Les biographes de
Spinoza, dans leur noble volonté de rendre hommage à leur philosophe préféré, auraient unanimement témoigné de leur fâcheuse tendance à idéaliser l'homme, insinuant inconsciemment que sa philosophie aurait découlé d'une sagesse innée, ou tout du moins acquise sans effort conséquent. Croyant ainsi porter aux nues leur maître
Spinoza, ces biographes idéalistes en apparence ne virent ni ne montrèrent rien de l'influence des événements les plus anti-philosophiques de son existence sur l'élaboration de sa philosophie. Niant l'influence réciproque d'une vie sur l'oeuvre et d'une oeuvre sur une vie, ils réduisirent ainsi l'existence de Spino à zéro : ainsi né philosophe, sage inné, sa vie ne lui aurait servi de rien.
Rödel s'engage dans une direction différente. Il remonte aux sources charnelles, ou viles, ou aléatoires, d'une existence pour en suggérer l'influence dans l'élaboration d'une pensée philosophique. Il parlera bien sûr de son excommunication et de la solitude qui se créa autour de lui ; de son enfance invisible ; de sa santé fragile et des superstitions qu'elle entraîna ; d'une déception amoureuse qui justifie sa froideur intellectuelle vis-à-vis de l'amour ; des distances qu'il sut toujours placer avec autrui pour ne jamais se laisser éloigner par la passion de son travail sans fin ; d'un cauchemar récurrent qui le contraint à déployer tous les efforts de sa rhétorique intellectuelle pour ne pas sombrer dans la folie ; de son emportement dans la passion colérique suite à la conversion de celui qu'il espérait voir devenir son meilleur disciple (Albert Burgh) ; du coup de couteau duquel il réchappa ; et enfin de sa mort des plus ordinaires.
Rödel évite toutefois le danger de réduire une oeuvre philosophique à des événements biographiques. Les propos tenus dans ce livre ne nous aideront peut-être pas à aiguiser notre compréhension de la philosophie de
Spinoza mais ils nous soutiendront dans la compréhension de la singularité de cette oeuvre.