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Critique de HundredDreams


« C'est la montagne qui est tombée. »

Derborence, ce mot résonne mélodieusement, rappelant les mots magnificence, silence, virulence. A la fois poétique, il est aussi un lieu maudit, fui par les hommes.

« Derborence, le mot chante doux ; il vous chante doux et un peu triste dans la tête. Il commence assez dur et marqué, puis hésite et retombe, pendant qu'on se le chante encore, Derborence, et finit à vide, comme s'il voulait signifier par là la ruine, l'isolement, l'oubli. »

Suite à plusieurs petits séismes qui fragilisent la paroi du massif alpin des Diablerets, un énorme éboulement survient en 1714.
Près de deux cents ans plus tard, en 1934, Charles-Ferdinand Ramuz s'inspire de ce fait divers et met en scène ce drame, racontant comment un pan entier de la montagne s'en est détaché et a dévalé sur l'alpage de Derborence, ensevelissant hommes et bêtes.

Avec fatalité, l'auteur aborde les répercussions de cette catastrophe sur les villages voisins et en particulier sur un jeune couple.

*
C'est le mois de juin.
Comme chaque été, les hommes mènent, pour quelques mois, leurs bêtes au pâturage de Derborence que surplombent les Diablerets.
Parmi eux, Antoine Pont et Séraphin Carrupt.
Antoine Séraphin, jeune marié, a des étoiles plein les yeux : il s'ennuie de Thérèse, son amour, restée au village.

Un soir, un bruit pareil au tonnerre emplit le silence et résonne jusqu'au fond de la vallée.

« … ça grondait sourdement sous eux pendant ce temps ; et, comme ils avaient le ventre appliqué contre la montagne, ils entendaient avec le ventre les bruits de la montagne qui montaient à travers leur corps jusqu'à leur entendement. »

La montagne est tombée, emportant tout sur son passage, ensevelissant les arbres, détournant le torrent, s'abattant sur les petites cabanes en pierre sèche des bergers, enterrant les hommes et leur troupeau de vaches et de chèvres.
Parmi eux, Antoine Pont et Séraphin Carrupt, engloutis sous des tonnes de pierre.

Puis, peu à peu, le calme et le silence revient, pesant, douloureux, angoissant, cruel, glacial.

« A présent, il n'y avait plus rien partout que l'immobilité et la tranquillité de la mort, la seule chose qui fût encore en mouvement étant là-haut dans le couloir une sorte de masse boueuse, une espèce de rivière faite de sable, de terre et d'eau, qui continuait à descendre… »

*
J'ai été totalement séduite par l'écriture de l'auteur, visuelle, poétique.
Dans un style oral direct et très moderne, on se sent en totale symbiose avec la montagne et cette petite communauté rurale.
L'auteur transmet son amour de la montagne et le lecteur ressent cet attrait, cette fascination pour ce lieu à la beauté majestueuse. La montagne prend vie et devient même le personnage central du récit. Beauté froide, elle se referme impitoyablement sur ceux qu'elle réussit à piéger.

"Et, au fin sommet de la paroi, la tranche du glacier ruisselait de lumière comme un rayon de miel; mais derrière ceux qui venaient et à mesure qu'ils venaient, tout le fond de la combe entrait définitivement dans la nuit et dans le silence, dans le froid et dans la mort."

Face à ce drame, femmes et enfants doivent trouver la force d'avancer, de se reconstruire.

« L'arbre qu'on fend par le milieu se cicatrise. le cerisier qui est blessé élabore une gomme blanche dont il recouvre sa blessure. »

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Et puis, le récit se fait fantastique. Les croyances et les superstitions s'invitent, les hommes craignant que le diable soit responsable de cette tragédie et qu'il continue ses méfaits. En peu de mots, l'auteur sait nous raconter les peurs, l'abattement, la consternation, la peine de ces gens.

La fin est de toute beauté, .

*
Pour finir, « Derborence » est un superbe roman d'ambiance. L'écriture de l'auteur dépeint avec justesse et beauté, le drame de Derborence, mais sans jamais verser dans le pathos. Au contraire, la tragédie est vécue avec fatalité, la montagne souveraine.

Magnifique conteur, Charles-Ferdinand Ramuz est un auteur incontournable et captivant que j'ai découvert grâce à Berni_29. Je vous encourage à aller lire ses critiques, elles vous donneront, comme moi, l'envie de découvrir cet auteur.
Un grand merci à toi, Bernard, j'ai adoré cette histoire et je ne tarderai pas à lire ses autres romans.
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