Au travers de ce recueil de nouvelles, Incandescences, j'ai continué de faire route dans l'univers de Ron Rash, auteur américain découvert grâce à son roman envoûtant lu récemment, Le monde à l'endroit.
Ici, j'ai retrouvé l'atmosphère de cet écrivain, quelque chose d'impalpable, des êtres brisés, qui s'arrangent avec la vie comme elle vient, comme ils peuvent, qui y croient encore un peu, tâtonnent dans le vide sidéral, il y a toujours un moment où ces êtres sont au bord du précipice qui les guette à chaque instant, ce qui les amènent là, le dénuement, la traque, la peur, l'innocence, la compassion, un rêve fou, la folie peut-être...
Ce sont douze nouvelles. Je ne suis pas forcément un grand lecteur de nouvelles, ici je dois avouer avoir succombé pour ce style de narration. Douze nouvelles dont le paysage est celui des Appalaches. Une terre sauvage, abrupte, rugueuse comme l'existence des personnages ; une ruralité encore archaïque, désœuvrée. On entend de temps à autre le babillage d'un écureuil, on cueille d'un regard furtif le vert terne des rhododendrons, on entend au loin le croassement d'une corneilles. Les oiseaux ici peuvent être de mauvaises augures ou transmettre des signes. Quand le désespoir est là, on s'accroche comme on peut aux messages que la nature peut transmettre.
Humer l'odeur de la terre noire et grasse. Sous cette terre peuplée de légendes et de fantômes, dans des cimetières retirés du monde, il y a les corps des confédérés qui ont pourri et qui suscitent encore des convoitises.
J'ai aimé retrouver son style dépouillé, la phrase épurée jusqu'à l'os, les mots au plus près des personnages, nous voyons leurs gestes, leurs pas, leurs craintes, leurs espérances encore à mi-chemin entre le crépuscule et la nuit...
Il y a une beauté crépusculaire dans ces douze récits.
Chaque histoire fait entendre sa petite musique lancinante, sa voix, son étreinte. J'ai aimé l'histoire de cet enfant qui découvre cet avion écrasé au milieu de la forêt, découvrant ses passagers inanimés, son désespoir quotidien par le naufrage de ses parents endettés, shootés à la méthamphétamine, s'efface brusquement comme une petite folie au contact de la carlingue, d'une bague arrachée au doigt de la passagère, d'une rolex au bras du pilote...
Malgré le côté sombre, il y a toujours une petite lueur, une étincelle, un regard éperdu qui se fraye un chemin dans le dédale de la nuit qui apparaît.
L'épure et le sublime sont à leur comble dans la dernière nouvelle, clin d’œil à la Grande Histoire, ici la guerre de Sécession, offrant au lecteur l'occasion d'une immense empathie avec l'héroïne.
Ce sont douze tranches de vie que j'ai aimé visiter, côtoyer, étreindre... Dans cette écriture taiseuse et incandescente, je me suis retrouvé au plus près des personnages...
Cette écriture magnifique est aussi le fruit du travail de la traductrice, Isabelle Reinharez. On ne dit jamais assez tout le talent des traducteurs... Parmi les auteurs qu'elle a traduits figurent Louise Erdrich, Robert Olen Butler, Anne Enright, Tim Parks... Un très beau chemin aussi...
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Je pense que papa est mort à la tâche avant ses soixante ans et que maman a vécu assez longtemps pour apprendre que cinquante ans à travailler du lever du jour à l’heure d’aller se coucher vous permet pas d’avoir de quoi payer une opération et un séjour de deux semaines à l’hôpital. Je me demande où est la justice dans tout ça quand y a des types qui font rien que bien taper dans un ballon ou en lancer un dans un panier qui vivent dans des châteaux et pourraient carrément s’acheter un hôpital en cas de besoin.
J’envoie quelques méchants riffs à la guitare, et j’ai beau ne pas être un grand chanteur je me donne à fond, et La Dernière Chance a beau maintenant être quasiment vide ça va aussi parce je mêle le primitif et l’existentiel et j’ai tellement poussé le volume que les bouteilles de bière vides tombent des tables à force de vibrations et les phares de tracteur palpitent comme des lumières stroboscopiques et quelle que soit la bête brutes qui dort dehors dans le noir pour elle l’heure du réveil sonne et moi je suis prêt et j’attends de voir ce qu’elle me réserve.
Waiting for the End of the World.
Je reste là dans le noir et je pense à un truc qu'elle a dit il y a longtemps, le jour où elle a décidé de reprendre les études. "Tu devrais être fier que je veuille arriver à quelque chose dans la vie", elle a dit. C'est peut être pas comme ça qu'elle le sent , mais je peux pas m'empêcher de penser qu'elle disait aussi : Bobby, c'est pas parce que t'es jamais arrivé à rien dans la vie que je dois faire pareil.
Nouvelle : Etoile filante
Dans L’Envol, un enfant, Jared, découvre dans la montagne un avion qui s’est écrasé sur le sol enneigé. Les passagers et l’équipage sont morts. Il trouve de l’argent qu’il rapporte à ses parents. Ceux-ci, malgré les difficultés dans lesquelles ils vivent, prennent leur pick-up pour se rendre en ville et dépensent tout, en achetant de la drogue et de l’alcool. Jared quitte la maison sans bruit, rejoint l’avion tandis que la neige tombe.
Citation
« Il s’assit sur le siège arrière et attendit. Le travail et la marche l’avaient réchauffé mais il eut rapidement froid. Il regarda la neige recouvrir le pare-brise d’une blancheur assombrissante. Au bout d’un moment il se mit à frissonner mais au bout d’un moment plus long il n’eut plus froid. Il regarda par le hublot et vit que la blancheur n’était pas seulement devant lui mais en dessous. Il sut alors qu’ils avaient décollé et s’étaient élevés si haut qu’ils étaient enveloppés dans un nuage, pourtant il regarda tout de même en bas, attendant que les nuages se dissipent pour pouvoir chercher des yeux le pick-up qui roulait sur la route sinueuse en direction de Bryson City ».
Puis son esprit s’était égaré en un lieu où elle n’avait pu le suivre, emportant avec lui tous les gens de son entourage, leurs noms et les liens qui les unissaient, s’ils vivaient encore ou s’ils étaient morts. Mais son corps s’était attardé, dépouillé d’un être intime, aussi vide qu’une carapace de cigale. »
L'univers de RON RASH à travers un extrait de son interview à la Grande Librairie !