Citations sur Le spectateur émancipé (12)
L’émancipation, elle, commence quand on remet en question l’opposition entre regarder et agir, quand on comprend que les évidences qui structurent ainsi les rapports du dire, du voir et du faire appartiennent elles-mêmes à la structure de la domination et de la sujétion.
Les images de l’art ne fournissent pas des armes pour les combats. Elles contribuent à dessiner des configurations nouvelles du visible, du dicible et du pensable, et, par là même, un paysage nouveau du possible. Mais elles le font à condition de ne pas anticiper leur sens ni leur effet.
Le système de l’Information ne fonctionne pas par l’excès des images, il fonctionne en sélectionnant les êtres parlants et raisonnants, capables de « décrypter » le flot de l’information qui concerne les multitudes anonymes. La politique propre à ces images consiste à nous enseigner que n’importe qui n’est pas capable de voir et de parler. C’est cette leçon que confirment très platement ceux qui prétendent critiquer le déferlement télévisuel des images.
L'émancipation intellectuelle est la vérification de l'égalité des intelligences. Celle-ci ne signifie pas l'égale valeur de toutes les manifestations de l'intelligence mais l'égalité à soi de l'intelligence dans toutes ses manifestations. Il n'y a pas deux sortes d'intelligence séparées par un gouffre.
La mélancolie se nourrit de sa propre impuissance. Il lui suffit de pouvoir la convertir en impuissance généralisée et de se réserver la position de l'esprit lucide qui jette un regard désenchanté sur un monde où l'interprétation critique du système est devenue un élément du système lui-même.
Un art critique est un art qui sait que son effet politique passe par la distance esthétique. Il sait que cet effet ne peut pas être garanti, qu’il comporte toujours une part d’indécidable.
Les formes de l'expérience esthétique et les modes de la fiction créent ainsi un paysage inédit du visible, des formes nouvelles d'individualités et de connexions, des rythmes différents d'appréhension du donné, des échelles nouvelles.
On ne passe pas de la vision d'un spectacle à une compréhension du monde et d'une compréhension intellectuelle à une décision d'action. On passe d'un monde sensible à un autre monde sensible, qui définit d'autres tolérances et intolérances, d'autres capacités et incapacités.
Ce qui lui manque, ce qui manquera toujours à l'élève, à moins de devenir maître lui-même, c'est le savoir de l'ignorance, la connaissance de la distance exacte qui sépare le savoir de l'ignorance.
Dans la logique pédagogique, l'ignorant n'est pas seulement celui qui ignore encore ce que le maître sait. Il est celui qui ne sait pas ce qu'il ignore ni comment le savoir. Le maître, lui, n'est pas seulement celui qui détient le savoir ignoré par l'ignorant. Il est aussi celui qui sait comment en faire un objet de savoir, à quel moment et selon quel protocole.