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Chantal Le Brun Kéris (Traducteur)
EAN : 9782882502162
388 pages
Noir sur blanc (12/03/2009)
4/5   1 notes
Résumé :
« 5 mai 1945. 10 heures 15 (Macha). Stablowitz a été prise, les Russes marchent sur Schönstein. Nous sommes à la cuisine et battons le beurre. »
– – –
Dans ces journaux croisés, écrits entre 1945 et 1946, les trois sœurs Razumovsky nous font partager leur quotidien durant le dénouement de la guerre. Depuis le château de Schönstein, au cœur de la Silésie tchèque, elles restent suspendues à leur poste de radio pour suivre l'avancée des troupes soviét... >Voir plus
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Citations et extraits (3) Ajouter une citation
7 mai 1945
15 heures 30 (Olga)
Aujourd'hui, la Guépéou a fait son apparition. Avec eux, ça va très vite. Ils ont d'abord rendu visite au vieux Czermin. Chez lui, ils ont trouvé un pistolet et lui ont aussitôt cherché noise. Bien que personne n'ait laissé entendre auparavant qu'il était interdit d'avoir des armes en sa possession, ils l'ont persécuté ; il a dû rester assis toute la nuit sur une caisse, sans bouger, car, à chaque mouvement, un homme en faction devant lui, armé d'une mitraillette, le mettait en joue. De plus, il hébergeait des réfugiés de Troppau, des femmes. Ce qu'ils ont fait chez lui est indescriptible. Sa femme a été violée sous ses yeux. (Dire que c'est là que nous voulions initialement nous cacher !!) Il vient d'arriver en courant chez nous, avec cette dernière et leurs bagages, pour nous demander abri et protection. C'est un malheur que toutes les victimes du nouveau régime cherchent refuge chez nous, alors que nous-même faisons partie de ces victimes !
Puis, ils s'en sont pris à nous ! À dix heure trente, ils ont violemment secoué la porte vitrée au rez-de-chaussée, un bruit qui nous est déjà familier et qui nous donne la chair de poule. Les parents sont allés ouvrir et, sur un bref signe de la main de Maman, nous nous sommes enfuies de la bibliothèque. Six " tovarirchtchi " sont entrés, s'y sont installés et ont commencé leur interrogatoire. Le premier posait les questions, le deuxième l'interrompait en ajoutant les siennes, le troisième écrivait, les autres faisaient les cent pas en inspectant la pièce, sans quitter les parents des yeux. Ils ont aussitôt accusé Papa d'être un criminel, parce qu'il était propriétaire terrien, Maman de l'être aussi, parce qu'elle avait fui la Russie, ils ont ajouté qu'elle avait la nationalité russe et non tchèque et qu'ils allaient la déporter en Russie, où l'on déciderait de son sort. Jusqu'à quatorze heures, cela n'a été qu'une succession ininterrompue de questions – chaque réponse était gratifiée d'un « Tu mens ! », ils ne prêtaient foi à rien. Pendant l'interrogatoire, les garçons ont été priés de leur apporter les armes, les lunettes d'optique, les appareils en tout genre – et notre chère radio. Ils ont tout examiné en détail, tout démonté et ont fini par presque tout confisquer. Puis, ils ont voulu voir toutes les chambres, ont procédé à une perquisition en bonne et due forme, sont entrés dans notre chambre, nous ont dévisagées avec un rire stupide et des propos qui l'étaient encore plus, et sont ressortis. C'est alors qu'ils sont tombés sur la caisse de K. (du ministère de l'Est) !!! Ils en ont naturellement fait aussitôt sauter le couvercle et ont tiré comme premiers trophées un uniforme et autres emblèmes du parti. Et ça a recommencé de plus belle ! Ces objets devaient nous appartenir, ou alors nous les cachions, ce qui était un crime très grave ! Le type de la Guépéou s'est mis à vociférer qu'il allait déporter Maman en Russie et faire fusiller Papa. Ils se sont violemment disputés dans la chambre voisine de la nôtre. Nous nous tenions serrés tous les cinq – Rudi et Liese étaient avec nous – comme des poules effarouchées, lorsque au moment où Maman, folle de rage, se querellait à voix haute avec les types de la Guépéou à cause de ces f. . . caisses, la porte s'est ouverte avec fracas sur trois " tovarichtchi ", qui sont entrés. C'étaient les deux officiers les pires – le capitaine géant, un deuxième qui ressemblait à Staline, et un troisième de la Guépéou. Affables et de bonne humeur, ces « messieurs » ont pris place près de nous et ont commencé à nous sonder un peu. Ils nous ont demandé si nous lisions le russe, qui nous avait appris à le lire et, quand nous avons répondu que c'était Maman, ils se sont regardés d'un air de triomphe et ont déclaré que Maman avait menti, car, si elle n'avait jamais été à l'école, elle ne pouvait pas savoir lire ! Nous nous sommes sentis de plus en plus effrayés et n'avons plus osé ouvrir la bouche ; qui sait ce qu'ils seraient encore allés chercher ! Par bonheur, Maman est alors arrivée, totalement épuisée, et, à son grand effroi, les a trouvés là. Le capitaine était visiblement de bonne humeur, il plaisantait avec le type de la Guépéou (qui d'ailleurs parlait allemand), faisait des commentaires sur ma dent cassée, disant qu'il irait se promener dans le jardin avec moi – j'étais si pâle –, et des remarques idiotes sur Liese – une vraie Allemande avec ses cheveux roux –, quand soudain le capitaine qui ressemblait à Staline a craché par terre, pris d'un accès de colère, s'est levé en jurant et a déclaré, avant de sortir en claquant la porte, qu'on ne devait pas adresser la parole à des salauds de notre espèce. Les autres l'ont accompagné. Je crois qu'ils sont restés avec nous une bonne heure, cela m'a semblé une éternité. Toute leur visite a duré quatre heure et demie. Pour finir, ils ont emporté notre radio, qui était dans l'armoire de notre chambre. C'est à en pleurer. Nous n'avions pas osé la cacher, ils auraient été capables de nous fusiller s'ils l'avaient trouvée.
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18 avril 1945 (Macha)
Ce matin, le front est encore à deux kilomètres de Troppau. Avant-hier, Deutsch-Kravarn a été prise et, depuis, Anna ne cesse de pleurer ; hier soir, on a même annoncé à la radio que le front s'était déplacé au nord-ouest de Troppau. Mais d'une façon générale, on parle moins de nous, car la grande offensive occidentale et orientale sur Berlin capte toute l'attention. Une preuve que notre situation est pourtant très critique : le poste de secours principal cantonné chez nous « décampe » et part pour Bennisch. Nous allons certainement héberger maintenant des unités de combat. Je regrette bien que la dixième division de grenadiers blindée nous quitte, car nous avions fini par sympathiser avec les hommes et, en partie aussi, avec les médecins. C'était si chaleureux de les entendre le soir se distraire en faisant de la musique. Hier, ils ont apporté chacun leur chaise sous nos fenêtres, une table de toilette a fait office de pupitre, le violoniste et l'accordéoniste se sont plantés devant, avec Sacha au milieu, bien entendu, et ils ont chanté, tandis que nous nous penchions par la fenêtre. Rarement de tels contrastes m'auront autant frappée : une soirée merveilleusement chaude sur son lent déclin, les arbres fruitiers en fleurs, ce groupe de jeunes hommes, les mélodies impérissables " Im Prater blühn wieder die Baüme " et " Ich möchte wieder einmal in Grinzing sein " ou encore " Weisst du Muatterl, was i traümt hab" , et, dans le même temps, à l'est, un grondement incessant, la lueur vive des bouches de canons, puis soudain, tout près, des bombes aériennes et quelques balles éclairantes, qui ont tout illuminé comme en plein jour, et de nouveau les ténèbres et la poursuite de la soirée, comme s'il ne s'était rien passé. Je pense que, en temps de paix, il est difficile d'imaginer ce que peut-être une telle atmosphère.

22 heures 30
Un de nos amis du cantonnement vient de passer nous informer que les chars russes avaient fait une percée et que l'état d'alerte était maintenant passé au niveau trois. « Ils peuvent être ici dans dix minutes, dans ce cas, nous défendrons l'objectif. » Nous étions déjà au lit et nous nous sommes rhabillés. Ce sera la première nuit que nous passerons avec nos vêtements sur nous.
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1er janvier 1946 (Dolly)
Non, je ne vais sûrement pas pleurer l'année 1945. Mais les choses vont-elles s'arranger ? Va-t-on vers un mieux ? Ou vers des temps bien pires encore ? Je reste l'optimiste que j'ai toujours été, l'avenir me donnera-t-il raison ? Dieu veuille que cette crise soit rapidement surmontée ou, au moins, le conflit qui en est la principale cause. Si l'on pouvait avoir au moins une raison d'espérer en une vie meilleure, correspondant au goût de chacun, je n'en demande pas plus pour le moment.
Quand je laisse défiler encore une fois devant mes yeux l'année 1945 dans ses grands traits, quand j'évoque prudemment toutes les images, les scènes d'horreur et les dangers auxquels nous avons été exposés et que nous avons surmontés, je ne ressens plus qu'une profonde reconnaissance envers tout, envers Dieu, la vie, les hommes. Et je ne peux imaginer que tout cela ait été vain, que nous ayons été épargnés gratuitement, au milieu de toute cette misère qui nous entourait et nous entoure encore. Comment et pourquoi avons-nous eu tant de chance, comment avons-nous pu nous maintenir ici, sans avoir péri carbonisés, assassinés, sans avoir été violées ni tous arrêtés ? Tout cela n'aurait-il pas un sens, au fond ? Qui sait, le destin a peut-être des vues sur nous.
Combien de fois durant l'année dernière est arrivé le moment où chacun d'entre nous a pu se dire : ça y est, c'est la fin, il va nous arriver le pire. Et à chaque fois, pourtant, nous avons échappé au malheur, bien souvent par miracle, il ne faut pas avoir peur de le dire.
Et c'est pourquoi je crois que nous ne devons pas regarder le destin qui nous attend avec un trop grand pessimisme. Nous nous sommes déjà trouvés si souvent devant des difficultés insurmontables et nous avons toujours trouvé une solution : cela ira donc, d'une façon ou d'une autre !
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>Histoire de l'Europe depuis 1918>Seconde guerre mondiale: 1939-1945>Histoire sociale, politique, économique (169)
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