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Critique de ATOS


ATOS
30 novembre 2015
Faut il apprendre pour s'émanciper ou faut il être émancipé pour apprendre ?…
Instruction, éducation, apprentissage… enseignement.
Chacun reste planté sur ses frontières et voilà le continent perdu…
Il ne s'agit pas là d'un traité exhaustif sur l'enseignement ou sur l'éducation .
Jacques Rancière nous expose dans ce livre cinq leçons sur l'émancipation intellectuelle.
Et cela nous concerne tous . Enfants et adultes. Enseignants et enseignés.
L' émancipation intellectuelle de tous concerne l'ensemble de la société.
Ce que la société, ou les sociétés d'humains qui composent notre ensemble, se fixe comme projet. Quel qualité, quel rôle, donne-t-elle à chacun de ses membres ? Quelle place ?

Faut il servir ou se rendre maître ? Voilà sans doute la base de toute la réflexion.

Émancipation.
Chacun reconnaîtra la portée de ce mot. Émanciper. Donner sa liberté. Rendre libre.
Quel est donc l'intérêt pour une société de rendre ses citoyens libres d'apprendre sans jougs, sans interdits, sans tabous, sans barrières, sans limites. Sans considération de son niveau social, de son âge, de son sexe, de ses origines ?
Quel intérêt pour une société de rendre ses membres « capables de », « maîtres de »  ?
De les rendre acteurs, actifs, créatifs, moteurs, mobiles, autonomes.
Bref quel est l'intérêt pour une société d'enseigner la base principale de toute liberté : celle de penser.
De penser par et de soi même, apprendre par et de soi même, et transmettre ce qu'on l'on connaît et cela sans forcément le monnayer.
Car comme le demandait le poète Leny Escudero «  Où en serrions nous où si celui qui avait inventé la roue avait gardé cette idée pour lui même ? »..
Ou pourrait se demander alors on en serait où si celui qui avait découvert un systeme d'exploitation informatique avait gardé ça pour lui ? Et bien on en serait où nous en sommes. C'est à dire face à un monopole, à une dictature économique qui a crée son empire et qui a engrangé des milliards de dollars. Et qui ne pouvant plus assumer « la charge » de sa bonne fortune redistribue avec «  bonté » ces milliards qui depuis le début aurait du être partagés entre tous...
Oui, où en serions nous si l'état français, qui était encore à cette époque un peu éclairé, n'avait pas décidé d'acquérir le brevet de la photographie et de le verser immédiatement dans le domaine public. On en serait où ? Aurions nous été capable d'aller au si vite aussi loin dans le développement de l'imagerie médicale ? Mais c'était le 19 e siècle me direz vous...
Le partage des connaissances, la mise en commun des expériences, voilà la théorie du monde libre.
Se libérer de la confiscation de la connaissance . Voilà l'enjeu.
De nos jours il ne s'agit plus seulement du savoir lire et du savoir écrire ( quoique là aussi les fissures soient apparentes) mais de la maîtrise de la connaissance technologique.
Car le monde est devenu technologique. L'exploration scientifique est technologique. L'agronomie est devenue technologique. L'exploration spatiale terrestre et maritime sont technologiques. La finance est technologique. Tout est devenu technologique..
Celui qui maîtrise la technologie et ses outils est le maître du monde et se rend maître de ses richesses et maître du devenir de la population.
L'émancipation intellectuelle n'est pas une énième méthode d'enseignement. Elle structure et propose une vision qui donnera son futur à notre humanité.
Alors la question est quels enseignements dispensent-on aujourd'hui dans nos écoles ?
Est il émancipateur ? Peut il l'être ? La question des reformes se situe le plus souvent pour ne pas dire tout le temps sur les temps de travail, sur les programmes enseignés.
Le quoi et le quand, jamais véritablement le comment et surtout jamais le pourquoi.
Comment définit on ces temps , ces programmes ? Par rapport au besoin. Au besoin d'un ordre économique. L'enfant va à l'école pour y apprendre un métier. Elle le forme pré-forme à un métier, elle n'a pas vocation à le former en tant qu'individu. Pas le temps, pas les moyens ? Surtout pas les compétences. Ce n'est pas la faute de l'école, pas la faute de l'enseignant, pas la faute de l'enseigné. C'est juste une vision de société. Les premières lettres de son projet.

L'enseignement dispensé doit correspondre à la réalité du marché.
Il existe bel et bien un formatage de l'enseignement par rapport à l'économie. L'humain dans l'école devient un élément économique. L'enseignant un partenaire. Les parents des financiers. Car force est de constater que l' école aujourd'hui n'est plus qu'un projet économique.

Alors définissons un autre projet. Faire de l'enseigné non pas un être passif que l'on soumet à certaines disciplines, et qui apprendra à se soumettre de lui même, mais le convaincre qu''il a en lui toutes les capacités afin d'apprendre par lui même, apprendre ce qu'il juge lui être utile, pertinent, mais surtout qui lui donnera le goût d'apprendre indéfiniment et cela toute sa vie et d'être capable de lui même d'enseigner et cela même si il ignore le sujet qu'il doit enseigner…
Projet étonnant ? Mais là se situe peut être le clé de certains de nos problèmes.
Utopie ? Je prends le risque. La vieille méthode sur moi n'a pas fonctionné. J'ai signe pour la nouvelle méthode. Et je sais quelle fonctionne.
Cela n'est ni une idée, ni une théorie nouvelle. Jacques Rancière développe , explique la méthode de l'enseignement universel que Joseph Jacotot a établi en 1818.
L'esprit des Lumières n'était pas loin ... la raison et l'expérience voilà ce qui nourrit la connaissance.
La connaissance devenant un outil accessible à tous et non plus un mobile pour certains, la liberté et l'égalité de l'enseignement doit conduire l'ensemble de la société à progresser vers un mieux vivre.
Nous avons perdu les Lumières. Voilà sans doute la source de l'échec de nos enseignements.

Sous les régimes soviétiques, l'état déterminait chaque année ses quotas : tant de plombier, tant instituteurs, tant de mécaniciens, tant de biologistes. L'état faisait sont marché.
Que faisons nous d'autre aujourd'hui ? Et avec égale cruauté. Car aujourd'hui les emplois ne sont plus là. Mais il faut coûte que coûte faire avancer la grande machine.
La diversité des emplois diminue. La spécialisation des emplois diminue. Commerce, management, gestion, informatique, marketing, finance . La théorie des Grands ensembles.
Voilà le choix. Les filières techniques se développent effectivement. Mais en accord avec les besoins économiques du pays. Aujourd'hui hostellerie, là "ascenseurisme", ici "logistique des transports".. . Et pour les autres ? Advienne ce qu'il pourra. Et cela mène à quoi ? A une société d'abrutissement.
« Avance, tais toi, et avance, va avance, toi tu ne sais pas, mais nous on sait, va avance, tais toi, marche, allez avance, circule, dégage, t'es pas tout seul, avance, t'inquiète pas nous on sait, tu ne peux pas savoir …. »
une société soumise au principe qu'on lui impose. Un principe qui n'enseigne pas aux citoyens d'être capables de développer une idée. Leur propre idée. Comment leur reprocher ?
Formater dès le jardin d'enfance, élever par des parents qui eux mêmes ont subi la grande machine, confiés à des enseignants qui eux mêmes sont broyés par la grande machine...
L'enseignant ne doit pas avoir d'idée, l'élève encore moins. Projet ? Si il est inscrit au programme ok. Sinon...attention circulaire, on va vous rappeler votre métier ! ..Avancez !
Donc voilà, l'ensemble s'abrutit…Nous sommes abrutis. Tous abrutis. Abrutis d'accepter.
Quelle innovation peut dans un système pareil avoir la chance de voir le jour ? Certains y arrivent. Mais si nous n'avions pas perdu les Lumières nous aurions pu gagner tellement de bienfaits.
Gaston Bachelard, dans la formation de l'esprit scientifique, estimait que celui « qui est enseigné doit enseigner. » C'est annoncer un évènement : par mon enseignement je te rend égal à moi même !
Égalité des intelligences. Voilà une condition impérative au bon développement de chacun . Avoir la conscience de l'intelligence de chacun. Rapport d'égalité, mais également rapport de confiance et de respect.
« ils ne peuvent pas comprendre » . Voilà une phrase humiliante. Qui humilie constamment celui qui n'a pas accès à la connaissance. Et pourquoi n'y a t il pas d'accès ? Alors que l'école est publique, alors que les bibliothèque sont gratuites, alors que nous sommes dans le siècle le plus informé qui soit et parait il le mieux renseigné..., comment alors expliquer que certains pensent que ce qui est écrit ici , ce qui se dit là, ce qui se joue là, ce qui est peint là, ce qui est filmer ici, comment expliquer que certains soient restés dans cette position humiliante d'exclusion. «  je ne sais pas. » «  Je ne comprends pas ». « Je ne peux pas » qui débouche invariablement sur un «  je ne veux pas ».

Triste projet de société. Vision réductrice d'humanité.
Et l'horizon s'obscurcit. Car comment ne pas être écoeuré par exemple, lorsqu'un ministre de l'économie d'une société dite développée répond sur un plateau de télévision à une adolescente qui lui demande si elle peut espérer un jour devenir ministre comme lui : « Statistiquement, non. ». Si on ne peut pas reprocher à ce ministre l'honnêteté de sa lecture comptable , on peut tout de même s'interroger quant à la vision qu'il a de notre vivre ensemble. Que doit répondre la République à cette enfant ? Que oui elle le peut. Mais que le chemin qui lui conviendra d'emprunter pour y arriver dépendra d'elle et plus largement de sa génération. Que ce qui est aujourd'hui, ne sera pas demain. Parce qu'ils ont eux, la nouvelle génération, toute l'intelligence de bâtir, d'inventer, un monde qui leur conviendra.

Un adulte répond non à une enfant. « Non tu ne pourras pas. Parce que je te demande de te projeter dans un monde ancien, et parce que je ne t'ai pas appris, pas autoriser à imaginer demain. Je ne te rend pas autonome parce que je te juge illégitime ». Voilà en fait ce que contient ce «  statistiquement, non. » en 2015.
Voilà l'échec. la répétition de l'échec. le bug du 21e siècle.
Alors quittons le cuir tétanisé de l'éducation nationale et le champ réducteur des gouvernances.
Jacotot avait développé cette théorie lorsqu'il s' était aperçu qu'il avait pu transmettre un enseignement à d'autres et cela sans lui même maîtriser cet enseignement .
Sa base de travail ? un livre . Partant du principe que le savoir est dans le livre. Tout est dans le livre. le livre n'a pas besoin d'explicateur. le livre contient. le livre , c'est tous les livres. Partant du principe que tous les hommes ont la même intelligence , nous sommes tous capables de déchiffrer le livre. Il s'agit donc de traduction, de décryptage. L'apprentissage est naturel à l'homme. Dès sa naissance l'humain est un organisme qui ne cesse d'apprendre, à marcher, à parler, etc..Il traduit , il analyse, synthétise, il apprend, il parle, communique, partage et il sourit.
Même potentiel d'apprentissage, même intelligence.
Alors ?
L'enseignement est rationaliste écrivait Bachelard.
Explicatif, et toujours à priori. le maître explique ce qu'il y a dans le livre. L'élève retient et doit comprendre ce que comprend le maître. Dans la limite de ce que le maître doit ou choisit de lui apprendre, dans la limite de ce qu'il sait lui même, ou dans la limite de ce qu'on lui a autorisé à savoir.
«  la progression raisonnée du savoir est une mutilation indéfiniment reproduite ». «  le génie du système est de transformer la perte en profit, le petit monsieur avance, on lui a appris, donc il a appris, donc il peut oublier »...Car que reste il de toutes ces heures d'enseignement ? Concrètement, il conviendrait d'y réfléchir. Morceaux d'histoire, morceaux de textes, notions, morcellement des acquis, éparpillement du savoir, saupoudrage hâtif des connaissances, et frustration perpétuels des esprits, car ... « Sache le... je ne peux répondre maintenant à ta question car tu verras ça ...l'année prochaine ! »
L'apprentissage est empirique, toujours selon Bachelard parce qu'il est expérimental. D'où confrontation perpétuelle entre apprentissage et enseignement..
Alors ?
Alors il faut que l'ère des « explicateurs » se termine et que commence le temps des maîtres ignorants. Car le savoir est dans Les livres, et ce que contient les livres c'est à l'élève de l'apprendre, de le comparer, de le soupeser, d'en débattre. D'être capable de faire usage de la transversalité des connaissances, de ses apprentissages pour valider ou non une connaissance. Se nourrir ou pas selon sa volonté mais ne pas se laisser gaver ou se laisser affamer .
Avoir la volonté et faire obéir son intelligence.
Voilà ce qu'un bon maître doit exiger de son élève.
On comprend un peu en quoi cette vision peut être critiquée dans la société qui est notre depuis des siècles.
Le maître ignorant, qu'est ce que c'est ? C'est un guide, une répétiteur, un coach si on veut admettre ce terme. Celui qui questionne , et se questionne et non celui qui interroge. Celui qui vérifie. Son but ? Veiller à la concentration de l'élève, veiller à ce que l'élève n'erre pas, ne s'égare pas, ne se disperse pas dans les méandres de sa pensée. L'inviter, le solliciter, l'éveiller, le mener sans le diriger. L'accompagner et non le dresser.
Celui qui a été émancipé, qui a reçu cet enseignement, peut lui même devenir le maître ignorant d'un autre. Partage de l'enseignement, des enseignements dans le cadre d'un accès libre du savoir.
Car il ne suffit pas d'avoir accès au savoir pour avoir accès à la connaissance et en faire un usage.
Il faut être émancipé. Émancipé face au système éducatif actuel, émanciper de l'ordre économique, politique et spirituel.
Évidement cette théorie alarme les pouvoirs en place. Elle ébranle la hiérarchie pédagogique de l'ensemble. Elle fait sauter les barrières de la connaissance. Elle remet en cause la croissance future des devenirs économiques. « Je peux demain inventer quelque chose dont le système économique actuel n'a pas besoin et qui pourtant demain changera positivement la vie de millions d'être humain. ».Mon besoin n'obéit plus à l'intérêt d'un autre. D'un autre qui s'accroche à la vieille méthode parce qu'il sait qu'elle est la pouponnière de sa matière première qui utilisera pour satisfaire ses besoins personnels.
Quel intérêt une société aurait elle à tenter cette aventure, à expérimenter cette méthode ?
Que risque t elle a devenir maître ignorant ?
«  Les choses étaient donc claires : ce n'était pas une méthode pour instruire le peuple, c'était un bienfait à annoncer aux pauvres : ils pouvaient tout ce que peut un homme. Il suffisait de l'annoncer ».
«  On ne dira pas que 'on a acquis la science, que l'on connaît la vérité ou que l'on est devenu un génie. Mais on saura qu'on peut dans l'ordre intellectuel, tout ce que peut un homme ».
Une méthode, un projet.
«  Toute la pratique de l'enseignement universel se résume dans la question : Q'en penses-tu ? « 
Lisez le livre, faites vous votre propre idée, comparez, soupesez, racontez, opposez ou validez, tout est dans le livre, et ça on ne pas l'ignorer.

Astrid Shriqui Garain
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