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EAN : 9781160160315
86 pages
Kessinger Publishing (22/02/2010)
4/5   5 notes
Résumé :
comédie en cinq actes
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Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
L'histoire est ingrate ou du moins a-t-elle une mémoire sélective. À mesure que s'éteignent ceux qui ont vécu une époque et qui pouvaient dire à tous ce que vraiment elle était, l'époque efface des noms, discrètement, en catimini, et n'en conserve au mieux que deux ou trois, c'est heureux, le plus souvent un seul, c'est fâcheux mais c'est comme ça.

Voilà pourquoi, vu d'où nous sommes, nous avons la faiblesse d'esprit de dire : " le grand auteur de ce siècle était... " C'est évidemment une absurdité puisque les grands hommes ne poussent jamais seuls au milieu d'une terre nue, déserte, hostile à tout autre.

Les grands hommes, les géniaux inventeurs, les novateurs de tout poil, quand on y regarde de près, ne sont pour la plupart que la suprême représentation d'une tendance qui était très à la mode en leur temps et dont ils étaient de malicieux suiveurs.

C'est ainsi que l'histoire, dans ses crises d'amnésie, n'a retenu pour le XVIIème siècle français que trois noms de dramaturges. Deux pour la tragédie, c'est heureux (Corneille & Racine) et un seul pour la comédie (Molière), c'est fâcheux, mais c'est comme ça. Encore devons-nous nous estimer heureux avec trois ou quatre noms passés à la postérité car de la pouponnière d'auteurs qu'était la scène du théâtre élisabéthain on ne retient que Shakespeare et du siècle d'or espagnol que Cervantès. Quelle ingratitude pour les autres, et quels autres !

Pourtant des tragédiens de ce siècle, si l'on voulait s'en donner la peine, on en trouverait à la pelle, et même d'assez honnêtes. Je ne vous parle même pas des auteurs de comédies qui fourmillent à cette époque. Rien qu'en sélectionnant les bons grains de l'ivraie, de ces auteurs et de ces pièces oubliées, les gens de chez La Pléiade ont réussi à en faire trois pleins volumes. Ça vous en bouche un coin, non ?

Et bien notre ami Jean-François Regnard est de ceux-là. Franchement, c'est mieux écrit que Molière, toujours très fin, très subtil, annonçant déjà Voltaire ou Beaumarchais, loin des quiproquos un peu lourdingues et répétitifs de Molière.

Certes, j'avoue qu'il n'y a pas chez Regnard de ces points d'orgue fulgurants qui sont la grande arme et le grand atout de Molière comparativement à tous les autres, mais s'il monte moins haut, je dirais aussi qu'il descend moins bas.

Ici, l'auteur s'intéresse à un problème archi connu, celui de l'addiction au jeu et les conséquences néfastes que cela peut avoir. À l'époque, ne jouent que les gens de la très haute société (donc cela ne fait pas tellement de monde, tout bien considéré) et parmi cette petite portion de joueurs, les cas d'addiction maladive au jeu sont connus mais demeurent du registre de l'exception.

Jean-François Regnard ne se doutait probablement pas qu'il mettait le doigt sur un vrai problème, bien plus vaste que cette comédie de caractère ne le laisse supposer. On sait combien, depuis que tout un chacun peut librement perdre ses économies dans le jeu, nombreuses sont les personnes susceptibles de contracter une addiction. (Nous en savons quelque chose ici sur Babelio, en matière d'addiction, car nous sommes tous plus ou moins des malades d'addiction à la lecture.)

Ainsi, nous côtoyons Valère, un beau jeune homme de belle famille, amoureux d'une belle Angélique, elle aussi riche et de belle famille. Tout va pour le mieux, me direz-vous, puisque ces deux-là s'aiment et échafaudent de se marier dans le meilleur des mondes possibles.

Oui mais non, cela ne fonctionne pas toujours aussi bien que les apparences en donnent l'air. Valère est un joueur acharné, tellement piqué au tric-trac qu'il s'est tissé un manteau de dettes, bien épais et bien chaud qui le suit partout.

Cette attitude l'a conduit à la brouille avec son père, qui pourtant l'aime et l'apprécie mais qui ne supporte pas de savoir son fils tellement dissipateur et mordu aux chimères du jeu.

Mais ce n'est pas tout, car Angélique commence à se lasser des promesses d'abandon de jouer, mille fois réitérées, jamais mises en pratiques.

Sur ce canevas de base, l'auteur va greffer un faisceau d'intrigues amoureuses destinées à accroître le comique qui ne résiderait sans cela qu'entre les relations qu'entretient Valère avec ses créanciers.

Nous voyons donc arriver une soeur d'Angélique, comtesse et veuve de son état, un marquis enragé aux choses de l'accouplement, un oncle de Valère aux prétentions justifiées et une querelle larvée entre frères que je vous laisse le soin de découvrir.

Le panorama ne serait pas complet si j'omettais de vous parler de l'importance dramatique des valets, Hector pour Valère et Nérine pour Angélique qui jouent vraiment l'un et l'autre, en sens inverse, un rôle prédominant dans le devenir de la relation amoureuse principale.

Chut ! Je n'en dirais pas davantage, si ce n'est que c'est une pièce oubliée qui mériterait qu'on se souvienne plus d'elle tellement elle est fraîche et plaisante, rythmée et pas du tout hors sujet de notre époque quoique vieille de plus de deux cents printemps.

Mais de ceci, faites ce que vous voulez car ce n'est là qu'un avis, c'est-à-dire bien peu de chose. Ne jouons pas avec ça, ne laissons pas l'avis de quelques uns nous dire : " Ceci est bien, ceci ne vaut rien. " car c'est ainsi que l'histoire procède pour barrer certains noms et en retenir chaque fois moins au risque de perdre en nuances et en diversité.
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La pièce a été créée en décembre 1696 à la Comédie-Française, et donnée dès le 31 décembre à Versailles. Elle eut un grand succès, malgré (et peut-être aussi à cause) d'une polémique avec Dufresny, qui accusa Regnard de lui avoir volé son sujet, et qui donne une pièce très proche sur de nombreux points à peine deux-trois mois après Regnard, sous le titre le Chevalier joueur. Malgré une représentations à Versailles du Chevalier joueur en février, c'est la pièce De Regnard qui a continué à être jouée, qui triomphait. Toute une série d'épigrammes et autres écrits entretenaient la querelle, le théâtre du XVIIe siècle a toujours été friand de polémiques et scandales.

Le sujet du jeu, des joueurs, était de toutes les façons un sujet dans l'air du temps à l'époque, où cette passion était une cause de ruine de nombreuses familles, un vrai fléau social. On peut citer par exemple la petite pièce de Dancourt, La désolation des joueuses. Regnard peut ainsi rejoindre Molière, qui à partir du Tartuffe, évoque le but de la comédie, comme la correction des vices des hommes, le joueur est sans doute une des pièces qui ont donné à l'auteur le statut d'héritier de Molière dans la haute comédie.

Au début du premier acte, Hector se désole : son maître, Valère, a encore passé toute la nuit à jouer, et il n'est pas encore rentré. Nérine, la suivante d'Angélique, la financée de Valère arrive, et constate l'absence du jeune homme. Or il a promis à Angélique d'arrêter le jeu. Elle fait savoir à Hector qu'elle va informer sa maîtresse. Hector est accablé, son maître est couvert de dettes, et seul le mariage avec Angélique lui offre une possibilité de se renflouer. Valère arrive, il a encore perdu. Il envisage de hâter le mariage avec Angélique pour sortir de l'embarras. Arrive Géronte, le père de Valère, qui le menace. Valère arrive à retourner un peu la situation en lui parlant du mariage projeté, et surtout en faisant valoir à son père qu'il souffle ainsi à Dorante, le frère de Géronte, Angélique, que ce dernier voudrait bien épouser.

Dans le deuxième acte, Angélique est décidée à renoncer à Valère. Mais sa soeur, la comtesse, est toute prête à l'épouser, ce qui ébranle la décision d'Angélique. Arrive Valère, qui ne balance pas et préfère Angélique. Cette dernière tente bien de rompre, mais Valère arrive à la persuader de sa volonté de changer. Elle lui donne son portrait enrichi de diamants, qu'il s'empresse de mettre en gage pour avoir de quoi jouer.

Au troisième acte Dorante se fait signifier son renvoi, Géronte règle une partie des dettes de Valère. Ce dernier est euphorique, il a enfin gagné. Mais il ne s'empresse pas de dégager le portrait d'Angélique, il est en réalité beaucoup moins pressé de l'épouser, alors qu'il a de l'argent.

Au quatrième acte, Nérine fait la morale à sa maîtresse, tentant de la faire rompre avec Valère. Les deux femmes font parler Hector : son maître est encore en train de jouer et de perdre, il n'a pas tenu ses promesses. Valère qui ne voit plus d'échappatoire, est quand à lui décidé à épouser Angélique au plus vite.

Au cinquième acte, Angélique déclare son amour pour Valère à Dorante qui se résigne. Toutefois, Angélique découvre que Valère a mis son portrait en gage. Lorsqu'il arrive, elle lui demande où est l'objet, et Valère se perd dans des mensonges de plus en plus invraisemblables, et parfaitement inutiles. Angélique annule le mariage, et à l'arrivée de Géronte, lui signifie qu'elle a décidé d'épouser Dorante. Valère se console, en annonçant qu'un jour le jeu lui fournira une compensation aux pertes amoureuses.

La pièce est vraiment très bien construite, avec des personnages principaux bien caractérisés, et accompagnés de personnages secondaires essentiellement comiques (la comtesse, son soupirant le marquis etc) d'une grand efficacité. C'est une excellente mécanique comique. Même si tout cela n'a rien de vraiment nouveau, Regnard assemble fort bien tous les éléments pour écrire une pièce efficace tenue de bout en bout. Elle a été reprise régulièrement, y compris au XXe siècle, et cela n'a rien d'étonnant. Tout cela peut parfaitement fonctionner encore aujourd'hui.
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On dit "heureux au jeu, malheureux en amour"; quant à Valère, s'il veut être heureux en amour, il devra d'abord arrêter de jouer.
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Citations et extraits (17) Voir plus Ajouter une citation
DORANTE : Eh, madame, cessez d'éviter ma présence.
Je ne viens point, armé contre votre inconstance,
Faire éclater ici mes sentiments jaloux,
Ni par des mots piquants justifier mon courroux.
Plus que vous ne pensez, mon cœur vous justifie.
Votre légèreté veut que je vous oublie :
Mais loin de condamner votre cœur inconstant,
Je suis assez vengé si j'en puis faire autant.

ANGÉLIQUE : Que votre emportement en reproches éclate ;
Je mérite les noms de volage, d'ingrate.
Mais enfin de l'amour l'impérieuse loi
À l'hymen que je crains m'entraîne malgré moi :
J'en prévois les dangers ; mais un sort tyrannique...

DORANTE : Votre cœur est hardi, généreux, héroïque :
Vous voyez devant vous un abîme s'ouvrir,
Et vous ne laissez pas, Madame, d'y courir.

NÉRINE : Quand j'en devrais mourir, je ne puis plus me taire.
Je vous empêcherai de terminer l'affaire :
Ou si dans cet amour votre cœur engagé
Persiste en ses desseins, donnez-moi mon congé.
Je suis fille d'honneur ; je ne veux point qu'on dise
Que vous ayez sous moi fait pareille sottise.
Valère est un indigne ; et, malgré son serment,
Vous voyez tous les jours qu'il joue impunément.

ANGÉLIQUE : En faveur de mon faible il faut lui faire grâce.
De la fureur du jeu veux-tu qu'il se défasse,
Hélas ! quand je ne puis me défaire aujourd'hui
Du lâche attachement que mon cœur a pour lui ?

DORANTE : Ces feux sont trop charmants pour vouloir les éteindre.
Je ne suis point, Madame, ici pour vous contraindre.
Mon neveu vous épouse ; et je viens seulement
Donner à votre hymen un plein consentement.

Acte V, Scène 1.
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LA COMTESSE : Rien n'est plus à craindre dans la vie,
Qu'un époux qui du jeu ressent la tyrannie.
J'aimerais mieux qu'il fût gueux, avaricieux,
Coquet, fâcheux, mal fait, brutal, capricieux,
Ivrogne, sans esprit, débauché, sot, colère,
Que d'être un emporté joueur comme est Valère.
ANGÉLIQUE : Je sais que ce défaut est le plus grand de tous.
LA COMTESSE : Vous ne voulez donc plus en faire votre époux ?
ANGÉLIQUE : Moi ? non ; dans ce dessein nos humeurs sont conformes.
NÉRINE : Il a, ma foi, reçu son congé dans les formes.
LA COMTESSE : C'est bien fait. Puisqu'enfin vous renoncez à lui,
Je vais l'épouser, moi.
ANGÉLIQUE : L'épouser !
LA COMTESSE : Aujourd'hui.
ANGÉLIQUE : Ce joueur, qu'à l'instant ?...
LA COMTESSE : Je saurai le réduire.

Acte II, Scène 2, (v. 441-453).
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HECTOR : Il s'en donne aujourd'hui pour la dernière fois.
ANGÉLIQUE : Il jouerait donc ?
HECTOR : Il joue, à dire vrai, madame ;
Mais ce n'est proprement que par noblesse d'âme :
On voit qu'il se défait de son argent exprès,
Pour n'être plus touché que de vos seuls attraits.
NÉRINE : Eh bien ! ai-je raison ?
HECTOR : Son mauvais sort, vous dis-je,
Mieux que tous vos discours aujourd'hui le corrige.
ANGÉLIQUE : Quoi !...
HECTOR : N'admirez-vous pas cette fidélité ?
Perdre exprès son argent pour n'être plus tenté !
Il sait que l'homme est faible, il se met en défense.
Pour moi, je suis charmé de ce trait de prudence.
ANGÉLIQUE : Quoi ! ton maître jouerait au mépris d'un serment ?
HECTOR : C'est la dernière fois, madame, absolument.
On le peut voir encore sur le champ de bataille ;
Il frappe à droite, à gauche, et d'estoc et de taille,
Il se défend, madame, encor comme un lion.
Je l'ai vu, dans l'effort de la convulsion,
Maudissant les hasards d'un combat trop funeste :
De sa bourse expirante il ramassait le reste ;
Et paraissait encor plus grand dans son malheur,
Il vendait cher son sang et sa vie au vainqueur.

Acte IV, Scène 2, (v. 1220-1240).
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LA COMTESSE : Quoiqu'un engagement m'ait toujours fait horreur,
On aurait avec vous quelque affaire de cœur.
LE MARQUIS : Ah ! parbleu, volontiers. Vous me chatouillez l'âme.
Par affaire de cœur, qu'entendez-vous, madame ?
LA COMTESSE : Ce que vous entendez vous-même assurément.
LE MARQUIS : Est-ce pour mariage, ou bien pour autrement ?

Acte IV, Scène 6, (v. 1355-1360).
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HECTOR : Que servir un joueur est un maudit métier !
Ne serai-je jamais laquais d'un sous-fermier ?
Je ronflerais mon soûl la grasse matinée,
Et je m'enivrerais le long de la journée :
[...]
Je deviendrais un jour aussi gras que mon maître.
J'aurais un bon carrosse à ressorts bien liants ;
De ma rotondité j'emplirais le dedans.
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