Je suis fan, absolument fan ! Ce recueil est (j'ose le dire) un chef-d'oeuvre. Tout y est, le style, les thèmes abordés (l'errance, la souffrance, la difficulté d'être au monde, l'enfance, le crépuscule du temps qui passe...), la concision pour toucher à l'essentiel, la couverture, le titre, le travail incroyable de cet éditeur à suivre, Conspiration Editions. L'oeuvre est en marche, indiscutablement et je comprends mieux pourquoi l'auteur (présent partout dans les revues avec des recensions multiples dont la revue En Attendant Nadeau) dérange. On pense de suite au miracle des premières découvertes face à de très grands poètes.
Grégory Rateau est indiscutablement l'un d'entre eux. En seulement deux recueils, il dépoussière la poésie dite "poétique" comme le souligne
Jean-Louis Kuffer qui en a écrit la préface. Plutôt que de continuer à me répandre en louanges, je préfère laisser la place au critique Jean-Luc Favre :
Dans son nouveau recueil élégamment intitulé
Imprécations Nocturnes, préfacé par
Jean-Louis Kuffer, l'auteur poursuit sa quête inlassable ou plutôt sa « hantise insondable », amplement signifiée dès son premier recueil,
Conspiration du Réel, dont j'avais dans un article précédent vanté les qualités littéraires. Mais également le contenu singulier, dont les thèmes récurrents qui n'ont rien d'une argumentation passive ou poussive, c'est selon, convoquent une fois de plus les affres de la vie et plus encore ses pernicieux revers.
Certes l'auteur, et on le sait désormais, est un poète tourmenté, et hanté par une sorte de « négativité maîtrisée » qui puise sa force dans les méandres d'un vécu, presque anarchique, à la fois lourdement conscientisé, mais aussi inconsciemment refoulé dont les strates successives et pour le moins acrobatiques, laissent apparaître une énergie réfractaire peu commune.
L'auteur se bat contre lui-même ! A peine à respirer parfois — il ne fait pas semblant de porter incidemment une douleur existentielle qui paraîtrait suspecte, mais il la vit pleinement comme un sacrifice nécessaire à l'inverse d'une hypothétique révélation. Cependant le présent recueil se distingue du précédent par la volonté non dissimulée de sortir de la fosse — tête baissée — en gravitant dehors, vers… Et en répondant à « l'appel brûlant des vivants », comme deux mondes qui s'attirent et se refoulent, « deux mondes pour sceller le même cercueil » ; ce qui revient à affirmer que ces mondes-là radicalement distincts finissent finalement par se télescoper. « Chacun devenant le fantôme de l'autre ».
Affirmation étourdissante, il va sans dire, où le miroir originellement réparateur finit par voler en éclats, et là « où on n'y voit plus rien », « je suis cet imposteur/dont la lucidité vengeresse/lui désigne la blessure du soleil ». Ainsi l'auteur sait qui il est. Il ne s'en cache pas. Il ose même l'avouer crûment ! « Je suis ce bohémien avide de sensations/aveuglé par ses chimères/,mais s'accrochant à une branche d'éternité ». Drôle d'éternité cependant dont la mort est le terme. Ici le vivant n'est qu'une pure contradiction.
Aussi pour bien comprendre la quête, de Gégory Rateau, disons le ouvertement victimaire, il faut obligatoirement inverser les propositions et les lire à reculons, « avec l'envie de repousser les murs », mais « qui donc racontera mon histoire ? » Il faut dire que, dans certains cas, la nuit est généreusement salvatrice dans le sens d'une luminosité conquise à force d'aveuglement ; « sans pouvoir en contrôler la teneur » ou la terreur ? Comme aussi bien « d'en faire de refrains coup de poing » — car nul besoin de pousser le bouchon trop loin quand le mal est déjà fait, « la fièvre entre les jambes », d'ailleurs « on a tous un paysage douloureux en mémoire ». Une formule simple, mais vraie ! Un paysage qui parfois s'échappe de lui-même pour finalement rebondir ailleurs. Une redondance scabreuse, jamais vraiment tout à fait sympathique et qui met en garde contre les caprices du temps.
« On a tous un rapport douloureux au temps ». C'est en cela que toute imposture prend vraiment corps, comme une délimitation sordide de la conscience, « et déjà posée sur l'autre rive », « le soleil fatigué d'attendre lui aussi », avec « cette chose sans âge aux traits aguicheurs/couchée là/sur son lit de ronces » au coeur même d'une féminité ambiguë. Est-elle vengeresse celle-là ? Ou proprement désignée pour n'exister que de rares instants au seuil d'une « religiosité de façade ». Cela va de soi. Une fois de plus l'auteur ne se ment pas, « avec personne pour laver ma dépouille ».
Une dépouille hautement mortifère et pour cause ! « Où la sueur signe sa fatigue », « Depuis l'enfance j'ai appris à dissimuler ». le voilà donc piégé par son propre destin, cependant délesté de toute forme de mensonges « inopérants ». Advienne que pourra donc ! Il faut savoir rester modeste face à la souffrance, ne jamais se déclarer martyr du presque rien. C'est d'ailleurs ce que nous apprend l'auteur : Souffrir en dignité ! Ou plutôt apprendre à souffrir sereinement ! En clair souffrir pour ne rien obtenir ! Vider son âme ; apprendre patiemment à la réinventer — un exercice fastidieux, forcément douloureux, qui n'est pas donné au tout venant.
Grégory Rateau, lui n'a pas besoin de jouer avec les mots. Il témoigne juste de sa fragilité au monde. Impuissance manifeste qui vaut aussi pour un sombre enfermement, ou bien alors et plus justement, une tragédie abêtissante et circulaire, où l'être peine à se mouvoir et à se révéler. Cependant que l'auteur ne sache pas vraiment ce qu'il a convoqué sciemment – Frapper à la porte des Enfers comporte toujours un risque pour celui qui s'y aventure, celui de ne pas en ressortir vivant !
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