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Critique de Icijyt


Les deux étendardsLucien Rebatet
L'anté Idiot
Lire Rebatet à 60 ans en 2020 n'est pas comme lire Céline dans les années 70 à 20 ans.
Donc impossible de lire « Les Deux Etendards » sans penser à la position de Rebatet pendant l'occupation. Et la question est : Qu'en transparaît-il dans son roman ?
C'est dans un premier abord, comme pour Celine, le style qui intrigue s'il ne séduit pas. Ils sont à l'opposé, certes, il n'y a pas chez Rebatet le désire de transfigurer l'écrit littéraire, il y a au contraire une jubilation pour un certain classicisme (Proust). Les univers stylistiques des deux auteurs sont très éloignés l'un de l'autre. Mais Rebatet a aussi sa « petite musique ».

On commence et on pense au Grand Maulnes et puis à la mesure de ce long texte, il devient de plus en plus difficile de savoir où on se situe. On lit ce roman et on pense à Stendhal ou à Dostoievski. Un «anté-Idiot» ou une Chartreuse de Lyon.
Des fulgurances traversent ce roman, le lecteur est bousculé d'un extrême à l'autre comme dans un grand huit. (Helter-Skelter) - le personnage principal nous surprend, nous déçoit, nous ennuie.
Est-ce le fait que ce livre a été publié après la guerre que l'auteur n'a pas voulu faire apparaître son antisémitisme premier ? Où tout simplement, est-il passé à autre chose. La question du christianisme, de l'innocence, de la morale se retrouve ici fortement posée. Il va s'agir de chrétienté, beaucoup de chrétienté. de longs dialogues sont le moyen d'exposer une connaissance profonde de la religion catholique. le but étant de mettre en exergue toutes ses contradictions, ses roueries, manipulations. On pourrait s'attendre à ce que les juifs soient mis au pilori mais ce n'est pas le cas,.
Par un anti-cléricalisme féroce, la religion est la cible, pas la foi. de longs passages composent une analyse clinique, voire chirurgicale de la religion, de ses fondamentaux, de sa liturgie et de sa pratique. Tout y passe, les évangiles et les exégètes, l'Eglise, les prêtres et les croyants. On est perplexe devant ces ratiocinations et logorrhées, puis on se dit que les personnages ont à peine vingt ans, l'âge des questions et des débats sans fin où le doute fait bon ménage avec les certitudes.
La foi est disséquée (Dostoievski) comme l'amour (Stendhal), assez crument d'ailleurs, l'une comme l'autre ; leurs composants grotesques et absurdes ne sont pas éludés.
L'amour… Au milieux de ce fatras brinquebalant, on y trouve les plus belles pages de littérature, chargée de délicatesse, de sensibilité sans sensiblerie, le je ne sais quoi et le presque rien, l'art de l'évitement, de l'hésitation, de l'angoisse de l'échec, du fiasco (Stendhal encore). le corps et ses apprets, le corps et ses formes, le corps et ses substances sont décrits avec bienveillance même dans ses aspects les plus triviaux. le sublime étant évidemment celui de l'être aimé avec l'érotisme le plus trivial, animal mais finalement le plus romantique. Car il s'agit bien aussi de romantisme dans ce roman.
L'amour mais l'amitié quand il est difficile de savoir ce que sont l'un et l'autre, où est la différence. Avec peut-être cette idée que l'amitié serait l'amour sans le corps, sans l'érotisme.
La parole alors se substituerait à la caresse.
Au final, étrange livre dont on ressort quelque peu bousculé et perplexe., parfois ennuyeux, longuement discursif puis traversé de fulgurances éblouissantes. de fait, on continue la lecture en attendant, en espérant la prochaine fulgurance, au détour d'une page, de même que l'on patiente lors de l'ascension lente du chariot du grand huit avec en soi le désir jubilatoire teinté d'angoisse de la sensation promise de la descente à venir.
Ce roman peut générer un rejet absolu comme un sentiment ambigu et on se retrouve comme à la première lecture de Céline. Est-ce dû à une morale actuelle où il est imposé de juger une oeuvre à l'aune de la vie de l'auteur . Mais on comprend aussi pourquoi un Camus a pu demander une indulgence pour Rebatet à la libération (qui a été condamné à la peine de mort, puis gracié)
Livre qui laisse des traces, qu'on n'oubliera pas et qui ne se rangera pas dans la bibliothèque de l'oubli. Roman exigeant beaucoup de son lecteur, peut-être hors du temps, désuet ou intemporel, impossible à concevoir en ces temps, mais plombé par le jugement porté sur l'auteur. Au fond le débat est biaisé car on ne devient pas pédophile parce qu'on aura lu Dostoievski et Gide, pas plus qu'on devient antisémite parce qu'on aura lu Céline et Rebatet… Et si finalement, c'était le contraire. l'oeuvre construit l'être. Il est impossible de voir en ce roman une oeuvre destructrice, nihiliste ; elle construit une vie, met en exergue une condition humaine, cela n'a rien d'inacceptable, d'insupportable. Elle fouille dans nos propres tourments et nous oblige à réfléchir comme nous même dans un miroir peu flatteur mais au cadre d'or.
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