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Critique de Presence


Ce tome est le quatrième dans une série d'adaptation des romans de Robert Erwin Howard mettant en scène le personnage de Conan. La première édition date de 2018. Elle compte 68 pages de bande dessinée. L'adaptation a été faite par Robin Recht qui a réalisé l'adaptation du texte, les dessins et la mise en couleurs. Il s'ouvre par une page d'introduction rédigée par Michael Moorcock, créateur du concept de champion éternel et auteur de romans comme par exemple la série Elric. Il se termine avec un texte de 2 pages rédigé par Patrice Louinet, revenant sur la genèse du texte de Robert E. Howard et son contexte de publication, ainsi que par 4 illustrations pleine page de Recht, et une de Mathieu Laufray.

Dans des montagnes enneigées, sur un sommet, une jeune femme a perçu l'approche des guerriers, une troupe d'hommes du Nordheim. Elle pense à cet affrontement rituel qui se déroule au premier soleil après l'hiver, entre les Aesirs et les Vanirs, une lutte sans trêve, ni merci, sans vainqueurs n vaincus. La troupe menée par Jarl Niord arrive devant un groupe de guerriers morts sur la neige ensanglantée. Ils interrogent le dernier survivant qui indique que Heimdul (seigneur des Vanirs) est déjà en train de combattre sur le lac gelé. Les guerriers Aesirs se moquent du prisonniers, se soulagent sur lui et le laissent attaché pour qu'il soit dévoré par les loups.

La troupe de guerriers Aesirs poursuit son chemin vers le lac gelé, sous les flocons de neige. Gorm et un autre se disputent pour savoir quel guerrier sera le plus valeureux et lequel la fille du géant du gel (une déesse) va choisir. Grom affirme que c'est sans doute Heimdul, un Vanir, qui sera le plus fort, ce qui irrite fortement son interlocuteur. Sur le mont Odroerir, une jeune femme rousse, uniquement vêtue d'un pagne, une sorte de voile transparent, observe de très loin l'affrontement sur le lac gelé, avec 2 ours blancs énormes à ses côtés, ses frères. Sur le lac, l'affrontement est d'une violence inouïe, la glace devenant rouge de sang, les guerriers mourant les uns après les autres dans un carnage terrible. La déesse à la chevelure rouge se repaît de ce spectacle, convaincue que Heimdul sortira vainqueur, par sa haine ancestrale des Aesirs, par sa fureur dans la mêlée. Elle sent le désir monter en elle, alors qu'elle s'imagine déjà le conduire sur l'Odroeir. Mais parmi la pulsation des battements de coeur, elle en distingue un nouveau qu'elle ne connaît pas, un ours parmi les loups, un seigneur de la guerre.

Suite à l'arrivée d'une partie des droits dans le domaine public, l'éditeur Glénat a mis en chantier une série d'adaptation des aventures de Conan par différentes équipes de créateurs. Robin Recht s'est fait remarquer peu de temps auparavant pour sa participation à l'adaptation en BD de Elric avec Julien Blondel, Didier Poli et Jean Bastide. Ici, il a choisi d'adapter un texte assez court de 1953, celui écrit par Robert E. Howard où Conan est le plus jeune. Ce n'est pas la première fois que ce texte est adapté en bande dessinée, le lecteur ayant déjà pu lire la version réalisée par Barry Windsor Smith & Roy Thomas, et publiée par Marvel en 1971. L'horizon d'attente du lecteur réside dans une adaptation par Recht, et pas une simple mise en images. Il est donc légitime que l'auteur ne reprenne pas tous les éléments de la nouvelle originelle (par exemple le nom de la fille du géant du gel n'est pas mentionné) et qu'il en donne son interprétation, en accentuant un point de vue, qu'il en fasse une lecture orientée. D'emblée, le lecteur retrouve bien les conventions de genre qu'il est venu chercher : des barbares qui s'affrontent à l'épée dans une époque mythologique, en faisant assaut de puissance virile. Il se rend vite compte que l'auteur transcrit avec respect les caractéristiques de Conan : il retrouve bien Conan tel qu'il le connaît, l'apprécie, le personnage qu'il est venu chercher.

Robin Recht ne réduit effectivement pas son adaptation à une mise en images servile. Il décide de développer son interprétation personnelle suivant 3 axes : la dimension sexuelle du comportement d'Atali (la fille du géant du gel), la violence des affrontements physiques, et de manière sous-jacente la personnalité de Conan. La première fois que le lecteur aperçoit Atali, il s'agit d'un dessin en double page, un très gros plan centré sur son regard, avec des mèches de cheveux volant devant. En page 13, il découvre une jeune femme svelte et rousse, dépourvue de corsage (bodice dans la nouvelle) avec uniquement un fin voile transparent retenu par une fragile ceinture. Robin Recht embrasse la dimension sexuelle du récit en la rendant explicite. La jeune femme est quasiment nue. Elle adopte des poses lascives pour exciter le désir de Conan, jusqu'à se pencher en avant en lui tournant le dos pour qu'il est une vue dégagée sur sa croupe. Recht ne masque pas la nudité d'Atila, et représente ses seins, ses fesses et sa toison pubienne, sans verser dans la pornographie, sans gros plan ou jambes écartées. Il la représente également en train de se caresser, jouissant littéralement de la souffrance et de la mort des combattants. En fonction de sa sensibilité, le lecteur peut trouver que cette explicitation visuelle du désir sexuel est superflue ou de mauvais goût, ou alors que Recht refuse l'hypocrisie pudibonde pour transcrire la force de cette pulsion sexuelle. Atila passe alors du stade d'allumeuse de talent à l'incarnation de ce désir. Conan est soumis à la brutalité vicieuse de cette pulsion sexuelle capable de faire perdre la raison par son intensité irrépressible.

L'une des conventions du genre Heroic Fantasy réside dans les affrontements physiques à l'épée, ou avec toute autre arme tranchante, entre des hommes puissamment musclés, tranchant dans le vif sans arrière-pensée. C'est l'une des caractéristiques qui en fait une littérature d'évasion cathartique. de fait la violence fait son apparition dès la page 8, avec la lame d'une épée ensanglantée. En page 9, le lecteur voit un individu attaché à un arbre, son corps ensanglanté, des cadavres dans la neige elle-même maculée de rouge. Les dessins ne sont pas extrêmement descriptifs dans le gore, ils se cantonnent plus sur une impression générale. Cette approche visuelle est confirmée par les 2 cases s'étalant sur la largeur de la double page 14 et 15, avec des silhouettes représentées en ombre chinoise s'affrontant brutalement, maculées de tâches rouge sang pour figurer les blessures. La composition est époustouflante et transcrit avec force le carnage. En page 18, la silhouette en ombre chinoise de Conan se détache sur le fond rouge pour une impression massive, faisant comprendre son triomphe sur le champ de bataille au milieu de la boucherie. le combat au corps à corps qui s'en suit entre lui et Heimdul est tout aussi sauvage et sanglant, toujours sans recourir à des descriptions gore. le lecteur prend conscience que Robin Recht joue avec les onomatopées, augmentant la taille de leur police. Il va jusqu'à réaliser une case en camaïeu à base de rouge Bordeaux et de rouge Sang de boeuf, avec 5 énormes Tchak ! comme uniques éléments sur cette case. L'artiste joue ainsi avec les bruitages, du râle de jouissance d'Atali en page 43, aux battements de coeur envahissant peu à peu les planches de la page 48 à la page 58. S'il est coutumier de ce type d'utilisation des onomatopées, le lecteur se dit que l'auteur aurait travailler plus son lettrage pour des effets visuels encore plus saisissants, à l'instar de ceux que peuvent créer des lettreurs comme Ken Bruzenak ou Dave Sim.

Ainsi Robin Recht donne une dimension mythologique aux affrontements physiques en tirant ses dessins vers le conceptuel, entre art abstrait (des cases prenant leur sens dans le rapport qui les lie à leur voisine) et impressionnisme sauvage. En insistant visuellement sur le comportement sexué d'Atila et sur la sauvagerie des combats, l'auteur met en parallèle le plaisir sexuel et la mort, entremêlant Éros & Thanatos, sans avoir à utiliser de mots. le lecteur suit les rebondissements sans surprise de l'intrigue (surtout s'il en a déjà lu une autre version, l'originale ou une adaptation en BD), tout en se laissant subjuguer par la force graphique des pages. Il éprouve la sensation de lire un conte adulte, jusqu'à venir à en oublier le personnage principal. Pourtant, Conan est bien au coeur du récit, à la fois la proie de la fille du géant du gel, à la fois un homme refusant de se soumettre à la volonté de cette femme, ne succombant pas à son appétit sexuel. En effet l'auteur brosse un portrait un creux du cimmérien. Il n'insiste pas sur le fait qu'il soit un étranger parmi les Aesirs et les Vanirs, ou qu'il se retrouve sur un territoire plus au Nord que la Cimmérie, ou encore qu'il n'ait probablement pas 20 ans. Il laisse le lecteur se faire une idée par lui-même du caractère d'un individu qui se comporte comme Conan, qui réagit de cette manière. Conan se bat aux côtés des Aesirs, et Atali indique qu'il est un ours parmi les loups. Il est donc à sa place sur ce champ de bataille, au coeur de ce massacre.

Par la suite, Conan déclare à Heimdul qu'il va le tuer, une phrase simple et concise. Il ressent pleinement les avances explicites d'Atali et y répond en la pourchassant dans les bois enneigés, mais sans pour autant passer à l'acte. Il dispose d'une maîtrise de soi qui lui permet de se contenir et de ne pas se comporter comme l'attend Atali. Dans une séquence terrifiante dans l'eau glaciale, il s'extirpe des victimes d'Atali, refusant de se soumettre, de partager leur sort. Il s'agit d'une nouvelle preuve de sa force de caractère, de sa volonté inflexible. Il en est encore de même dans le dernier affrontement, refusant toute forme de soumission, d'atteinte à l'intégrité de sa personnalité. Conan refuse toute compromission de ses valeurs, toute tentative de se voir imposer une volonté à laquelle il n'aurait pas consentie, de mettre en péril son esprit, même s'il doit le payer de sa vie. le lecteur peut y voir l'expression jusqu'auboutiste d'une indépendance absolue, d'un besoin vital d'autonomie qui passe avant la satisfaction de tout autre besoin, à commencer par les pulsions qu'elles soient vitale ou sexuelle.

Le lecteur ressort de cette interprétation de la nouvelle de la fille du géant du gel, sous le charme d'une narration visuelle personnelle et ambitieuse, n'hésitant pas à faire de la place aux dessins, à commencer par 5 dessins en double page, et 1 en pleine page. Il éprouve à la fois la sensation d'avoir lu une vraie histoire de Conan, à la fois d'avoir une interprétation du personnage. Il a apprécié la démarche crue de l'auteur refusant le tiède, en phase avec Conan. Il est aussi possible qu'il ressente comme un petit manque, comme si les pages révélaient toutes leurs saveurs au premier coup d'oeil, sans receler rien d'autre. À l'évidence, Robin Recht a profité de l'occasion qui lui est donné pour interpréter l'histoire de Robert E. Howard en fonction de sa propre sensibilité, pour en donner sa vision à la fois par des images et une narration visuelle fortes, à la fois en développant les thématiques qui lui importent. En cela, ce tome est une réussite, tenant le pari d'une version personnelle d'un personnage ayant pourtant déjà été maintes fois adapté, y compris par des artistes de talent, 5 étoiles. Il reste possible que le lecteur trouve l'exercice virtuose sans qu'il n'enrichisse le récit originel de Robert E. Howard, 4 étoiles.
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