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Critique de xxmelianexx


Voici un entretien de 300 pages entre François Raveau, considéré comme le plus jeune résistant déporté de France (à 16 ans!) et son ami Michel Mollard, d'une quarantaine d'années son cadet. Des questions courtes et pertinentes, qui s'enchaînent adroitement, et qui servent des réponses d'environ une page.

Né en 1928, François Raveau raconte son enfance loin du monde scolaire, auprès de parents plutôt originaux et prompts à s'engager dans diverses causes. La Résistance en sera une, et François Raveau, alors âgé d'à peine 15 ans, les suivra donc tout naturellement dans cette activité. C'est donc en tant que résistant qu'il sera déporté et passera par les camps de Neuengamme, Fallersleben et Wöbbelin entre avril 1944 et mai 1945. Une expérience dont il relate des épisodes aussi terribles qu'inimaginables, ajoutant sa voix à celle des nombreuses autres victimes du système concentrationnaire nazi.
Dans la seconde moitié du livre, il évoque ensuite les années d'après-guerre, les années soixante... au travers de son propre parcours de médecin, psychanalyste puis anthropologue. Sa trajectoire est atypique et assez étonnante, jalonnée de voyages et de rencontres avec des personnages célèbres (Malraux, Sartre...) dont Raveau dresse un portrait sans détours. de la même manière, il donne un avis sans concessions sur certains résistants et sur les communistes, avis certes personnel, mais légitimé par sa propre expérience de vie et de survie.
Les trois dernières décennies sont en revanche peu abordées, certainement parce que l'homme est à présent presque nonagénaire et qu'il a dû mettre progressivement un frein à la vie trépidante qui fut la sienne. On pouvait toutefois attendre davantage de la troisième partie intitulée "aujourd'hui", dans laquelle l'avis éclairé de Raveau sur les sujets actuels brûlants aurait été apprécié. Car, dans ces dernières pages, il ne livre pas son sentiment sur le monde et la France de 2017, alors que les motifs de réflexion sont nombreux et que le fameux "retour aux années 30" et aux années 1940 est devenu un leitmotiv dans de nombreux discours publiques.

L'ouvrage n'est certes pas une biographie exhaustive du personnage (qui visiblement en mériterait une... et qui serait fort épaisse!), mais de nombreuses zones d'ombres sur sa vie subsistent, sans doute souhaitées par lui-même. On comprend en effet qu'il a de nombreuses relations avec des personnalités influentes à travers de monde, qu'il appartient à de nombreux réseaux... dont on peine à connaître l'origine, et donc le lien éventuel avec son statut d'ancien résistant. Ayant oeuvré fort jeune dans la résistance, on ne peut lui attribuer un tissu de relations pré-existantes, et il ne reste au lecteur qu'à établir ses propres suppositions en s'appuyant sur le contexte de la guerre froide...

François Raveau adopte un ton assez détaché dans ses propos, ce qu'annonce Michel Mollard dès son introduction. L'homme est ainsi, oscillant souvent entre humour et cynisme, y compris lorsqu'il raconte des épisodes particulièrement violents ou inhumains de son passé de résistant et de prisonnier. Une attitude qu'il assume parfaitement (n'est-ce pas un moyen comme un autre d'assurer sa survie psychique au-delà de sa survie physique?), mais qui peut déstabiliser un lecteur susceptible de s'attendre à un témoignage poignant sur les camps. Mais au-delà de cette forme différente de ce que l'on peut lire habituellement, le fond n'en reste pas moins insupportable, et c'est peut-être dans cette particularité que réside la force du témoignage de François Raveau.

C'est donc un entretien réellement très intéressant que j'ai pu lire grâce à Babelio et aux Presses de la Cité. Michel Mollard a su adroitement le mettre en forme dans un style ni trop oral, ni trop littéraire, et je pense qu'il a su retranscrire correctement le contenu volontairement ambigü, flou, détaché ou cynique de certains propos de son interlocuteur. Je suis heureuse d'avoir pu découvrir cet homme à la vie singulière, témoin de l'Histoire, et, indéniablement, acteur de celle-ci.
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