Si Jeanne, l'héroïne de cette biographie romancée, avait vécu deux siècles plus tard, son destin eût été complètement différent. Fille d'un notaire provincial née au milieu du règne de
Louis XIV, elle détonnait déjà, à quinze ans, par rapport à la plupart des filles de son âge : son père lui avait appris à lire, à écrire et à compter ; à monter à cheval également, de sorte qu'elle l'accompagnait lors de ses déplacements professionnels sur le territoire de sa juridiction. Logiquement elle était vouée à épouser un jeune notaire puis à le seconder, sans pour autant pouvoir prétendre au statut de clerc, réservé aux hommes. Les aléas de la vie, de la mort surtout, en décidèrent autrement : elle fut mariée à un artisan tanneur pour qui elle n'éprouvait aucun sentiment, du moins pendant les premières années de leur union. Dès lors les maternités se succédèrent à un rythme dicté par la nature, Jeanne accomplissant ainsi pleinement sa tâche de génitrice assignée par l'Église. Sa foi, pourtant, fut fréquemment mise à mal face aux hécatombes dues aux épidémies, à l'issue trop souvent fatale des maladies frappant ses proches, aux effets dévastateurs des aléas climatiques anéantissant une voire plusieurs années de labeur. Fatiguée, au propre et au figuré, par ses grossesses à répétition, Jeanne fut même tentée de recourir à des mixtures abortives mais y renonça au dernier moment.
L'auteure, qui a grandi elle-même dans la campagne charentaise où a vécu Jeanne, a exploité des minutes notariales retrouvées par hasard dans un grenier. Les personnages qu'elle cite ont réellement existé, elle leur a redonné une âme, a reconstitué leur psychologie, en tous points semblable à la nôtre : seul leur environnement socioculturel différait de notre monde.