Sous le titre assez moyen de «
La fille de mon meilleur ami » se cache l'un de ces petits bouquins qui se dégustent comme des cafés serrés. de ceux qui, d'un seul trait, vous gorgent d'arômes subtils, à la fois toniques et délicats.
Equilibre entre force et finesse, dosage impeccable entre ce qui est dit et ce qui est sous-jacent, entre ce qui s'exprime et ce qui se sent et une note finale qui laisse en bouche comme une petite touche d'amertume.
Ristretto donc que ce texte bref, dont le charme persiste dans le temps, nous laissant apprécier tout le talent d'un auteur qui va à l'essentiel, qui évite les longues digressions et affectionne particulièrement les formats courts des novelas.
Avec justesse et modération,
Yves Ravey fait de l'art dans du peu.
Et avec presque rien, une poignée de personnages, un cadre de banlieue, des phrases écrémées et un style sans détour, l'auteur nous projette dans ce qui se présente au départ comme une gentille historiette mais se révèle bien vite un bel objet littéraire aux formes effilées, très séduisant dans sa limpidité, plus grave qu'il n'y paraît de prime abord.
Ainsi le récit se dévide comme une évidence, l'air de ne pas y toucher, porteur toutefois d'une fatalité qui sourd presque de manière nonchalante, distillant goutte à goutte une atmosphère de roman noir avec cette simplicité élégante et faussement distante qui lui donne toute sa suavité.
Fausse simplicité, fausse désinvolture,
Yves Ravey ne s'encombre pas de superflu et chaque mot tombe pile là où il le faut, net, juste, d'une imparable efficacité.
Des phrases courtes sans aspérité, concises, lisses et précises, sur une écriture lucide, factuelle et sans bla-bla.
Cela peut sembler simple, ça ne l'est que pour mieux nous prendre dans les filets d'un univers en demi-teinte, un peu gris, un peu glauque, un peu banlieusard, un peu provincial, un peu cynique, le genre d'histoires courues d'avance à la chute aussi infaillible qu'inéluctable.
Et c'est ainsi, avec une assurance tranquille, au gré d'une mécanique toute efficace dans sa placidité, que l'on accompagne William Bonnet, d'abord gentiment compatissant par la promesse qu'il a faite à un ami militaire décédé de veiller sur Mathilde, sa fille plus ou moins dérangée, puis peu à peu intrigué par le profil de ce personnage qui se révèle à nous en homme moins charitable et honnête que ce qu'il nous avait semblé au départ. Ainsi, que fait-il avec plusieurs fausses cartes de visite et d'identité ? C'est néanmoins un homme qui tient ses promesses. Et lorsqu'à sa sortie de l'hôpital psychiatrique où elle fait régulièrement de longs séjours, Mathilde lui demande de l'emmener voir le fils qu'elle a eu avec Anthony, son ex-mari, et que la justice lui a enlevé, William, bien que se doutant que cette requête sera source d'ennuis et par fidélité à la parole donnée, finit par céder et accepte d'accompagner la jeune femme.
L'enfant vit chez son père maintenant remarié dans une bourgade de province.
Connaissant le caractère imprévisible de Mathilde, William s'emploie à repérer les lieux, rôde, enquête, s'attarde…
Et lorsqu'il rencontre la belle Sheila aux yeux verts, la nouvelle femme d'Anthony…et quand il remarque à quel point ce dernier, trésorier du syndicat et collecteur de la caisse de solidarité des usines Rhône-Poulenc, semble attaché à son petit cartable de cuir….l'idée ne tarde pas à germer qu'il y aurait peut-être un bon coup à se faire dans cette petite ville de banlieue en plein piquet de grève, une occasion à saisir…Oui, il se pourrait bien qu'il touche le gros lot…
« Attention William, sais-tu bien où tu mets les pieds ? » a-t-on alors envie de lui conseiller. « As-tu pensé à Mathilde ? »
Mathilde et ses crises inattendues, Mathilde et son esprit en capilotade…belle et sauvage Mathilde…déroutante, déconcertante, surprenante Mathilde… avec elle, on ne sait jamais comment les choses vont tourner…
Alors fonctionnera, fonctionnera pas, le plan de William Bonnet ? On a envie d'y croire, on n'y croit guère, on attend la chute, la tuile sur le coin de la gueule, tout en s'attachant à ce type pas trop comme il faut mais terriblement sympathique. La mécanique se met en place, le suspense s'installe avec le tranquille savoir-faire de l'auteur et nous, on boit ça d'un trait, café serré, corsé, ristretto…