« On voit briller des feux sur la montagne, très haut, près des rochers. Il y en a un d'abord, puis deux, puis trois. L'un grandit, l'autre diminue : ils vacillent un petit peu ; c'est les pâtres d'Arpitettaz qui les allument, quand ils passent la nuit dehors. »
Ce qu'il y a de grand dans "
Le Village dans la montagne" c'est qu'il est matriciel. Dès 1908, il comprend au fond TOUT le Ramuz qui suivra... jusqu'à la disparition physique de l'inventeur du "roman-poème" en 1947.
Certes est déjà là "LE" Ramuz somptueux et aride des hauteurs décharnées du Valais : celui de "
Jean-Luc Persécuté" [1908] (troisième roman publié de l'auteur, qui paraîtra simultanément à cette évocation-charnière), "
Le Règne de l'esprit malin" [1917], "
La grande Peur dans la montagne" [1926], "
Farinet ou la fausse monnaie" [1932], "
Derborence" [1934], "
Si le soleil ne revenait pas" [1937]... mais pas que.
Le "Lac" aux pieds de la Lausanne natale y est aussi... "Le Lac aux Demoiselles" de même... Les ombres d'
Aline et Julien ["
Aline", 1905] tout comme celles du trio Emile Magnenat, Hélène et Frieda ["
Les Circonstances de la vie", 1907] viennent de s'évanouir... La déchéance alcoolisée de Jean-Luc ["
Jean-Luc persécuté"] sera l'envers et l'enfer du décor valaisan... Un "Besoin de grandeur" ressurgit... L'existentiel, le pur existentiel... L'instinct de survie... Coincés là-haut entre l'interminable saison froide, le dégel tardif et l'exubérance, l'aventure des estives... Quatre saisons impitoyables mais nobles, à leur manière — auxquelles il faut bien survivre...
Un almanach valaisan inspiré de plusieurs séjours de son auteur à Lens (district de Sierre, à l'est de Sion), chez un ami peintre...
Les quatorze pages de la Préface de
Christian MORZEWSKI "
Le village dans la montagne ou l'almanach valaisan de
C.F. Ramuz" resituent avec bonheur et passion ce drôle d' "ouvrage de commande" en son contexte si personnel , évoquant l'univers de
Jean Giono, ces recueils d'existences du "folkloriste"
Arnold van Gennep mais aussi les témoignages de l'ami
Maurice Zermatten et de l'illustrateur Edmond Bille..
Le récit "tient tout seul"... Il n'est pas sûr qu'il ait, au fond, réellement eu "besoin" des 170 estampes, dessins et croquis pleins de force d'Edmond BILLE accompagnant initialement (tout comme les romans de
Jules VERNE sont à nos yeux désormais indissociables des illustrateurs
Léon BENETT,
Edouard RIOU et quelques autres), "illustrations" ramenant involontairement, malgré leur expressivité, à l'anecdotique ces quatre saisons du Village auquel sont enracinés ces femmes et ces hommes...
Mais voyons ici l'organisation du récit :
— CHAPITRE I : Scènes du dégel autour du village ; tache brune s'agrandissant au coeur de la neige, malgré la fonte retardée par de
nouvelles chutes de neige — L'annonce du printemps...
— CHAPITRE II : Scènes de nomadisme : lent retour vers le village de "ceux de la vigne" qui étaient descendus sur les coteaux pour Carême...
— CHAPITRE III : le village, ses maisons, ses dépendances... L'eau, les herbages, les jardins, les bêtes, les hommes...
— CHAPITRE IV : Convois de fumier de Jean-Luc jusqu'aux jardins, allées et venues avec le mulet. la nuit de la naissance du petit d'innocente...
— CHAPITRE V : Réfection vitale des chemins. le choix des Sept de l'inalpe. Montée à l'alpage. Combat des vachettes sur le battoir...
— CHAPITRE VI : le bisse ou le Chemin de l'eau, du lac d'altitude jusqu'au village...
— CHAPITRE VII : « L'hôtel a sa vie, le village a la sienne. » Jours d'été pour l'hôtel-aux-touristes et le village. Baptiste et Augustin au service de la Poste. le parc aux chèvres. Complicités et noces de Justin Calloz et Josette Antille...
— CHAPITRE VIII : Fenaisons et fenils. Messes des dimanches et processions estivales...
— CHAPITRE IX : Simon, Joseph et les autres : exercices estivaux pour pompiers volontaires. Scènes tragicomiques.
— CHAPITRE X : La vie rude des Sept — "Ceux des chalets"... L'inalpage comme "action de mener le troupeau dans les alpages et séjour estival des troupeaux là-haut"...
— CHAPITRE XI : Temps de moisson, arrivée des brouillards, fermeture de l'hôtel...
— CHAPITRE XII : Saison d'automne jusqu'à Toussaint...
— CHAPITRE XIII : La petite chapelle, les emprunts, visites du Monsieur de la ville qui a fait bâtir l'hôtel...
— CHAPITRE XIV : Petits travaux d'hiver. Veillée à la chambre de Sidonie qui, trop pauvre, finira vieille fille..
— CHAPITRE XV : Une mauvaise blessure ou le funeste destin d'Ambroise...
Présence de la mort et saison des Morts. Etapes de la fabrication des cercueils...
— CHAPITRE XVI : La "ouivre", les fées et autres esprits malins : pas si risibles légendes. Un lent retour au dégel... Au milieu des neiges salies, le "petit oeil" d'une gentiane s'ouvre sur le proche Renouveau printanier...
Un récit passionnant qui s'avère également une métaphore de notre destinée "ici-bas", loin des sommets neigeux...
La place capitale de cet ouvrage en ce moment de bascule de l'Oeuvre ramuzienne est remise en valeur dans la passionnante et monumentale Thèse de
Jean-Louis PIERRE, "
Identités de CF. Ramuz" (Artois Presses Université, 340 pages, 2011)...
"
Joie dans le Ciel", donc, de découvrir une peinture aussi magnifique, cet ultime témoignage d'un début de siècle et d'une fin de civilisation pastorale, une "oeuvre peinte avec les mots" que vous n'oublierez sans doute jamais !
« Ils sont ce que la montagne les a faits, parce qu'il est difficile d'y vivre, avec ces pentes où l'on s'accroche, avec un tout petit été au milieu de la longue année et comme un désert autour du village. On va sur les chemins longtemps sans rencontrer personne. »