Dans ce roman, il est question, comme toujours chez
Ron Rash, de sexe, de drogue et de rock'n'roll. Ah, et de pêche aussi ! Parce qu'on se drogue, on fait l'amour, on boit, au bord d'une rivière, en n'oubliant jamais de rapporter quelques truites à la maison. Et des cadavres de truites aux ossements de sirènes il n'y a qu'un pas. Les ossements sont ceux de Ligeia Mosely, que les eaux de la rivière recrachent un beau jour, faisant resurgir un passé douloureux. Eugène et William sont deux jeunes garçons qui aiment la pêche, activité qui leur offre un peu de solitude et qui leur permet de fuir un grand-père autoritaire toujours occupé à planifier leur vie à leur place, depuis que leur père est mort et que leur mère, sans ressource, est obligée de se plier à ses volontés. C'est au cours d'une partie de pêche qu'ils rencontrent Ligeia. Elle semble surgir hors de l'eau comme une sirène, mais préfère le whisky et la bière à l'eau pure de la rivière dont elle émerge et dans laquelle elle replonge régulièrement. L'image de la sirène n'est pas anodine : maléfique mais envoûtante, elle séduit William et surtout Eugène qui se laisse prendre à ses charmes jusqu'à voler pour elle des tranquillisants dans l'armoire de son grand-père médecin. Si William résiste et se bouche résolument les oreilles, déjà tourné vers l'avenir, Eugène, plus faible, cède aux charmes de la créature. Mais le monstre n'est pas toujours celui qu'on croit…
Le roman de
Ron Rash est construit comme un roman policier sur le thème : qu'est-il arrivé à la belle mais toxique Ligeia Mosely ? C'est un roman noir qui nous dit que les erreurs de la jeunesse conditionnent ensuite notre vie entière, sans espoir de rédemption, qui nous dit aussi que la liberté est factice. Au départ, la rivière est certes un espace de liberté et de beauté pour ces deux jeunes garçons, mais il est bien vite pollué : l'eau se change en alcool, la sirène est une junkie, le sable est jonché d'éclats de verre et les truites sont pendues par les ouïes et bien destinées à être dévorées. Et sous la plume de
Ron Rash, l'espace ouvert et mobile que constitue la rivière devient soudain un lieu clos et étouffant, cadre parfait pour la tragédie s'y déroule. Dans ce décor, les hommes se livrent à des combats qui ne sont assurément pas très loin de ceux des héros et des dieux de la mythologie antique.
Le lecteur prend plaisir à voir se dessiner la vérité au fil de chapitres courts qui font alterner le présent et le passé. Mais au final, il faut bien dire que ni les thèmes abordés, ni la construction du roman ne sont fondamentalement originaux. Un sentiment de déjà vu, déjà lu, donc, mais un bon moment de lecture dont on aurait tort de se priver.