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EAN : 9782369352273
212 pages
Le Passager Clandestin (22/10/2019)
4.43/5   29 notes
Résumé :
Le Royaume des cieux est en vous est le texte qui mit Gandhi sur la voie de la résistance non-violente. Tolstoï y démonte les logiques de l'obéissance aveugle aux commandements de l'État et de l'Église tout en jetant les bases de la « non-coopération » que Gandhi rendra bientôt célèbre dans sa lutte pour l'indépendance de l'Inde. Cette édition du "Royaume des cieux est en vous" est présentée par Alain Refalo. A l'origine du mouvement de résistance pédagogique des in... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (8) Voir plus Ajouter une critique
Ma première Masse critique, mon premier Tolstoi, ma cinquantième critique sur Babelio : la pression devrait être maximale, mais la pandémie donne un goût tellement étrange à l'exercice...
Ce n'est pourtant pas un argument pour s'arrêter de lire, ni de réfléchir ou d'échanger. Je trouve même que l'événement enrichit le texte d'un sens supplémentaire.

Commençons donc par les remerciements d'usage pour notre site préféré ainsi bien sûr que pour le Passager clandestin, petit éditeur très engagé dont le catalogue est largement consacré aux thématiques de la décroissance et des ravages de la mondialisation libérale.
C'est la quatrième de couverture qui m'a attiré : « le texte qui mit Gandhi sur la voie de la résistance non-violente ». Reproduite en fin d'ouvrage, la correspondance entre Tolstoï le vieux et Gandhi le jeune atteste indubitablement de cette influence, ce que détaille aussi la préface très intéressante d'Alain Refalo.
L'auteur écrit ce livre dans la Russie des années 1890, alors qu'il est déjà immensément célèbre. Sa notoriété de romancier doit servir désormais une cause politique : la lutte contre l'État tsariste et le pouvoir exorbitant de l'Église russe. L'ouvrage n'est pas conçu comme un manuel de résistance à l'oppression, encore que l'auteur y esquisse certaines pistes, mais avant tout comme un essai dans lequel Tolstoï établit les motifs qui, selon lui, font de la non-violence la seule réponse réellement efficace face au pouvoir arbitraire. Sa démonstration est à la fois impressionnante et d'une extrême sévérité. Pour résumer très grossièrement, Tolstoï souligne que l'on ne peut parvenir au pouvoir sans l'avoir voulu, et donc sans avoir eu l'ambition de le posséder. Cette seule ambition pervertit à ses yeux tout ce que l'homme peut avoir de bon en lui, et ce qui suit n'est que la conséquence néfaste de cette perversion originelle. Ce qui suit, c'est bien sûr l'État, quel qu'il soit, État dont l'autorité n'est garantie que par sa capacité à contraindre ; c'est ensuite l'armée et l'Église, respectivement outil et légitimation morale de cette contrainte.
Aux yeux de Tolstoï, l'harmonie politique ne peut découler que d'un choix religieux radical, proposant d'en revenir au message initial d'amour et de non-violence délivré par le Christ, et rejetant de ce fait toutes les récupérations opérées par les églises successives pour établir la pérennité de leur pouvoir. En délivrant le portrait très attachant d'un Christ anarchiste et profondément subversif, Tolstoï s'inscrit dans une catégorie bien minoritaire à son époque : celle des croyants anticléricaux. Si je connaissais de loin la foi chrétienne de l'écrivain, je ne m'attendais pas en revanche à un réquisitoire aussi implacable ni à un tel pamphlet contre l'autorité, et je ne m'étonne pas que ce livre ait valu de nombreux déboires à son auteur.
Tolstoï ne parle évidemment que de la société russe, mais il serait difficile d'amoindrir la portée de son propos en prétendant que tout cela daterait d'un seul temps, et d'un lieu où la démocratie et la tolérance ne dispensaient que des lumières timides. Ce texte est au contraire toujours vivant aujourd'hui. Il parlera à tous ceux qui éprouvent un malaise devant les doctrines contemporaines de maintien de l'ordre, ou dont le poil se hérisse face à la soumission d'une société à des commandements religieux, quels qu'ils soient.
Dans un monde qui plus que jamais se délite, on peut même y voir le témoignage d'une espérance formidable. Nul doute en effet que nous sommes parvenus à un moment de basculement. Un modèle de civilisation atteint sous nos yeux ses limites extrêmes. Ceux qui vivent de ce modèle le croient sincèrement bénéfique et se pensent tout aussi sincèrement majoritaires. Ils n'entendent pas renoncer à leur pouvoir économique, politique, social, parfois religieux, pouvoir qu'ils jugent légitime quand il n'est bien souvent que légal. Or nous entrons aujourd'hui dans un inconnu qui se montre terrifiant par bien des aspects, et dans lequel beaucoup de choses seront à réinventer. Face à un ordre souvent brutal, Tolstoï nous rappelle que la résistance non-violente – la désobéissance civile, disait Thoreau avant lui – est le seul véritable moyen de lutte contre la tyrannie. C'est aussi le seul rempart contre la guerre civile.
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Trois bonnes raisons de découvrir ce texte fort peu connu, correspondant à chacune des trois parties du livre :
Une préface très instructive sur Tolstoi (en tout cas dans laquelle moi j'ai beaucoup appris!), qui repositionne ce manifeste dans l'évolution de la pensée de l'auteur qui sur les trente dernières années de sa vie (quand même!) a délaissé la trame romanesque pour des écrits beaucoup plus politiques, quitte à risquer la risée et la censure.
Le texte en lui-même qui m'a fait découvrir un Tolstoi spirituel au sens le plus authentique du terme, buvant à la source même du christianisme avant sa pollution par le pouvoir et les églises, engagé politiquement dans son temps en même temps que grand penseur des contradictions des sociétés humaines, et donc pionnier de la résistance à la violence d'état par la non-violence - une posture dans laquelle j'étais bien loin de l'attendre.
Et enfin, une dernière partie émouvante dans laquelle on semble toucher l'Histoire de la main en parcourant ces lettres échangées par le jeune Gandhi d'alors avec le vieux maître russe qui l'aura fortement inspiré.
Utile et passionnant!
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Quiconque a lu les Evangiles et s'est penché sur le message d'amour porté par le Christ ne peut que s'étonner de ce que les hommes en ont fait. Comment peut-on avoir mené tant de guerres au nom de celui qui disait qu'il fallait opposer le bien au mal ? Tolstoï constate que, depuis Constantin, toutes les tentatives, certes minoritaires, pour montrer l'incompatibilité de la violence avec la doctrine chrétienne ont été étouffées et passées sous silence par les docteurs de l'Eglise, mais aussi par les classes dirigeantes. Il parvient à la conclusion que l'Eglise a de tout temps « caché la vérité aux croyants et renié en fait dans la vie les paroles du Christ. »

Tolstoï va combattre les dogmes et les orthodoxies de l'Eglise, jusqu'à en être excommunié, en dépit de son immense popularité. A partit du moment où il a voulu éveiller les consciences sur les incohérences entre le message chrétien et son application (pour ne pas dire contradiction totale), les oeuvres de Tolstoï ont toutes été censurées, mais elles ont circulé sous le manteau. Ce virage politique n'a pas été sans heurts pour la vie de l'écrivain, qui a vu sa femme s'éloigner de lui, ne comprenant pas sa démarche. Pour être raccord à ses convictions, le bonhomme s'est aussi fondu dans une ascèse plutôt drastique, faisant passer sa vie maritale au second plan.

Pour lui, les Eglises sont des institutions anti-chrétiennes. Au lieu d'être des facteurs de réunion et de communion, elles n'ont toujours été qu' « une des causes principales du désaccord entre les hommes, de la haine, des guerres, des discordes, des inquisitions, des Saint-Barthélemy, etc. » Alors, il faut s'en affranchir, « l'Eglise est devenue un organe inutile, qui a fait son temps », et si elle existe encore « c'est parce que les hommes ont peur de briser ce vase qui contenait jadis quelque chose de précieux ».

Pour retrouver ce qu'il y a de vrai dans toutes les sagesses et les traditions humaines, il faut donc s'affranchir d'abord des « contrefaçons » et des impostures des religions, au premier rang desquelles se trouve la justification de la violence pour lutter contre le mal. Pour Tolstoï, la cause fondamentale de toutes ces « fausses interprétations » consiste dans l'idée souvent répandue que l'ancienne loi de Moïse (oeil pour oeil, dent pour dent) peut s'accorder avec la nouvelle loi de Jésus qui demande de ne pas répondre au mal par la violence. Tolstoï montre que la loi de Jésus implique et impose l'abrogation de la loi de Moïse. L'une et l'autre ne peuvent s'accorder ni se compléter car elles sont en totale contradiction. Pour lui, l'Eglise a trahi la véritable signification du message de Jésus en ne respectant le commandement qui interdit de s'opposer au mal par la violence, et ce commandement devrait être le premier, le plus important, celui d'où découlerait tout le reste. C'est tout le contraire qui s'applique, il note avec amertume : « quand il s'agit des actes de la vie pratique, nous repoussons carrément la loi du Christ et suivons celle de Moïse ». La légitimation de la violence constitue un « écart de doctrine » qui, « plus que tout autre » a transformé l'esprit et la pratique du christianisme originel. « Cette étude m'a amené à la conviction que la religion professée par notre hiérarchie et enseignée au peuple est non seulement un mensonge, mais une tromperie immorale ».

Si Tolstoï ne s'est pas fait que des amis, il en a inspiré plus d'un, et cet essai est parvenu jusqu'à Gandhi, alors en Afrique du Sud. L'ouvrage sera pour lui une déflagration, et on connaît la suite... Il va développer son concept d'ahimsa (non-violence) et libérer l'Inde du joug britannique. S'en suit à l'essai de Tolstoï, dans la postface, la courte correspondance entre Gandhi et Tolstoï.
Pour rappel, le concept défini par Gandhi : « D'un point de vue positif, l'ahimsā signifie un maximum d'amour, une charité parfaite. Si je suis non-violent, je dois aimer mon ennemi. Mon comportement vis-à-vis d'un malfaiteur doit être le même, qu'il s'agisse d'un ennemi étranger à ma famille ou de mon propre fils. L'ahimsā, pour être efficace, exige l'intrépidité et le respect de la vérité. On ne saurait en effet ni craindre ni effrayer celui que l'on aime. de tous les dons qui ont été faits, celui de la vie est sans doute le plus précieux. Celui qui fait le sacrifice de ce don, désarme toute hostilité. Il ouvre la voie à la compréhension mutuelle des adversaires et à un règlement honorable du conflit. Nul ne peut vraiment faire don de ce trésor, qui reste soumis à la peur. Il est impossible d'être à la fois lâche et non-violent. L'ahimsā est synonyme de vaillance exemplaire. »

Je pense que pour lire Tolstoï, il est primordial de s'intéresser à sa vie. Lire une biographie, ou au moins chercher quelques documentaires retraçant sa démarche et ses divers engagements.

La trahison de l'Eglise envers Jésus est une trahison des hommes dès les origines, sans doute que le message de Jésus est trop ambitieux, en tout cas L Histoire tend à le prouver, jusqu'à présent. On pourrait imaginer une autre Histoire de l'humanité si tous les hommes respectaient le : « tu aimeras ton prochain comme toi-même ». Déjà, en lisant les épîtres de saint Paul, je vois une tout autre lecture de l'application de l'essence humaniste de son message.

Il est à noter que Tolstoï est sans concession avec l'Eglise, mais également avec l'Etat et le pouvoir politique. Pour lui, l'Etat incarne la violence même. « C'est une organisation de la violence n'ayant pour principe que l'arbitraire le plus grossier et profitant, pour la domination et l'oppression des hommes, de tous les perfectionnements que la science a créés. »
L'Etat ne peut exister et perdurer que grâce à l'utilisation de la violence et à la soumission du peuple. « Pour acquérir le pouvoir et le conserver, il faut aimer le pouvoir. Et l'ambition ne s'accorde pas avec la bonté, mais au contraire, avec l'orgueil, la ruse, la cruauté. Sans l'exaltation de soi-même et l'humiliation d'autrui, sans l'hypocrisie et la fourberie, sans les prisons, les forteresses, les exécutions, les assassinats, aucun pouvoir ne peut naître ni se maintenir. » Voilà pour Tolstoï la négation même du principe chrétien qui demande de ne pas faire aux autres ce qu'on ne veut pas qu'ils nous fassent. Je pense qu'il voit juste. A de trop rares exceptions (souvent assassinées), ceux qui parviennent au plus haut niveau du pouvoir politique semblent tout à fait dénués de qualités humaines, d'empathie, pour ne pas dire que ce sont tous des sociopathes. Peut-être sont-ils à la base animés d'une forme de pureté et que le processus les corrompt en cours de route ou bien qu'ils le sont déjà avant même de se lancer et que le pouvoir politique attire particulièrement les hommes qui sont à l'opposé des valeurs de bienveillance.

La critique radicale de Tolstoï rejoint la pensée anarchiste (très puissante à son époque) mais il ne plaide pas pour l'anarchisme, il ne plaide pas pour une forme d'organisation sociale particulière, simplement il est pour la disparition de ce qu'il connaît et ce qui ne fonctionne pas et ne fonctionnera jamais pleinement selon ses idéaux.
« Tout gouvernement employant la violence est dans son essence même, inutile et il est le plus grand des maux. C'est pourquoi notre oeuvre à nous, Russes, aussi bien que de tous les peuples asservis par les gouvernements, n'est pas dans la substitution d'un régime gouvernemental à un autre, mais dans la suppression de tout gouvernement. »

Il estime que la masse laborieuse n'a pas besoin du gouvernement pour s'organiser en communautés agricoles indépendantes. Et la disparition du gouvernement ne peut qu'entraîner la diminution de la violence. L'organisation sociale doit avant tout procéder du consentement libre et raisonné du peuple.
« La disparition de la brutalité des gouvernements amènera d'elle-même une organisation sociale plus raisonnable et plus juste qui n'usera plus de violence. Les tribunaux, les oeuvres sociales et l'instruction publique, tout cela existera mais dans la mesure où le peuple en pourra tirer profit sous une forme qui ne laissera rien subsister du mal que renferment les institutions actuelles. Nous aurons seulement perdu ce qui dans l'état de nos sociétés est mauvais et gêne la libre manifestation de la volonté des peuples. »

Dans la lignée de Thoreau, Tolstoï prône la désobéissance civile, l'objection de conscience, l'insoumission à la violence du pouvoir étatique.

« Quelle importance peut-on attribuer au refus de quelques dizaines de fous, comme on les appelle, de prêter serment à l'Etat, de payer l'impôt, de participer à la justice et de servir dans l'armée ? On punit ces gens, on les déporte, et la vie continue sa marche comme auparavant. Cependant, ce sont ces faits qui, plus que tout autre chose, compromettent le pouvoir et préparent l'affranchissement des hommes. Ce sont les abeilles isolées, détachées les premières de l'essaim se détache peu à peu. Et les Etats le savent et redoutent ces exemples plus que tous les socialistes, communistes et anarchistes, avec leurs complots et leur dynamite. »

Mais comme le philosophe transcendantaliste, Tolstoï se méfie des grands mouvements d'organisation sociale, des idéologies totalisantes et forcément totalitaires. Leur idéal est certainement celui de petites communautés humaines autonomes, qui interagissent les unes avec les autres.

Avant tout, chez Tolstoï, la révolution est intérieure et c'est la seule possible. Ce que Gandhi formulera en : « sois le changement que tu veux voir en ce monde ». On a parlé d'anarchisme chrétien pour étiqueter la pensée de Tolstoï, mais comme je le disais ce dernier refusait toute étiquette. Dans les penseurs proches, l'on songe à Jacques Ellul.
Pour l'écrivain et penseur russe, le changement est celui d'un retour aux origines du message christique, à suivre sa religion de l'amour. Une quête permanente de la sagesse et du perfectionnement de soi. Seule cette aspiration au perfectionnement moral est à même de lutter contre ce qui désunit les hommes et de les rassembler.

« L'homme ne peut améliorer qu'une seule chose qui est en son pouvoir, lui-même. »
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On connaissait le Tolstoï romancier, on connaît moins le Tolstoï penseur et ardent défenseur de la foi chrétienne, mais d'une foi qui s'affranchirait des différentes églises qui ne font selon lui que déformer le message du Christ.
Ce texte court mais d'une grande puissance a fortement influencé Gandhi avec qui Tolstoï a échangé une courte correspondance (reprise à la fin du livre).

Tolstoï dénonce toutes les formes de violence dues au pouvoir politique. Il se méfie des révolutionnaires à qui il reproche de ne représenter qu'eux-mêmes et de ne pas prendre en compte suffisamment les revendications du peuple paysan.

Il prêche une sorte de révolution spirituelle, un perfectionnement moral qui, seul, peut délivrer les hommes de la violence de l'Etat. Selon lui le vrai changement ne peut être qu'intérieur, "l'homme ne peut améliorer qu'une seule chose qui est en son pouvoir, lui-même." Ce n'est que lorsque l'homme s'abstient de toute violence qu'il crée les conditions d'un véritable changement, on voit ainsi le lien avec la future action de Gandhi.
Tolstoï prône une sorte de religion de la conscience, une conscience basée non pas sur des règles extérieures mais une quête de perfectionnement moral.

Méfiance vis à vis du clergé, méfiance des classes éclairées qui font tout pour conserver leurs idées, Tolstoï retient la loi d'amour et la non-coopération plutôt que la violence comme moyen d'expression d'une opposition politique.

Ce texte, court et peu connu, nous montre un Tolstoï insoumis loin des clichés habituels qui peuvent circuler sur ce géant de la littérature russe. Ce livre est devenu un maître-livre pour Gandhi. Il devrait être davantage lu et relu, en cette époque où malheureusement les désaccords s'expriment souvent par la violence, verbale ou physique...
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Ce livre constitue sans aucun doute une étape très importante dans l'histoire de l'humanité. Léon Tolstoï, figure éminente et déjà révérée à la fin du XIXe siècle, y expose sa vision d'un christianisme vécu dans la chair, une foi qui ne peut et ne doit tolérer la violence d'aucune manière, conformément au message principal du Christ lui-même.

De ce fait, il s'oppose frontalement aux agissements des gouvernements de cette époque, qui cherchent encore dans la religion la justification des guerres, de la répression et de la violence en général. Au-delà du commentaire sur son époque, Tolstoï entend montrer que toute forme de gouvernance/pouvoir repose in fine sur la violence, et que celle-ci devrait être combattue par les "vrais croyants" dans une sorte de retrait, de refus de ce qu'on leur demande pour soutenir ce pouvoir. Ainsi, le soldat comme le citoyen sont invités à désobéir - ce qui n'est pas sans rappeler la pensée de Henry David Thoreau, notamment dans son traité La Désobéissance civile.

Un texte d'une importance majeure donc, car portant cette idée de non-violence qui influencera largement le jeune Gandhi, et aura la portée historique que l'on sait en Inde - dans cette édition abrégée du Passager Clandestin, nous retrouvons même l'étonnante correspondance entre les deux hommes en fin de volume. Un texte hautement subversif, d'autant plus intéressant à lire aujourd'hui, alors que la chrétienté n'a plus la même importance dans la vie politique - du moins française.

Il faut donc lire ce texte, même si Tolstoï oublie parfois que le monde n'est pas chrétien, et que le message du Christ qu'il considère comme une vérité suprême apparaît à d'autres justement comme une manière de manipuler l'humanité dans la durée. Aussi, si Tolstoï prône la désobéissance, il ne propose pour autant pas de faire la révolution, et marque clairement ses distances avec les anarchistes alors très actifs en Europe et ailleurs. Pour lui, le refus de la violence est une fin en soi, une violence que l'on se fait à soi-même en tant qu'humain, en quelque sorte, et qui pourrait nous ouvrir les yeux sur l'absolue nécessité de la fraternité et de l'amour au sein de notre espèce. Un texte qui ouvre des portes en soi, et nous pousse à reconsidérer le monde et nos actions dans celui-ci.
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Citations et extraits (25) Voir plus Ajouter une citation
Toute la vie de nos classes supérieures est une constante contradiction, d'autant plus douloureuse pour un homme que sa conscience est plus sensible et plus haute. L'homme doué d'une conscience impressionnable ne peut pas ne pas souffrir d'une pareille vie. Le seul moyen de se débarrasser de cette souffrance est d'imposer le silence à sa conscience ; mais, si quelques-uns y réussissent, ils ne réussissent pas à imposer silence à leur peur. Ils connaissent toute la haine que nourrissent contre eux les classes laborieuses ; ils n'ignorent pas que les ouvriers se savent trompés et exploités et qu'ils commencent à s'organiser pour secouer l'oppression, et se venger des oppresseurs. Les classes supérieures voient les associations, les grèves, les 1er mai, et sentent le danger qui les menace, et cette peur empoisonne leur vie et se transforme en un sentiment de défense et de haine. Elles savent que, si elles faiblissent un instant dans la lutte contre les esclaves opprimés, elles périront parce que les esclaves sont exaspérés, et que chaque jour d'oppression augmente cette exaspération.

p85-86
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Grâce à une organisation des plus artificielles montée de toute pièce à la faveur de perfectionnements scientifiques et qui fait que les hommes sont sous un charme dont ils ne peuvent s’affranchir.
Ce charme consiste actuellement en quatre moyens d’influence…
L’hypnotisation du peuple (opinion erronée de ce que l’état actuel des choses est immuable et qu’il doit être maintenu, tandis qu’en réalité il n’est immuable que parce qu’on le maintien). se fait en cultivant deux sortes de superstitions à savoir la religion et le patriotisme.
La corruption (c’est-à-dire l’action d’enlever la richesse aux classes laborieuses à l’aide d’impôts et de la distribuer a des fonctionnaires qui pour ce salaire continuent et même aggravent l’asservissement du peuple.)
L’intimidation (présenter l’ordre gérant de l’État, qu’il soit libre, républicain ou despotique à outrance, comme quelque chose de saint et d’immuable et de menacer de châtiments les plus atroces tout essai de changer cet ordre.)
L’armée… on prélève du nombre de toutes les personnes abruties et hypnotisées par les moyens précédents, un certain nombre d’hommes qu’on soumet à des procédés encore plus énergiques d’abrutissement et de bestialisation, de façon qu’ils deviennent entre les mains du gouvernement des instruments sans aucune volonté, et qu’il commettent toute les brutalités et toutes les cruauté que ce gouvernement leur demande. Voila le cercle de la violence formé.
L’intimidation, la corruption et l’hypnose amènent les hommes à se faire soldats.
Les soldats de leur côté rendent possible le fait de punir les hommes, de piller leurs biens, de corrompre les fonctionnaires avec cet argent, d’hypnotiser la masse et d’en faire des soldats qui à leur tour fourniront les moyens de commettre tous ces crimes.
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Toute branche de l'arbre vient de la racine sans interruption, mais il ne s'ensuit nullement que toute branche soit l'unique branche. Chaque Église présente les mêmes preuves de sa continuité dans la tradition, et les mêmes miracles à l'appui de son orthodoxie. De sorte que la définition exacte et absolue de ce qui est l’Église ne peut être qu'une : l’Église est une réunion d'hommes qui affirment être seuls en possession de la vérité.

(p68)
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Finalement le vrai changement pour Tolstoï ne peut être qu’intérieur. L'activité intérieur peut permettre à l'individu de se rapprocher de l'idéal d'amour tel que le sage de Nazareth a su l'incarner. La tache essentielle de l'homme, c'est la recherche de son propre perfectionnement. Seul le perfectionnement intérieur de soi même peut permettre de modifier les structures de la société et d'avoir prise sur les événements de l'histoire.
L'homme ne peut améliorer qu'une seule chose qui est en son pouvoir : lui même !
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Selon l’écrivain russe, le pouvoir de l’Etat est organiquement lié à la violence, dans ses fondements, dans ses institutions, dans sa pratique. Il ne peut exister et perdurer que grâce à la menace de la violence ou l’utilisation de la violence contre ceux dont il exige la soumission. «Pour acquérir le pouvoir et le conserver, il faut aimer le pouvoir. Et l’ambition ne s’accorde pas avec la bonté, mais au contraire, avec l’orgueil, la ruse, la cruauté. Sans l’exaltation de soi-même et l’humiliation d’autrui, sans hypocrisie et la fourberie, sans les prisons, les forteresses, les exécutions, les assassinats, aucun pouvoir ne peut naître ni se maintenir ». Le pouvoir, c’est la domination des forts sur les faibles. «Être au pouvoir veut dire faire à autrui ce que nous ne voudrions pas qu’on nous fît’, c’est-à-dire faire du mal. »(p 28)
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