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« Mon cher Maurice, Erika m'a téléphoné hier et m'a dit qu'elle t'avait vu, elle était très contente. Quant à moi j'ai été reprise et engloutie par les tourbillons où je dois me débattre chaque nuit. Je mets tout mon espoir, ma volonté en ce 1er juillet prochain où je serai délivrée. Vois tu Maurice, tu n'as peut être pas compris vraiment ce que c'est pour moi, tout ça. Loin d'être une partie de plaisir, c'est bien plutôt une torture, la démolition de l'âme et du corps. » Grisélidiss Réal, mémoires de l'inachevé, extrait. Sommes nous prédisposé à vivre ce nous vivons ? Pour quelle raison a t elle connu l'enfer a t elle fait naître une galaxie entière ? D'où le vient cette fulgurance, cette beauté primale, cette force, cet instinct ? Besoin d'amour, urgence de liberté. « Chaque matin, à l'aube, quand je vais au lit, épuisée, il me semble qu'un troupeau de pourceaux m'a passé dessus, qu'ils m'ont piétinée, meurtrie, bavé dessus, craché sur mon visage, dans mes yeux, mes oreilles, ma bouche. C'est une sensation d'humiliation et d'horreur, qui me pousserait au-delà de la nausée jusqu'au meurtre. Oui je pourrais facilement, très facilement tuer si je me laissais aller. » Elle est de celles qui sont blessés de longtemps. de celles qui transforment les larmes en étoiles. de celles qui sont heureuses comme des folles d'exister. De celles qui respirent de voir l'enfant jouer devant la fenêtre. Qui sourient à tous les soleils futurs. De celle qui écrivent des lettres comme pour faire des trous dans les murs. Pour respirer, pour crier, hurler, bercer, consoler, maudire, voir et parler et nous regarder. Des adresses d'amitié d'amour et de tendresse. Putain et prisonnière mais peintre poète, écrivain. Maitresse amante, et pleine mère guerrière. La prison. La drogue. La faim. La peur. La traque. La trique. La fuite… Et quand on lit cette correspondance quelle joie, quel bonheur ! Quel espoir toujours réactivé. Quelle confiance en la vie, quel regard sur l'humanité. Quelle innocence préservée. Quelle combativité. Ordre Moral, curé, armée, poulailler. Elle reçoit des coups mais elle sait en donner. Comment a t elle fait cela ? sauver ce qui en nous est le plus précieux ? comment a t elle fait pour qu'ils ne lui massacrent pas son innocence ? Lucide oui. Tourmentée blessée à jamais. Naïve jamais. Mais tellement jeune dans ses élans. Oui flamboyance. Eclat, couleurs, vibrations, mouvement. La vie plein la gueule, à pleine dents, à coups de crocs. Mais lire, peindre ecrire, aimer toujours, prendre soin. Dire l'injustice, l'injustice de l'étroitesse des corps, de cruauté denos vies, sauvegarder la Beauté. J'ai pris le parti de lire cette correspondance avant tout autre lecture de Grisélidis Real. Je crois que toute sa vie contient son oeuvre. Lettres, dessin, peinture, enfants, musique, tout est un chemin. Un chemin, une route, qui mène où bon nous semble de la retrouver . « Les palais aux velours obscurs », « mort en sursis » et « Lili » sont des textes étonnants. Grésilidis, la tzigane, la gitane, la libre, la flamboyante. « Oui moi Moi l'enfant Vous m'avez donc volé ma peau Lié mes mains Scellé mon sexe Vous m'avez dérobé l'amant de mes huit ans et l'amante de mes quatorze ans Vous m'avez rendue frigide suicidaire paranoïaque et Putain Je vous vomis papa mama caca gaga Le foutre aux tombes La Merde au coeur La Mort au cul et l'âme aux chiens. Qu'on m'exorcise moi je veux tous les corps contre le mien Bites bouches couilles cul tripes con vagin langues doigts Mimosa violettes algues prunelles grenades Orange amère mon père ma mère ma soeur mon frère Qu'on m'ouvre enfin le ventre Qu'on y foute l'univers Tant que nous n'aurons pas éjaculé nos morts La vie n'est pas possible. » Grisélidis Real c'est une flamme, un brasier, une étoile hurlante, vibrante, battante. On a rarement lu chose pareille. Et c'est un véritable bonheur que de vivre des instants de lecture comme celui là. Astrid Shriqui Garain Lien : https://dutremblementdesarch.. + Lire la suite |
« […] une voix poétique que l'on peut classer parmi les plus grandes du XXe siècle, mais à peu près inconnue. […] personne ou presque n'a entendu parler de « Grisélidis Réal, poète ».
Et pour trois raisons. Primo, elle n'est pas française mais suisse. Secundo, en tant qu'écrivaine, presque toutes ses publications relèvent d'autres genres que la poésie : roman, correspondances, carnets, journal intime, sans parler de ses nombreux articles et interviews, alors que ses poèmes n'ont été édités que de façon sporadique et fragmentaire. Tertio, elle a surtout défrayé la chronique en tant que prostituée.
[…] - Une pute poète ?? […] Lisez seulement. […]
Grisélidis Réal (1929-2005) - ce n'est ni son nom de plume ni son nom de guerre, mais son vrai nom - est […] l'aînée de trois filles d'un couple d'intellectuels : père linguiste, grand spécialiste du grec ancien, mère professeure de français et amie des arts.
Pris séparément, ni la naissance dans une famille d'intellectuels aisés, ni le fait d'avoir longuement pratiqué le métier de travailleuse du sexe ne vous prédisposent à devenir poète. […] un troisième ingrédient est indispensable : le malheur. […] dans la vie de Réal il frappe tôt : une maladie emporte son père adoré quand elle n'a que huit ans. […]
[…]
le malheur persiste : à quatorze ans, des douleurs aux poumons obligent Grisélidis à faire un séjour loin de sa famille, dans un sanatorium pour enfants. Dès qu'elle revient à la maison, sa mère lui impose une surveillance maniaque et une discipline de fer. Avide de voir ses trois filles devenir de parfaites épouses, mères et femmes au foyer […], elle marque du coin de ses tabous calvinistes non seulement le plaisir érotique, mais toutes les formes de plaisir. […]
À vingt-trois ans, amoureuse d'un peintre, elle tombe enceinte, se marie et donne naissance à un fils. Or le peintre en question déclare n'aimer ni le mariage ni les enfants. À partir de là, elle va explorer les bas-fonds […]. Frigidité, psychothérapie, fausses couches, maternité solitaire, avortements, désespoir, antidépresseurs, alcool. […] À trente ans, divorcée, elle se retrouve avec quatre enfants de trois pères différents. On lui enlève les enfants. Elle songe à se supprimer.
Terrassée par la tuberculose, c'est au sanatorium de Montana, dans le canton du Valais, que Grisélidis trouvera en tâtonnant son vrai chemin de poète. Il passe par la prostitution […]. Une autre femme doit advenir. Va advenir.
[…]
[…] elle traverse encore plusieurs années difficiles. Recherche d'emploi, lutte avec l'hydre à mille têtes de l'administration suisse pour le droit d'élever ses enfants, histoires d'amour, retour, la mort dans l'âme, à la prostitution, maladies nombreuses et variées. […]
En 1975, Réal rejoint la lutte des prostituées en France et décide de mettre sa vie au service de cette cause. […] son engagement militant aux côtés des travailleuses du sexe va exclure radicalement la poésie. Entre 1975 et 2002 […], le hiatus dans sa création poétique est total.
En 2002, on lui diagnostique un cancer grave… et la poésie de renaître en beauté. […] Elle n'en sortira plus : ni de la grande maladie, ni de la grande poésie. […] La conscience de la mort est omniprésente. Et avant de trépasser, elle va se surpasser.
[…]
Quatre ans après sa cérémonie d'obsèques dans un cimetière ordinaire, les restes de Réal ont été transférés au cimetière des Rois à Genève, réservé aux citoyens ayant contribué notoirement à l'histoire de la ville. C'est une des très rares femmes à y être ensevelies. Elle gît entre Jean Calvin (1509-1564), son ennemi préféré de toujours, et Jorge Luis Borges (1899-1986), une de ses idoles en poésie.
[…] » (Nancy Huston)
Le Cycle de la Vie
Jouez, enfants, dans la lumière
dit la Vie au rire argentin,
Ne soyez soucieux ni austères,
Mais ivres d'espoir et de joie
comme fleurs écloses au matin.
Chantez, jeunes femmes aux yeux clairs
L'Amour se lève à l'ombre du coeur
Laissez-le éclairer votre voieLaissez s'envoler la Douleur
Ne goûtez à la Coupe amère.
Laissez couler, femmes mûries,
Vos larmes après la haine ;
Piétinez vos âpres souffrances.
Espérez, vous redit la Vie
Enterrez vos rêves et vos peines.
Éteignez, vieilles, de l'Existence,
Et du Refus, le pâle flambeau
Du coeur fermez la fenêtre,
Pensez à ce qui fut beau
Et bénissez ce qui va l'être.
Grandvaux, 15 avril 1942
0:04 - Poème de l'étoile de mer
1:22 - Prison
2:12 - Cantique de l'emprisonnement
4:01 - Requiem pour un Amour
4:33 - Oceano Nox
6:11 - Obsèques
6:51 - Générique
Référence bibliographique :
Grisélidis Réal,