait la vie chez les hommes vieillissants qui sentaient la rouille manger leurs os ; ils avaient l'impression rassurante de rajeunir au contact de compagnes plus jeunes que la précédente, et tant pis si la différence des âges se creusait chaque fois davantage. Mon prestige, pensaient-ils, contribue à ce qu'on oublie mes cheveux teints.
— Au fond, le Prince n’y croit pas, disait l’un.
— Il n’a pas l’air bien convaincu, disait l’autre.
— Les lois sociales, il s’en méfie. Elles ne lui serviront pas pour être réélu.
— Mais c’est une vraie loi de gauche !
— Justement. Il n’aime pas trop ça.
— Enfin ! c’est la trente et unième promesse de son programme.
— Dis-moi qui est élu sur un programme.
— Quand même, l’affaire est engagée !
Nicolas-le-Rusé s'accoutuma fort vite à cette pratique anglo-saxonne des conférences chics et chères qu'inaugura en son temps le pasteur Kissinger et fit des émules chez les chefs d'État retraités.
C'était oublier que sous le règne de Nicolas 1er un français fortuné s'installait en Suisse chaque jour. Peugeot, Taittinger, Bich, Mulliez avaient mis leur fortune au frais. M. Bruneau, qui inventa le Cercle des Fiscalistes, reconnaissait qu'après les milliardaires, les millionnaires avaient suivi ce mouvement éperdu. Bref, il n'y eut point d'exode constaté sous François IV, tout au plus un grondement, des imprécations, mais ceux qui devaient fuir pour protéger leurs lingots l'avaient déjà fait.
Comme François IV restait incapable de dire ce qu’il faisait, le peuple conclut qu’il ne faisait rien. À force de raisonner, de parler, de dicter, de reprendre, de corriger, de raturer, de changer, de refondre, tout s’évaporait et il ne demeurait quoi que ce fût, sinon quelques images tirant sur le grotesque qui surnageaient dans les mémoires.
Au début il y eut une clameur qui couvrit les grandes orgues à la messe de onze heures : la duchesse Taubira, Garde des Sceaux, proposait d'ouvrir le mariage aux couples homosexuels. Le mariage ! Un sacrement ! Ces gens de foi qui croyaient dur que la Vierge Marie avait donné vie à un divin poupon sans avoir été troussée,ne fût-ce par le Saint-Esprit, l'archange Gabriel ou son mari, faillirent s'étrangler ; alors ils s'organisèrent pour fortifier leur bastion et processionner.
M. de la Corrèze en fit son credo; il se souvenait d’une autre recommandation: «Méfie-toi des hommes de petite taille: ils sont butés et arrogants.» Il y devinait le portrait de son prédécesseur, Nicolas Ier, et décida à son inverse de présenter une image normale.