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3,1

sur 354 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Franchement chapeau ! Après avoir découvert L'amour et les forêts, je n'ai pu que tout lire d'Eric Reinhardt, et ce dernier roman original et complexe est une grande réussite. Les dérives sexuels du personnage principal et les diverses explications sociologique évoquent un peu les romans de Michel Houellebecq. La richesse des thèmes, l'ésotérisme, le surréalisme, l'économie giscardienne m'ont conduit à faire des recherches et après avoir terminé Comédies françaises… J'en ai repris les premières pages.
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L'art brillant du « loupé »
ou
Les errances de Dimitri


En France, ne serait-on pas spécialement doués pour « passer à côté » des choses les plus importantes ? Comédies françaises, le nouveau roman magistral d'Eric Reinhardt, porte sur ce moment crucial où tout semble basculer du mauvais côté, parce qu'à un moment, on fait un mauvais choix, aussi bien sur le plan politique, esthétique, que sur le plan sentimental.

Laissez-vous happer par l'épaisseur romanesque de ce roman, vous plongerez dedans, il y a bien UNE histoire, celle du héros, Dimitri, 27 ans, mais tellement d'autres aussi, liées entre elles. Dimitri, c'est une sorte d'obsédé du coup de foudre et de la rencontre amoureuse, et cette quête est un moteur qui fait avaler les pages au lecteur ; on lit aussi pour suivre ce fil, de façon naturelle, et en même temps on a peur des clichés : on se dit « oh non, il ne va pas nous faire le coup de la rencontre fatale, à la André Breton, dès le premier chapitre à Madrid avec ce personnage dans lequel même Beigbeder se reconnaît, qui va dans un restau branché… »: et pan, non, sur le bec ! Les choses ne se passent pas comme il le veut : une sorte de mécanique déceptive se met en route, qui tient le lecteur en haleine et qui n'entame pas pourtant pas l'espoir dans la quête amoureuse du héros - comme nous tous, Dimitri a ses attentes magiques par rapport à la réalité, on a besoin de rêver sa vie, de la rendre romanesque, quand bien même elle nous déçoit. Nous avons beau nous dire que nous faisons des choix conscients, que le hasard existe, mais si nous croyons rencontrer plusieurs fois la même personne, voilà que malgré toute notre rationalité, nous y voyons un signe ! Ce livre porte aussi sur ce besoin de magie et d'irrationnel, essentiel, qui peut aller jusqu'à des formes de ridicule, mais est-ce si ridicule ? – ( et on retrouve d'une certaine manière ce besoin d'irrationnel dans la vie d'Ambroise Roux, ce patron des télécommunications sur lequel enquête Dimitri aussi.)

Car Dimitri est un jeune journaliste qui veut écrire un livre, et c'est ainsi qu'il enquête sur Louis Pouzin, un inventeur d'Internet français bien réel, encore vivant, et complètement ignoré de l'histoire française, parce que Giscard, influencé par le très influent PDG Ambroise Roux, a préféré miser sur le Minitel. On espère que ce livre réparera cette grande injustice ! J'ai aimé la générosité de ce livre, et ce qui me plaît, c'est son aspect hétéroclite (le roman, en général, c'est sa nature, pour moi), sa grande liberté affirmée (et oui, avec le mot « bite » plein de fois, pourquoi pas), qui intègre l'onirisme, l'ambition de raconter aussi le monde actuel, l'histoire d'internet, avec son aspect documentaire intégré (et tellement moins rasoir que Bellanger), les références aux surréalistes et donc le côté manifeste esthétique aussi (whaouh la litanie des créateurs de spectacles). Et j'ai tellement ri avec la sexualité de Peggy Guggenheim, ou l'anti-cafards chez Maurice ou les lettres à Giscard… le portrait d'Ambroise Roux, la satire de sa biographie officielle sont d'une férocité brillante ! C'est un livre à surprises, ce qui permet de ne jamais s'ennuyer. On aimerait que d'autres hommes se mettent à faire l'éloge de la pilosité des femmes, par exemple ! Quant au dénouement, il pourrait inscrire le roman dans la littérature fantastique.

Pour autant ce roman disparate est en profondeur très cohérent, parce que tout semble lié. J'ai d'ailleurs trouvé des correspondances subtiles entre cette histoire de communication par paquets de données dans Internet, qui choisissent leur direction pour arriver à leur but, et l'errance du personnage, par exemple dans Bordeaux : il s'agit en quelque sorte de la même histoire de choix libres de chemins, qui semble errante et arrive à sa destination. Il y a beaucoup de choses qui s'emboitent ainsi savamment, comme aussi l'histoire des tables tournantes, et de l'espèce de charlatan à la fin.
Encore une fois le livre fait système avec les autres romans d'Eric Reinhardt, on y retrouve par exemple le motif de la cantatrice, l'épisode onirique de l'appartement avec les femmes me fait beaucoup penser à une mini-histoire intégrée (dans quel roman déjà ? Cendrillon ?) avec une inconnue nocturne, une nuit passée chez elle, dans un grand appartement sombre, où il y avait un piano. le personnage du père -je l'ai vraiment beaucoup aimé- avec son avion qui est comme un rêve d'envol pour se venger des humiliations de sa vie professionnelle, fait écho au père du Moral des ménages et en même temps il fait un peu penser au brocanteur de L'Amour et les forêts. On va retrouver également des principes fondamentaux pour le romancier autour de la rencontre amoureuse comme dans Cendrillon, l'importance des sensations, l'éloge de l'émerveillement.

Dimitri critique Ambroise Roux, sa misogynie, son art de la manipulation, mais en même temps, il éprouve une fascination très ambiguë pour lui, alors que dans ce roman, le vrai génie Louis Pouzin n'apparaît presque qu'en creux, comme s'il intéressait moins Dimitri -qui rate même sa première rencontre avec lui. Finalement, Dimitri lui-même ne se départit pas complètement de ce modèle de l'homme français séducteur intelligent et machiavélique qu'il critique si pertinemment, et je trouve aussi cette ambiguïté intéressante, il a d'ailleurs lui-même été lobbyiste, il est un peu superstitieux aussi finalement, et séducteur même s'il est féministe. Alors comment fait-on pour nous-mêmes nous arracher vraiment de ces modèles culturels nationaux qui nous imprègnent, alors même qu'on en est conscients ? Voilà ce que sont nos « comédies françaises ».
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Autant l'avouer d'emblée, j'ai beaucoup aimé « Comédies françaises » d' Eric Reinhardt. J'ai dévoré les près de cinq cents pages à toute blinde, ce qui n'est pas dans mes habitudes. Faut vous dire, j'arrête là ces considérations personnelles, que les digressions ne me gênent pas, ceux qui me connaissent savent que j'en use et en abuse…
En effet, la richesse du roman sur le fond, tient aux thèmes abordés et aux nombreuses digressions. En tout j'en ai distingué, sans que ce soit exhaustif, une dizaine. La qualité littéraire est remarquable, le fil rouge est parfaitement déroulé, selon moi l'auteur en possède une grande maîtrise, pas si fréquente chez nos écrivains contemporains, le risque de se perdre subsiste sans doute , pour certains lecteurs, compte tenu du caractère particulièrement foisonnant de l'oeuvre.
En quoi consiste La richesse du roman ?
Je vous brosse un rapide inventaire des thèmes abordés : L'amour sous toutes ses formes, L'androgynie sous plusieurs angles, la danse, le théâtre vivant qui occupe une place de choix dans la vie du héros Dimitri, né en 1989, et sans doute de l'auteur, je cite : « On va au théâtre pour voir des corps, des visages qui acceptent de se montrer, comme un sacrifice » ; pour poursuivre dans le domaine artistique : le surréalisme, puis le mouvement Dada au travers de la figure de Max Ernst et une magnifique digression sur Jackson Pollock, précurseur de l'expressionnisme américain et le rôle de la CIA pour promouvoir les peintres avant-gardistes dans le contexte de la guerre froide.
Et quid des « comédies françaises » dans cet ensemble d'apparence hétéroclite ?
- La thèse centrale repose sur l'analyse du mal français, je cite : « C'est le même peuple des gouvernants (X puis ENA) qui se comprennent, ont les mêmes défauts et les mêmes qualités, donc s'il n'y a pas consensus, une idée nouvelle ne peut s'imposer. Ils répugnent à prendre le moindre risque. Ils apprécient que d'autres aient essuyés les plâtres avant eux. Et finalement ils ne s'engagent que lorsqu'ils ont la certitude que leur initiative va plaire soit aux actionnaires, soit au gouvernement. C'est ça l'esprit français ».
- L'autopsie d'un désastre conséquence de ce mal français est réalisée en deux parties : Comment VGE en supprimant le plan calcul et en ne soutenant pas le développement de l'informatique a gâché l'avance française indéniable (et méconnue) prise grâce à l'invention des datagrammes par Louis Pauzin en abandonnant clé en main aux USA les moyens conceptuels et technologiques qui donnèrent naissance à l' INTERNET, rien que ça !
- Deuxième partie : C'est en fait d'Ambroise Roux, grand patron français et boutiquier des télécommunications, qui est le responsable de ce désastre, en application du principe de consanguinité des élites françaises aggravé par le monarchisme républicain persistant. Les ressorts de son machiavélisme sont détaillés et les extraits de son hagiographie par une écrivaine aristocrate béate sont délicieux à lire.
La toile de fond sur l'évolution de notre société est très juste, elle est marquée par la nostalgie des années soixante, la crise permanente depuis 1973, et pour faire court, la certitude de l'apocalypse en ce début du XXI e siècle. Les villes de Paris, Madrid et Bordeaux où évoluera Dimitri, l'unique héros du roman, aux ambiances bien particulières sont très bien dépeintes.

Pour terminer ma critique, sans rien révéler de l'intrigue, je ne veux pas gâcher votre lecture ! j'insisterai sur les points forts constituant la grande qualité littéraire de ce roman :
- de multiples rencontres, très vivantes, très présentes, « filmographiées » qu'elles soient initialement dues au hasard, ou provoquées comme les interviews des acteurs du gâchis évoqué supra,
- Une tension maintenue, par un fil rouge solide, ce qui règle les risques de se perdre dans un ensemble pourtant très foisonnant,
- Des coups de théâtre superbement mis en scène,
- Des adresses directes au lecteur, rares mais pertinentes,
- L'expression, sous une forme de logorrhée, de la rage de l'écrivain sur des sujets autour de l'humiliation, des insupportables incompétences, des arrogances nobiliaires,
- Des partages d'états émotionnels ou de grande profondeurs psychologiques relatés sous des angles et des manières diversifiées,
- Et, peut-être le plus important, une forte densité ou intensité romantique !
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Précis, soutenu, « Comédies Françaises » est un roman contemporain, extrêmement pertinent, à l'aube d'un devenir classique. Eric Reinhardt délivre un récit sociétal, moderne. Glissant des indices dans une trame qui s'échappe de la fiction par la grande porte. Les chapitres séparent les sujets avec brio. de ce fait la lecture est agréable et devient symbiose avec les thèmes. On aime cette langue habituée aux verbes dans cette stricte exactitude. L'envolée des descriptions qui charment ce beau livre d'une attention rare pour le lecteur. Dès la première page, le choc. Dimitri Marguerite, le protagoniste principal, décède d'un accident de voiture, jeune bien trop jeune : vingt-six ans. Un incipit habile, fragile, original, rare et affirmé par l'auteur. Eric Reinardt nous guide dans un deuxième degré de lecture. le revoici, Dimitri avec ses convictions, dès le début des chapitres, un jeune homme avide de vie, curieux et vif. « Or Dimitri sentait bien qu'il était excellent : il commençait à comprendre ce que ses interlocuteurs attendaient qu'il leur dise… Il avait saisi qu'il devait être tout à la fois au coeur de leurs attentes et incarner une forme d'ailleurs, les faire rêver, les surprendre, être un peu différent, un peu insaisissable. » Conformiste, opportuniste, Dimitri est un jeune homme gauchiste, doté d'un pragmatisme certain, et sa soif de réussir et de déjouer les diktats sociétaux qui bousculent en alliance ses convictions premières. Journaliste à L'AFP devenu, enquêtant sur les origines d'Internet et les lobbys. Ce récit démonte les arcades politiciennes, sociologiques, et plus. Dimitri est projeté au coeur même de ce qui arrime la société. « Comédies Françaises » et un kaléidoscope. le cheminement d'un homme qui sait où il va. Qui progresse en jouant des coudes, en finesse. Ce roman est une traversée du miroir vers un essai des plus aboutis. Sa haute contemporanéité est une valeur sûre. Sa maîtrise, le jeu grammatical savoureux, exquis, perfectionniste, font de « Comédies Françaises » ce roman atypique qui marquera la rentrée littéraire 2020. Publié par Les Editions Gallimard.
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Au commencement…
C'est l'histoire de Dimitri Marguerite, 27 ans, ancien lobbyste devenu journaliste. Idéaliste et romantique, Dimitri déplore son quotidien insipide, rempli de désillusions. Son caractère le pousse plutôt à dénoncer les injustices et impostures de tous genres. Lui vint alors notamment l'idée d'enquêter sur un instant des années 1970. Un instant où, à cause d'un puissant lobby industriel, la France aurait abandonné sa place de pionnière dans la création d'Internet, au profit du simple Minitel.

Ce que j'en retiens...
Un roman époustouflant, avec des pages mémorables en termes de révolte passionnée, de colère politique, de romantisme devenu illusoire et surtout d'idéalisme. Avec des passages également très techniques, merveilleusement tempérés par l'humour, l'ironie et la sensibilité qui ne tardent jamais à ressurgir du protagoniste principal. Au final, un périple fascinant dans la « comédie » des instants décisifs qui font le destin d'un homme, d'une entreprise voire d'une nation.

Une citation soulignée...
« Les gens sont prêts à faire leur vie avec n'importe qui. de fait la plupart des gens font leur vie et des enfants avec n'importe qui, c'est l'arbitraire total, c'est pour ça que ça tient jamais longtemps. C'est pour ça que le monde fait n'importe quoi, qu'il court à sa perte. Parce que les gens globalement font n'importe quoi, à toutes les échelles, dans leur intimité jusqu'aux plus hautes sphères du pouvoir – sans discontinuité dans l'arbitraire, l'improvisation, le court terme, la précipitation, le profit immédiat, le mensonge à soi-même et aux autres, l'absence de connaissance de soi ».

Autour de l'oeuvre…
Outre les personnages fictifs, le roman met en scène de nombreuses personnes issues du XXème siècle : Max Ernst et Jackson Pollock, Louis Pouzin, Ambroise Roux et Valery Giscard d'Estaing, etc.
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J'aime lorsqu'un écrivain m'épate, et c'est le cas ici: la construction originale, le style irréprochable, les aspects historiques passionnants, la quête amoureuse hors des sentiers battus.
J'ai fait le choix de lire "Comédies françaises" en m'abstenant de me documenter au préalable sur le pitch et c'était un vrai délice de me laisser embarquer dans ce récit foisonnant. Sans cesse on est étonné, parfois ému aussi, un vrai régal !
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Dimitri est justement un rêveur ou plutôt un hypersensible du réel qui croit au Merveilleux. On le suit à Madrid, à Paris ou encore à Bordeaux dans l'attente active de cet instant exceptionnel qui ferait basculer sa vie: un traqueur d'épiphanies, en somme.
Il est question d'obsessions amoureuses (on rit beaucoup de ses maladresses), mais également de sa vie professionnelle avec un récit très réaliste sur le monde du travail, son expérience dans un cabinet d'influence, et de ses lubies: son envie d'écrire sur Max Ernst et Pollock - avec une digression brillante sur l'utilisation de l'Art en politique internationale et bien sûr sa passion pour le théâtre.
Mais la Comédie Française n'est pas qu'une institution du Palais Royal, au pluriel elle devient le symbole des rendez-vous ratés de l'histoire de France. Là aussi, il y a dans les civilisations des moments-clés - le narrateur est d'ailleurs opportunément né en 1989 : quelle autre date que la chute du mur de Berlin pour parler des points de rupture? Embauché à l'AFP, Dimitri décide d'enquêter à titre personnel sur Louis Pouzin, précurseur d'Internet et Ambroise Roux qui lui barra la route en faveur du Minitel - Lobby, pouvoir et sarcasmes bien sentis envers cette droite qui se veut innovante mais passe à côté de cette transformation majeure...
Les pièces du puzzle narratif s'assemblent et la chute annoncée dès l'incipit est parfaitement alignée avec le leitmotiv de l'instant décisif. Eric Reinhardt manie l'impertinence, le comique et l'audace de bout en bout.
Lien : HTTps://yaourtlivres.canalbl..
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C'est mon livre de l'année ! Dommage qu'il soit passé à côté de tous les prix littéraires. L'histoire est prodigieuse, riche, et pourtant très simple d'écriture. L'idée de commencer par la mort du héros, façon Claude Sautet, crée une tension tout au long du livre qui le rend encore plus passionnant. Vraiment à recommander chaudement !
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Un roman à suspense et à humour, avec des rebondissements à la Da Vinci Code, sur la piste d'un contexte historique et économique passionnant, on apprend plein de choses et on passe un très bon moment même si l'accélération finale part un peu haut avant de retomber.
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