AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
3,62

sur 448 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
« Tout observateur du genre humain sait combien il est difficile de raconter une expérience de telle sorte qu'aucun jugement n'interfère dans la narration » (Georg Christoph Lichtenberg)


Alice termine sa scolarité secondaire dans un lycée privé américain. Non loin de là, les élèves de l'établissement public, aspirant au championnat de la crosse (1) passent le plus clair de leur temps à organiser fêtes, beuveries, sauteries, et dragues grossières.


Un soir deux adolescents sont accusés, au bruit d'une folle rumeur à laquelle ils ne sont pas étrangers, d'avoir abusé d'Alice au moment de la ramener, ivre, à son domicile.


Alice, depuis qu'elle est au collège, s'essaye, avec son amie Haley, à l'écriture de scenarii cinématographiques. Elle ne cessera, sa vie durant, marqué par cet évènement qui se serait produit, ou pas, de rechercher la vérité.


Il s'ensuit une quête permanente de celle-ci narrée aussi bien par la victime ainsi que d'autres protagonistes du roman, témoins directs ou indirects., sans que l'on sache, pas même la présumée victime, si l'évènement – le viol -, qui va marquer les personnages du récit, a eu lieu ou non.


Il conviendra d'attendre la toute dernière page pour comprendre la subtilité et l'originalité de l'ouvrage de Kate Reed Petty.


True Story, (Gallmeiter, 2021) dont le titre n'a pas été traduit, lors de sa parution en France, est le premier roman de Kate Red Petty.


Elle court, elle court la rumeur… Pour rendre compte de celle-ci, l'auteur utilise deux procédés audacieux, empreint d'un brin de folie, mais qui fonctionnent à merveille à raison de la quasi-totalité, et de la singularité et du machiavélisme à souhait de l'intrigue. Ces procédés littéraires renforcent, sans aucun doute, la qualité exceptionnelle de cette première fiction.


La première technique littéraire – il serait inopportun de la divulguer, même si l'on comprend assez vite. Il s'agit... . La seconde est qu'il s'agit d'un roman sous la forme de casse-tête, qui fait, cependant, l'économie de flash-backs, dont la compréhension se met petit à petit en place et qui contribue, au grand plaisir du lecteur, à une montée évidente de la tension et du suspense.


On ne peut d'ailleurs s'empêcher de faire le rapprochement entre la construction de cette histoire, sous forme de puzzle, et la désorganisation qui règne dans l'esprit d'Alice que l'on retrouve à chaque stade de sa vie, qui mélange, tous azimuts, ses passions cinématographiques adolescentes avec ses lettres de motivation afin d'intégrer une prestigieuse université.


L'autre particularité de fond de ce roman semble être le rapport de l'auteur au féminisme. On peut lire, ici et là, qu'il s'agirait d'un roman féministe sans autre forme de commentaires. le roman mérite cependant un meilleur approfondissement qu'un simple raccourci facile.


À l'heure où aux États-Unis et dans une partie de l'Europe, sous l'influence de minorité de néo-féministes minoritaires, mais néanmoins radicales, le roman de Kate Reed Petty prend le contre-pied de ce mouvement littéraire au profit d'un féminisme classique et raisonnable où la femme est l'égale de l'homme, sans affirmer « préférer des femmes qui jettent des sorts à des hommes qui construisent des EPR » ou de ces écrits narcissiques, de plus en plus nombreux et mal écrits, qui narrent les violences subies, ou pas, de ces femmes en quête de reconnaissance.


C'est un roman qui tranche et condamne définitivement tous les poncifs, insipides et égotiques de nombreux auteurs, autofictions et récits actuels.


L'écriture est irréprochable, autant que la traduction par définition. Simple, mais pas niaise ou maladroite et empruntée, tout en étant rigoureuse. Les qualités narratives de l'auteur sont exceptionnelles, alternant les différents modes de narration et de focalisation qui subliment à la fois la qualité de l'écriture que le fond du récit et, plus particulièrement, la tension de celui-ci.


À titre d'exemple, fait exceptionnel, l'auteur, par l'intermédiaire d'Alice, utilise parfaitement, lorsqu'elle propose sa voix à ses prétendus agresseurs, la deuxième personne du singulier (le "tu" de narration interne).


En résumé, c'est un roman subtil, intelligent et addictif comme rarement il m'a été permis d'en lire ces derniers temps.


Kate Red Petty réussit un livre remarquable qui autorise d'en espérer l'écriture rapide d'un deuxième.


Bonne lecture.


Michel.


1- La crosse est un sport collectif d'origine amérindienne où les joueurs se servent d'une crosse pour mettre une balle dans le but adverse… (Note du traducteur P. 27)

Lien : https://fureur-de-lire.blogs..
Commenter  J’apprécie          460
Alice est allée faire la fête à une soirée organisée par l'équipe de crosse du lycée public voisin du sien. Alice a dansé (beaucoup), Alice a bu (trop), Alice a été déposée chez elle ivre morte par deux des garçons... et Alice a été abusée sexuellement, enfin peut être, c'est ce que dit la rumeur qui court et s'enflamme dans le lycée jusqu'à ce que la police s'en mêle et que les garçons s'arrangent pour que l'affaire soit classée. Mais Alice ne se souvient de rien alors comment peut-elle se reconstruire quand elle ne sait même pas ce qui est vrai ou faux, quand elle doit se battre contre une histoire qui semble conditionner toute sa vie mais qu'elle ne maîtrise pas.

Quelle claque et quelle démonstration d'écriture et d'inventivité que ce True Story, premier roman d'une jeune américaine ! On est plongés tout de suite dans le drame qui fait la trame du roman avec le récit ultra réaliste des années lycée d'un des membres de l'équipe de crosse, ambiance campus américain, sport roi et équipe adulée à qui on passe tout, de bizutage en mauvais goût et de drague lourde en remarques misogynes. Voici qui ressemble fort à un (bon) roman d'apprentissage version US mais voici que le chapitre se clôt et hop, virage à 180 degrés, nous voici en train de lire et relire des lettres de candidature d'Alice à l'université, lettres plus ou moins réalistes, dans lesquelles elle évoque le traumatisme qu'elle a subi ou au contraire parle de sa passion pour les films d'horreur, lettres bouleversantes quand on comprend que pour être admise dans la fac de son choix elle a tout intérêt à cacher cet épisode et à raconter plutôt d'autres récits édifiants plus conformes à ce qu'on attend d'elle. le roman fera ensuite encore plusieurs virages loopings nous prenant de court à chaque fois : quelques scénarios de films par ici, un récit façon film d'horreur faisant monter l'angoisse à la limite du fantastique, un autre décrivant une femme tombée sous la coupe d'un manipulateur de la pire espèce. Et c'est là que le roman trouve toute sa force : loin de nous perdre, ces changements incessants se répondent, se complètent, dressent petit à petit un drôle de puzzle dont on finit par comprendre les imbrications, dont on se surprend à s'écrier "ah mais oui bien sûr c'était lui" quand on réalise tout à coup que le personnage d'une des parties est en fait untel de la partie précédente. Un vrai petit bonheur de lecture qui fait appel à l'intelligence de son lecteur et qui m'a gardée captive jusqu'à la fin.

True Story est aussi un magnifique exercice littéraire, dans le bon sens du terme : loin d'être une simple démonstration formelle, l'auteure utilise les différents genres ou styles au service de l'histoire qu'elle veut nous raconter, refusant de se laisser enfermer dans une catégorie, nous prenant à contre pied et faisant preuve d'une inventivité assez jubilatoire. La force du roman est aussi de nous faire douter et nous interroger sur l'essence même de ce qu'on lit : alors que tout commençait par un récit hyper réaliste jusqu'à cette horrible rumeur (vraie ? imaginée ?), les différentes parties du roman jouent toutes sur l'ambigüité, le personnage vit-il vraiment les événements qu'il décrit ? Est-il en train de rêver ? Est-ce un énième écho de la rumeur qui a dévasté Alice et juste une histoire de plus que nous raconte la romancière ? Toutes ces interrogations trouveront leur réponse dans un final magnifique et surprenant qui clôt magistralement ce roman pas comme les autres.

Un livre que j'ai dévoré, intelligent, subtil et qui finalement nous interroge sur la relation qui nous lie aux livres et plus particulièrement aux romans : qui raconte des histoires et pour qui, pourquoi, quelle est la vérité dans tous ces récits. A découvrir, personnellement j'ai adoré !
Commenter  J’apprécie          402
La vie est un puzzle quand elle est racontée par différentes voix.

La vérité n'est jamais absolue, elle fluctue selon les perceptions, les narrations, les compréhensions.

Une simple rumeur peut forger, modeler ou détruire des vies. Directement, en cascade ou par ricochet.

Kate Reed Petty a mûri ce roman durant 10 ans, l'a écrit pendant 5 années. Une belle démonstration qu'il faut du temps et beaucoup de travail pour donner le jour à une histoire qui marque par son originalité et sa maîtrise. de celles qui laissent sans aucun doute une trace en mémoire.

L'histoire racontée est assurément moderne dans son message. Mais l'est encore davantage dans sa construction.

Roman féministe ? Oui et non. Oui, parce qu'il met en avant les dégâts que peuvent faire sur une vie les affaires d'agressions sexuelles. Non, parce que les victimes décriées, les possibles coupables montrés du doigts et les témoins impassibles mais pas insensibles, sont tous des voix à entendre et à écouter.

Le contexte joue beaucoup, une rumeur née dans le milieu étudiant aux USA, où la pression de la réussite est constante, écrasante. Où il est plus facile de parler de succès que de malheurs. A en engendrer le mal-être, l'auto-centrage et les dérives terribles.

Le livre permet d'entrer littéralement dans la tête des différents protagonistes. Mais pas d'une manière habituelle, oh non ! La primo écrivaine réussit l'exploit de proposer du neuf, et une narration étonnante et jouissive.

Elle joue avec les genres, les temps de conjugaison, les mots, les formes du récit… Toujours au service de l'histoire et des personnages, en aucun cas un simple exercice de style. Ces manières de raconter ont un but, une ambition, des intentions.

Voilà une intrigue qui joue de finesse, déstabilise. Aussi forte que ludique, aussi impressionnante qu'émotionnellement puissante, inventive au possible. Et pourtant, le sujet est universel.

Sur un thème grave, l'autrice n'oublie pas de s'amuser, et fait le pari qu'on peut rendre une lecture ludique, même sur une thématique difficile et des âmes brisées.

Elle alterne les narrations et manie les genres, avec un bonheur et un amour constant de l'écriture. D'un (long) passage à l'autre, on glisse du récit introspectif au thriller psychologique, du « roman de campus » au scénario de film, d'une lettre de motivation à la narration à la seconde personne du singulier.

Rien n'est gadget, tout fait sens si on se laisse porter, jusqu'au final qui donnera la clé ; inattendue. de l'art de faire confiance à l'intelligence de l'autre : le lecteur à l'auteur et vice versa.

Car rien n'est simple, jamais, dans la vie comme dans les (bons) romans. True story, pousse le lecteur au point de ne plus savoir faire la différence entre réalité et fiction, à coups de perceptions et de sensibilités personnelles, de faux-semblants et de non-dits. Des failles sur lesquelles se construire, se reconstruire. Se forger une identité. Et trouver sa voie (voix).

Et quelle belle manière de montrer comment raconter des histoires ! Qu'il y a mille façons de le faire, mille formes d'expression. Avec une écrivaine qui musarde entre les genres qu'elle aime clairement, flirtant avec le roman noir (elle cite des livres de Stephen King à de nombreuses reprises).

Le croisement des genres, c'est la liberté. Faire tomber les barrières mentales, c'est une richesse. Surtout quand la partition est jouée avec une telle subtilité.

En terme de construction narrative, True Story est l'un des romans les plus inventifs et surprenants qu'il m'ait été donné de lire depuis un moment. Sans jamais perdre l'histoire en route, même si elle se révèle protéiforme.

Kate Reed Petty est sacrément audacieuse à oser la mixité de styles, à travailler ainsi le fond et la forme, le propos et l'aspect ludique aussi. Sacrée découverte !
Lien : https://gruznamur.com/2021/0..
Commenter  J’apprécie          360
Avec True Story, Kate Reed Petty signe un premier roman impressionnant, insaisissable, qui montre avec finesse et un brin de machiavélisme les effets destructeurs, et collatéraux, de la rumeur.

L'histoire commence par un bel été 1999 où, à la suite d'une soirée particulièrement arrosée, une jeune fille, Alice Lovett, se fait raccompagner en voiture par deux membres de l'équipe de crosse du lycée. Ces deux ados, deux abrutis pour qui la notion de consentement (ou de respect de l'autre) est totalement étrangère, se vantent rapidement d'avoir abusé de la jeune fille endormie. La rumeur enfle et se répand, ruinant la vie d'Alice qui, de son côté, ne se souvient absolument pas de ce qu'il s'est passé… Comment faire le deuil de ce qu'il s'est passé et se reconstruire dans ces circonstances ?

Les années passent, plutôt difficilement pour Alice, qui ne se remettra jamais d'un traumatisme dont elle n'arrive pas à saisir les contours. Malgré les exhortations continues de sa meilleure amie, Haley Moreland, à écrire son histoire (« Si tu ne la laisses pas sortir, elle prendra le contrôle de ta vie »), Alice ne semble pas y parvenir. Tout comme les différents protagonistes témoins de l'histoire, à commencer par Nick Brothers, un joueur de crosse qui, ayant couvert ses amis agresseurs, voit la suite de son adolescence brisée, ou Haley Moreland, qui deviendra une ardente défenseuse de la cause féministe et des victimes de violences sexuelles, par le biais de ses films…

J'ai adoré ce roman brillant (que pourtant, j'avais emprunté à la bibliothèque moyennement convaincue ; j'adore ce genre de retournement de situation. Et c'est loin d'être le seul concernant cet ouvrage !) parce qu'il ne se trouve jamais où on l'attend. Tout d'abord, il a le mérite d'éviter le déjà-vu en se basant sur les conséquences postérieures de la rumeur, et non pas sur l'évènement en lui-même (le fait qu'il soit vrai ou faux n'est pas tellement important en soi, ne serait-ce que parce qu'il y a traumatisme pour la victime). On voit évoluer les personnages dans leur vie et c'est plutôt fascinant, bien que douloureux (dans tous les sens du terme) parfois.

Mais aussi parce que le roman joue sur plusieurs registres pour dérouler son histoire et c'est plutôt bien joué : tantôt roman de campus universitaire, tantôt confession, ou roman (thriller ?) psychologique, roman d'horreur, le lecteur ne sait jamais sur quel pied danser jusqu'à la fin, où les morceaux, qui parfois me semblaient un peu incongrus, prennent place. L'insertion de scripts de films d'horreur, rédigés par Haley et Alice dans leur adolescence, des multiples versions de la lettre de candidature à l'université écrits par Alice, poignants, sont très originaux et donnent un souffle agréable à l'intrigue, et la rendent un peu plus difficile à saisir, comme les reflets d'un miroir brisé.

J'ai également beaucoup apprécié le discours féministe qui sous-tend l'histoire (la reprise en main de leur histoire par les femmes, la volonté de l'héroïne de ne pas se laisser voir comme une victime), et j'ai aimé voir l'autrice maltraiter avec malice ses personnages masculins. Il y en a en effet bien peu, voire aucun, qui ait un comportement adéquat ni correct… le seul qui souhaite aller sur le chemin de la rédemption, Nick, s'en prend plein la figure, sans que cela soit toutefois fait gratuitement. La critique de la vision masculine adolescente de la femme, et des notions de consentement, du harcèlement, dans la partie « roman de campus » est également faite avec subtilité, par le dégoût provoqué par ces joueurs de crosse qui se croient tout permis. On regrettera peut-être un peu le soupçon de manichéisme dans les personnages, et de caricature dans les différents registres pour les singulariser les uns des autres, mais cela est largement oubliable grâce au talent de l'autrice. J'ai lu dans d'autres critiques que celle-ci avait mis 10 ans pour élaborer son intrigue, et la moitié en plus pour la rédiger ; j'espère qu'il ne faudra pas attendre autant de temps pour lire son prochain roman !
Commenter  J’apprécie          314
Terrible lecture ! J'avais entendu parler de ce roman à la radio, et j'avais retenu qu'il s'agissait d'un roman sur les méfaits à long terme d'une rumeur… Tellement simpliste comme résumé ! Jamais je ne m'attendais à un roman aussi captivant, effrayant, stressant, étonnant ! Il est fascinant également par sa construction. On alterne entre récit, brouillons de lettres et scénarios de film, sans bien comprendre au départ où l'auteure veut aller. Certains passages sont réellement angoissants, on se croirait dans un thriller. D'autres sont plus simples à appréhender, les choses se mettent en place, on pense comprendre, puis de nouveau on s'égare, et cela jusqu'à la toute fin du roman. J'ai adoré !
Commenter  J’apprécie          150
"Faits alternatifs", c'est dès l'investiture du président Trump que l'on a commencé à entrevoir les étranges rapports que l'on pouvait avoir avec la vérité qui se sont concrétisés avec le fameux "fake news", injonctions tonitruantes pour imposer son propre point du vue imprégné d'une certaine forme de déni pathologique. C'est également sous cette législature qu'a émergé cette terrifiante culture du viol sévissant notamment sur les campus universitaires, ceci d'ailleurs bien avant l'avénement trumpien. Muri durant une décennie et rédigé sur l'espace de cinq ans, on ne s'étonnera donc pas, dans un tel contexte, que True Story, premier roman de Kate Reed Petty, empoigne de manière assez magistrale ces deux sujets délicats où la vérité se dilue dans les méandres tumultueux de la rumeur d'un viol lors d'une soirée de lycéens qui embrase finalement l'ensemble de la communauté d'une petite ville typique des Etats-Unis. Vivant à Baltimore dans le Maryland et diplômée de l'université de Saint Andrew en Ecosse, on ne sait pas grand chose de Kate Reed Petty qui livre sur son site l'intégralité de ses nouvelles ainsi que les références d'une bande dessinée dont elle est la scénariste. Mais on s'intéressera davantage aux trois vidéos qu'elle a réalisées où l'on découvre sur l'écran d'un ordinateur l'élaboration de mails et des échanges ou commentaires qui s'ensuivent en nous donnant ainsi quelques clés quant à la mise en oeuvre d'un roman tel que True Story avec son style protéiforme si particulier.

Du côté de Barcelone, où Alice Lovett s'est retirée, l'histoire débute par ce rendez-vous manqué avec sa meilleure amie Haley Moreland qu'elle ne peut se résoudre à revoir. Il y a cette résurgence du passé qui la hante, cette soirée de l'été 1989 qui a dérapé avec deux adolescents ivres balançant cette terrible rumeur gangrenant toute la localité. Que s'est-il passé sur la banquette arrière de la voiture, alors qu'ils ramenaient Alice à la maison ? Elle n'en garde aucun souvenir. Pourtant, de la rumeur jaillissent accusations, dénis et faux-semblants s'enchaînant dans un tourbillon incontrôlable qui va marquer la jeune fille à tout jamais. Par le prisme de son point de vue, chacun façonne ses propres certitudes qui rejaillissent dans le présent. Mais qui détient la vérité et existe-t-il un moyen de réparer les erreurs du passé ? C'est autour du parcours des différents protagonistes que l'on pourra peut-être extraire de la rumeur l'indicible réalité qui se dilue dans le jugement des autres. de confrontations tendues en épreuves angoissantes, tous vont apporter leur pièce du puzzle que forme l'ensemble de cette histoire vraie.

True Story se présente sous la forme d'un impressionnant kaléidoscope narratif qui met en exergue la confusion émanant des rumeurs d'un viol dont la victime, Alice Lowett, ne conserve aucun souvenir, tandis que les auteurs, Richard Roth et Max Platt, nient toute implication dans une agression sexuelle à l'encontre de celle qu'ils prétendent avoir tout simplement ramené à la maison. Dénis, confusions, doutes, l'ensemble de l'intrigue se focalise donc sur les incertitudes d'un tel événement qui va bouleverser la destinée d'un quatuor de personnages impliqués de près ou de loin dans cette tragédie d'adolescents qui vont apporter chacun à leur manière un éclairage plus ou moins biaisé des événements. Ainsi, au gré des récits à la première, deuxième et troisième personne, des échanges de mails, des brouillons d'une lettre de motivation, des extraits des enregistrements d'un dictaphone et des scénarios ponctuant le roman, on saluera l'impressionnant travail de traduction de Jacques Mailhos qui parvient à restituer le cadre et l'atmosphère confusionnel se dégageant des différentes trajectoires des protagonistes du roman. Plus que des effets de style, ces formes de narrations multiples soulignent les points de vue des individus cantonnant dans leurs certitudes respectives à l'instar de Nick Brothers qui dépeint, l'air de rien, tout les mécanismes de la culture du viol et du déni qui en résulte par le prisme des soirées qu'il organise avec son équipe de champions, sur la base de thèmes graveleux qui ramènent les filles au rang d'objets, ceci sous le regard complaisant de leur coach qui n'a rien contre les bizutages dont les membres de l'équipe sont tous victimes. A l'opposé, on découvrira le militantisme de Haley Moreland, amie de la victime, qui aspire à dénoncer les faits à tout prix par le biais d'un documentaire, ceci afin de lutter contre cet état d'esprit dont elle est témoin et qui la révolte. Mais au delà du doute qui émane en permanence de l'intrigue, Kate Reed Petty souligne également le déni, ou plutôt la culture du silence du corps enseignant dont on prend la pleine mesure avec les différentes versions de la lettre de motivation d'Alice Lowett pour l'université, ponctuées des corrections de sa professeure l'invitant, de manière sous-jacente, à taire son expérience du viol dont elle a été victime, avec une version définitive expurgée qui ne fait qu'accentuer l'aspect poignant du récit.

Sans jamais forcer la dose, les différents aspects narratifs originaux de True Story soulignent ainsi l'incertitude de la vérité au gré d'un récit abordant à la fois avec intelligence et subtilité les aspects troubles des rapports entre adolescents, du drame qui en découle et de l'impact sur le cours de leurs existences respectives que Kate Reed Petty décline avec force de maîtrise et de virtuosité.

Kate Reed Petty : True Story (True Story). Editions Gallmeister 2021. Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Jacques Mailhos.

A lire en écoutant : This Mess, We're In de PJ Harvey (feat. Thom Yorke). Album : Stories from the City, Stories from the Sea. 2000 Universal Island Records Ltd.
Lien : https://monromannoiretbiense..
Commenter  J’apprécie          130
En 1995, on n'est pas encore à l'ère des réseaux sociaux, mais les rumeurs ou les mauvaises réputations peuvent aussi se diffuser extrêmement vite. Kate Reed Petty propose un roman noir aux frontières du thriller et du fait social. Un livre qui m'a de suite séduit pas des styles d'écriture différents qui enrichissent le propos et relancent la dynamique de lecture. Ce jeu est parfaitement maîtrisé par l'autrice, qui perd le lecteur, le rattrape jusqu'à une fin inattendue, qui peut aussi être perçue comme de la manipulation. Mais être manipulé à ce niveau relève d'un grand art.

Alice Lowet est une adolescente avec un certain talent littéraire. En fin d'une soirée très arrosée, deux garçons, membre de l'équipe de Crosse, la ramènent chez elle bien éméchée et endormie sur le pas de sa porte. Pourtant, dès le lendemain, une rumeur sordide impliquant les 3 jeunes s'amplifie sur l'ensemble du campus. Entre accusations, témoignages, groupes de pression, réalité déformée par l'alcool et la drogue, l'ensemble des protagonistes ne se tirent pas indemnes du procès. Plusieurs années plus tard, les rancoeurs persistent, les idées de vengeance ou de pardon perdurent sans que l'on connaisse vraiment la vérité.

True Story oscille donc entre le roman noir et thriller. Très intelligemment construit, le lecteur navigue entre la réalité et le fantasme, ce qui trouble forcément la perception des faits. Mais ce trouble est lié à ce qu'une rumeur peut jeter sur les vérités. Kate Reed Petty signe donc un ouvrage dans lequel les chimères, les hallucinations, les mensonges et la vérité s'entrecroisent comme dans la vraie vie où les victimes de rumeurs sont dépourvues d'armes face aux allégations les plus blessantes. Une réalité d'autant plus prégnante, désormais, avec les réseaux sociaux.
Commenter  J’apprécie          100
Kate Reed Petty nous dévoile ici son premier roman, True Story, dont le titre est non traduit mais où la traduction française semble très bien faite.

Deux sujets plutôt actuels sont évoqués ici : les conséquences d'une rumeur et les violences faites aux femmes.

Après une soirée arrosée de l'été 1999, une rumeur court concernant Alice Lovett et deux joueurs populaires de cross sur un campus américain : Alice aurait été raccompagnée et violée par ces deux joueurs.

J'ai littéralement adoré la forme narrative de ce récit qui est indéfinissable : une narration principale, des mails, une pièce de théâtre, différents styles d'écriture... Impossible de définir un genre littéraire pour ce livre si particulier, et c'est ce qui fait sa force aussi.

Haley Moreland était la meilleure amie d'Alice. Nick, lui, était amoureux d'Haley, mais c'est aussi celui qui a été accusé.

Quelles sont les conséquences sur une fille d'une jeune fille violée jeune par ses camarades ?
Quelles sont les conséquences d'une rumeur sur les personnes impliquées au court de leur vie ? Quelles vont en être les répercussions pour les autres interagissant autour des principales personnes concernées ?

Nous allons suivre ici leur parcours de vie, sous cette narration étrange, avant d'avoir à la fin un twist final intéressant qui va accorder toute la lumière sur cette sordide soirée d'été.

Contrairement à ce que j'ai pu lire, je n'ai pas trouvé que c'était un livre dédié à la suprématie des hommes sur ce type d'histoire, mais au contraire un point de vue des "deux" parties et une quête pour savoir comment démêler le vrai du faux.

En bref, je recommande à 100% ce roman si original et tant d'actualité.

Petite parenthèse concernant les éditions Gallmeister et la collection Totem, je découvre depuis peu leurs livres et je dois dire qu'ils aiment dénicher et éditer des pépites à chaque fois !
Commenter  J’apprécie          90
Alice Lovett est prête-plume et depuis toujours, elle raconte la vie et les histoires des autres. Pourtant, sa propre histoire, celle qui la hante, elle ne la raconte pas. Jamais. Quinze ans se sont écoulés depuis que deux camarades se sont amusés à lancer une rumeur à son sujet : elle aurait été abusée sur la banquette arrière d'une voiture après une soirée très arrosée mais ne se souvient de rien. Deux versions se sont confrontées et se confrontent toujours, alignant sans cesse de nouveaux doutes au tableau de ses souvenirs. Mais lorsque le passé fait surface pour se mêler au présent, comment faut-il réagir ?

Le premier roman de Kate Reed Petty a toutes les qualités d'un vrai page turner à l'américaine. le narrateur plonge son lecteur dans l'intimité d'un petit lycée et de ses fêtes entre copains à la fin des années 1990, des premiers flirts mais aussi les excès et les drames que cela engendre parfois. Roman à plusieurs voix, True Story nous lance dans une rumeur, l'accident d'Alice, raconté par plusieurs protagonistes et l'impact que cet évènement a eu sur leur vie. Avec brio, l'auteure y dénonce les faux-semblants, les mensonges et les actes que l'oubli ne connaît pas.

On découvre la double casquette de Kate Reed Petty, également cinéaste, qui s'adonne régulièrement à des scénarios dignes des films d'horreur qui ont fait frissonner la terre entière tout en donnant à ses personnages ce même goût pour le septième art. Littérature et cinéma se fondent parfaitement pour sublimer l'atmosphère oppressante qui se dégage de son intrigue, et qui n'est pas sans rappeler certaines oeuvres de Stephen King – ce qui devrait ravir les adeptes du genre.

En définitive, True Story relève des questions philosophiques : faut-il toujours pardonner ? Accepter les drames passés ? La vengeance est-elle parfois une solution ? Féministe par son parti pris sur la culture du viol, il explore les abysses des faits divers dont nous entendons encore parler vingt ans après et qui restent irrésolus, cette douleur inébranlable des personnes ciblées et cette quête de vérité, nécessaire pour reconnaître, espérer, et parfois sauver. Un roman noir d'une grande intensité.
Lien : https://troublebibliomane.fr..
Commenter  J’apprécie          81
Il est difficile de résumer True story, car les points de vue et les formes narratives se mêlent, brouillant fortement les pistes.
Essayons tout de même : lors d'une soirée entre lycéens plaçant le curseur de l'amusement au nombre de verres ingurgités et de conquêtes féminines, une jeune fille reconduite inconsciente chez elle se retrouve au centre d'une terrible rumeur. Les deux gars qui l'ont raccompagnée se vantent de l'avoir violée alors qu'elle dormait à l'arrière de leur voiture. La vie d'Alice est bouleversée par cette rumeur. Les deux garçons sont des champions populaires de l'équipe de crosse du lycée : c'est donc Alice et son amie Haley, prenant sa défense, qui deviennent victimes de harcèlement...
La rumeur et ses conséquences extrêmes sont au coeur du roman ; son essence même est illustrée par le doute que ressent le lecteur jusqu'à la fin, espérant apprendre si la rumeur est fondée ou non.
D'autres sujets forts sont récurrents dans le roman : l'amitié, entre hommes et entre femmes, celle-ci se confondant parfois avec l'amour entre soeurs. L'amitié va de pair avec la confiance et la loyauté.
On peut également ressentir que l'autrice déplore la misogynie dans cette communauté, car la parole des garçons a plus de poids que celle des filles ! La scène où le coach distribue des préservatifs aux garçons, pour qu'ils puissent enchainer les conquêtes impunément est assez glaçante. On voit bien l'importance des performances sportives pendant le lycée, qui permettront aux jeunes d'obtenir une bourse pour l'université, à condition qu'ils donnent le meilleur d'eux-mêmes, niant parfois qui ils sont vraiment.
Le narrateur principal du roman est Nick, un des gars de l'équipe de cross, simple témoin des événements mais toujours solidaire avec ses copains. Nick enchaine les ennuis ; la vie semble l'avoir choisi pour être celui qui expie pour les autres le thème du châtiment revient souvent dans le roman.
La tension va crescendo dans cet excellent thriller, très original par sa forme. La psychologie d'Alice est finement amenée dans ses lettres de candidature pour l'université ou dans les scenarii qu'elle a écrits avec Haley. L'autrice profite de la passion d'Alice pour les films d'horreur pour rendre hommage à Stephen King ; le harcèlement dont Alice est victime fait inévitablement penser à Carrie.
L'autrice joue avec les nerfs du lecteur, qui a du mal à faire la part des choses entre la réalité et la fiction. On ressort de cette lecture comme en descendant des montagnes russes à la fête foraine, après avoir été ballotté et secoué dans tous les sens, mais regrettant que cela soit déjà fini.
Un premier roman très abouti à tous les points de vue, et chapeau bas à Jacques Mailhos pour la traduction remarquable !
Commenter  J’apprécie          80





Lecteurs (1032) Voir plus



Quiz Voir plus

Dead or Alive ?

Harlan Coben

Alive (vivant)
Dead (mort)

20 questions
1820 lecteurs ont répondu
Thèmes : auteur américain , littérature américaine , états-unisCréer un quiz sur ce livre

{* *}