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🖊 « Seule maîtresse à bord de mon corps, et la nuit toute entière est ma cuirasse d'or. » (P.93) 🖊 Grisélidis Réal était une prostituee genevoise. Dans cet ouvrage qui défie toute bienséance, elle ouvre son journal intime, son carnet de bord, aussi nommé « carnet noir » ou « carnet de bal ». Il s'apparente à un répertoire, à la seule différence qu'on y trouve aucun numéro de téléphone, aucune adresse : rien que des noms, et des pratiques sexuelles rigoureusement annotées. Dans ce journal, l'auteure énumère le prénom de ses clients, avec une brève description physique, immédiatement suivie des préférences de chacun. Âmes sensibles, s'abstenir (autre conseil : n'oubliez jamais de feuilleter un livre avant de le lire dans les transports publics afin d'éviter toute mésaventure drôlement gênante - oui, j'ai lu ceci dans un train et le rouge m'est vite monté aux joues). 🖊 Très vite m'est venue cette question : à quoi sert de publier un tel ouvrage ? Il n'y a, de prime abord, aucune vocation littéraire à cette entreprise ; je dirais pourtant que, une fois passée l'énumération de ses nombreux clients, les courts textes qui suivent sont dignes d'intérêt. La prostitution prend la forme d'une révolution, de l'attribution d'un droit élémentaire, celui de disposer de son corps et d'en faire ce que l'on veut : 🖊 « Je VIS, et merde au reste. Nous les Putes qui refusons de nous faire exploiter par votre système, nous ferons la Révolution sur les trottoirs, dans les commissariats, les prisons, les Ministères, les universités, les hôpitaux, partout. On fera sauter tous ces vieux corsets académiques… » (P.95) 🖊 La plume est révoltée, vindicative, puissante : au-delà de l'acte da prostitution, Grisélidis Réal souhaite mettre à jour le désespoir des hommes qui s'effondrent dans les bras des courtisanes, qui s'échouent au creux de leur corps et qui, par ce rapport charnel, trouvent en elles la force de continuer à vivre, qui échappent à une femme rigide, qui fuient un passé douloureux ou cherchent un peu de tendresse, d'attention, un brin de bienveillance. + Lire la suite |
Lecture par Nancy Huston & Coraly Zahonero, sociétaire de la Comédie-Française
Grisélidis Réal, écrivaine et prostituée suisse, a fui le milieu bourgeois, calviniste et rigide où elle est née pour mener une vie libre. Une vie marquée par des histoires avec des hommes violents, des dizaines de milliers de relations tarifées, quatre enfants placés, des fausses couches, mais une vie illuminée par l'art et l'engagement militant au nom des travailleuses du sexe.
Poétesse magnifique, figure rebelle et courageuse, Grisélidis Réal fascine depuis de longues années la comédienne Coraly Zahonero (sociétaire de la Comédie-Française), qui lui consacre dès 2016 un « Seule en scène ». C'est en voyant cette pièce à Avignon que Nancy Huston, qui connaissait de loin en loin la Suissesse flamboyante, comprend soudain que Réal non seulement la dérange et la fascine mais la concerne.
Elle écrit à son tour une Lettre à Grisélidis Réal intitulée Reine du réel, qui vient de paraître aux éditions NiL. En parallèle, les éditions Seghers réunissent pour la première fois en volume, les poésies écrites par Grisélidis Réal tout au long de sa vie (de treize ans à sa mort).
Dans « Chairs vives », un montage d'extraits tirés de ces deux livres, Zahonero et Huston font entendre en dialoguant la rage, l'intelligence sans compromis et la passion vitale de cette femme décidément inclassable.
En parallèle, les éditions Seghers réunissent pour la première fois en un volume, les poésies écrites par Grisélidis Real tout au long de sa vie (de treize ans à sa mort).
À lire – Nancy Huston, Reine du réel. Lettre à Grisélidis Réal, Nil éditions, 2022 – Grisélidis Réal, Chair vive – Poésies complètes, préface de Nancy Huston, éd. Seghers, 2022.