La science des adieux

Un inconnu entre dans votre vie, et l'on a l'impression d'avoir toujours son visage près de soi.

Le fait que l'homme ait trouvé un terme pour désigner la mort est une chose terrible, lui dit-il. Comment a-t-on pu seulement lui donner un nom? Cela aurait-il un nom? Un nom c'est déjà définir. Comme si l'on savait quelque chose de la mort.

Le temps me rogne comme une pièce de monnaie,
Et voici que déjà il m'enlève à moi-même

Mais la poésie reconnaît des destinataires que le poète ignore parfois, la poésie ne se trompe pas. Si le poète est injuste, la poésie est juste (...)

Il lui a expliqué ce que signifie connaître, ou mieux, comment on se connaît. Cela n'a rien à voir avec le savoir: une lumière subite éclaire une chose secrète et inconnue, une chose qui surgit uniquement à l'instant nécessaire. C'est ainsi qu'on reconnaît dans un poème le mot nécessaire, lui dit Ossip

Il a appris à Nadejda que la poésie classique est ce qui doit encore être, non ce qui a été. Pouchkine, Ovide, Homère ne sont pas des souvenirs, ou des regrets, mais de précieux pressentiments à rencontrer dans le silence pur de l'avenir.

A la fin du séjour dans la maison tartare, Nadejda n'est plus la fille, la soeur, la fillette imaginaire que son époux contemple dans ses effusions. Elle est beaucoup plus : elle est sa main qui se meut au son de sa voix. Les mots d'Ossip pénétrent peu à peu son corps. une nouvelle circulation s'instaure entre l'oreille qui les écoute et la main qui les transcrit. La voix d'Ossip en devient le sang. Nadejda ne sera pas l'ombre de son mari, elle sera l'ombre de sa voix.

Le temps le rogne comme il rogne son talon, lui dit-il, quelque chose manque à l'appel, se souvenir est fastidieux, mais il n'est pas permis de comparer la manière dont le sang bruissait hier à celle dont il bruit aujourd'hui.