Ils avaient tous échoué. Après des années de travail intensif, de recherches éprouvantes, de fonds d'investissement gigantesques, les laboratoires scientifiques avaient réussi à tuer à peine quelques millions de personnes. le virus du covid était du pipi de chat à côté de la grippe espagnole. le sida... une blague d'étudiant de première année. Déçu son créateur, un savant russe, venait d'ailleurs de se suicider. le cancer était un bon agent pathogène dont il n'était pas facile hélas de maîtriser toutes les évolutions. Même les Chinois n'y parvenaient pas. Comme la plupart des armes bactériologiques, le vaccin du cancer, trouvé en même temps que le poison, dormait bien à l'abri. le secret du crabe était bien gardé, l'antidote était enfermée dans la place forte d'une base militaire américaine surveillée par un régiment de parachutistes. Immuniser la population serait un manque à gagner de plusieurs milliards de dollars.
De plus les gens commençaient à se méfier. Ils faisaient attention à ce qu'ils mangeaient, ils portaient des masques pour dormir, ils allaient même jusque se laver les mains en sortant des toilettes. Pendant ce temps, aucun des savants passionnés pour la mission suprême n'était parvenu à inventer la molécule parfaite qui effacerait la totalité de l'humanité de la surface de la terre. On se contentait de modestes génocides. Il fallait garder une proportion de survivants qui faisaient marcher le business permettant aux lobbies et aux pouvoirs politiques de s'enrichir toujours plus. Même la religion avait lamentablement échoué dans son rôle de prédateur universel. Une fausse bonne idée car on avait construit des monuments qui coûtaient une fortune en entretien.
Le pétrole n'en parlons pas. A l'échelle mondiale, le résultat de ces tentatives puériles de déstabilisation économiques était ridicule. L'alcool fonctionnait beaucoup mieux. L'institution nationalisée du tabac allait dans le bon sens. Eternel pendant, la drogue en vente libre donnait des résultats satisfaisants. Pourtant les métros et les autoroutes continuaient d'être bondés. La planète souffrait alors que des peuples entiers vivaient librement, comme si de rien n'était, nageant béatement dans leur bonheur terrestre représenté par un écran de 8 x 15 cm.
Heureusement pour la survie de la planète à laquelle il accordait son seul crédit, un savant oeuvrait dans l'ombre. Dans un coin perdu de l'Allemagne, Malthus Balmer tentait de trouver la parade au chancre de la Terre. Jour et nuit, dans sa bibliothèque où il avait dressé son lit de camp, il étudiait des milliers de livres pour deviner la bonne stratégie. Dans la pièce voisine, des éprouvettes expérimentaient en permanence des mélanges chimiques dont le but avoué était de vider mers, ciels et terres du fléau humain.
Un beau jour de printemps, vers deux heures du matin, Malthus Balmer avait réussi à allier plusieurs composants qui ensemble constitueraient une arme invincible. Nul ne pourrait résister à cette créature invisible qui pourfendrait ces désolants bipèdes. Il serait le seul survivant et finirait paisiblement ses jours en compagnie des animaux et des végétaux insensibles au mal. Il avait tout prévu. La bactérie qu'il venait de créer s'infiltrerait dans l'eau et pour ne pas succomber il faudrait cesser de boire mais dans ce cas mourir de soif. Les alcooliques mourraient de crises éthyliques et les adolescents de diabète.
Malthus Balmer était parvenu à synthétiser en dose très concentrée une maladie dégénérative présente dans toutes les civilisations depuis l'aube des temps. Elle était combattue sans le savoir sous forme de mensonge, d'hypocrisie, de manipulation, de domination, de trahison. On feignait le contraire, on prônait la transparence pour ne pas alerter les foules. Toutefois elle demeurait vive, prête à surgir au moindre fléchissement. le code moral lui mettait la bride sur le cou. Les lois et la bonne conscience protégeaient les citoyens de ses méfaits. Ôtez ces rênes et l'humanité serait anéantie. Les pulsions libérées par cette bactérie, chacun exercerait sa propre justice en toute impunité, sans la moindre retenue.
Après les avoir copieusement insultés et maudits, les gens tueraient leurs voisins, leurs amis, leurs collègues, leurs familles, leurs conjoints, leurs enfants. le sol se déroberait sous les pieds des nations et le trou creusé ne sera jamais assez grand pour contenir tous les cadavres. La partie noire de chaque individu ainsi réveillée rayerait de la carte toute présence humaine. Imaginez, chaque passant dans la rue agirait selon sa seule volonté. Il exprimerait avec franchise ce qui lui passe par l'esprit. Les têtes voleraient. Chaque frustration serait suivie d'une sanction immédiate. Les jours de l'humanité seraient comptés. Pas une âme ne survivrait. Au bout d'un mois villes et campagnes seraient désertes.
L'invention de Malthus Balmer s'appelait le "virus de la sincérité".
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