« Quand Maria vit ses camarades de classe s'approcher de la couverture où elle était allongée, elle se contenta de rougir et n'échangea pas un mot avec eux. Monsieur Belaj, en revanche, se proposa lui-même comme arbitre, ce qui donnait aussitôt plus d'importance à la compétition (de natation). L'arbitre, bien entendu, était loin de se douter que, dans le bassin, se jouait peut-être l'avenir de sa propre fille. »
Levice, Slovaquie du Sud, trois jeunes garçons de treize ans, trois grands copains, se retrouvent à la piscine ce premier septembre. Ils sont tous les trois très amoureux de leur amie, la jeune Maria. Seulement voilà, un seul d'entre eux pourra obtenir l'amour de Maria. Pour se départager, il décide d'une compétition de natation : une compétition qui va durer trente ans !
Le Prix du Livre Européen 2020 a couronné, sous la présidence de
Carole Bouquet, le livre de
Pavol Rankov qui fait le récit des bouleversements successifs qui ont secoué cette partie de l'Europe Centrale que composent La Tchéquie, La Hongrie et la Slovaquie de 1938 à 1968. Ces trois amis fictifs représentent chacun une identité : Peter est Hongrois, Jan est Tchèque, Gabriel est juif. Intelligemment construit, l'auteur s'est appuyé sur ces trois individualités mais aussi sur les souvenirs de son propre père, afin de nous plonger dans les tourbillons dramatiques de la Grande Histoire du XXème siècle sans en rendre la lecture ardue si ce n'est qu'au début de ma lecture, j'ai du me replonger dans la géographie et l'histoire de cette partie de l'Europe afin de mieux me représenter la disposition de ces pays après la dislocation de l'empire Austro-Hongrois. Ce flou m'a gênée dans les premiers temps de ma lecture pour ensuite se dissiper totalement, accaparée par les aventures de ces trois amis dans cette ambiance historique, parfaitement décrite par l'auteur. Quatre personnages de fiction plongés dans un déferlement de calamités historiquement véridiques. C'est une lecture qui m'a passionnée même si l'affect est resté à distance.
Leur amitié tout comme leur rivalité allège le récit qui nous relate tous les errements, les déchirements, les évènements ininterrompus que connaît cette partie de l'Europe. Chacun des acteurs avec sa propre identité, possède sa vision de l'Histoire, ses opinions même si les points de vue évoluent tout au long de leur expérience.
Ainsi chaque premier septembre, c'est un peu le bilan de l'année écoulée que font nos trois amis. Chacun d'eux tente de vivre avec sa propre destinée, choisit ses compromis, résiste aux modes de vie imposés, préserve ses secrets malgré l'hypocrisie, la soumission que génère la peur. Ces trois garçons, ces trois hommes tout comme Maria font front tout en s'adaptant aux évènements extérieurs. Jan et Gabriel iront jusqu' à combattre en Israël et Peter, toujours convaincu qu'une vraie révolution communiste adviendra, ne cesse de chercher des slogans qui pourraient remuer les consciences. le devenir de ces quatre amis est comme un kaléidoscope qui permet de pénétrer de l'intérieur l'histoire de cette région de l'Europe en mesurant l'étendue des dommages et l'impact que cela a eu sur la destinée des individus qui se trouvaient balloter comme fétu de paille, au gré de tous ces changements.
La question qui m'a taraudée tout au long du récit - comment résister à toutes ces épreuves :
Les accords de Munich, la seconde guerre mondiale, l'arrivée des troupes soviétiques, les déplacements de population, les procès politiques, la police secrète et sa présence anxiogène, l'immense espoir de cette année 1956 où Krouchtchev dénonce les méthodes de Staline et qui se termine avec la répression de l'insurrection Hongroise, l'écrasement du Printemps de Prague !
L'écriture est simple, moderne, rapide, elle se prête parfaitement aux dialogues, à l'histoire mais ce n'est pas le style qui retient, c'est plutôt la combinaison entre l'histoire et la fiction qui est excellente et capte l'attention, la manière de relater les évènements au travers de la vision de chacun des personnages, de leur personnalité, permet une compréhension directe des évènements. Merci pour ton billet Idil qui a attiré mon attention sur cet épisode de l'Histoire du XXème siècle.
Dédicace de
Pavol Rankov : « Je dédie ce livre à mon père, à ses amis et à toute cette génération perdue qui, nul ne sait pourquoi, a été contrainte de vivre tout cela dans propre chair ».