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sur 241 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Avant d'entrer dans le vif du sujet, ami lecteur qui t'aventures par ici, j'aimerais te mettre en garde : si tu ne supportes pas les écrivains qui se mettent en scène, si tu es irrité par les auteurs qui font de leur processus de création la matière même de leurs livres, si tu penses que la sphère intime d'un homme doit rester à la porte de son oeuvre, alors sans doute n'auras-tu pas envie de me suivre.
Si, au contraire, tu apprécies qu'un auteur joue avec toi pour t'entraîner dans les méandres des relations qu'entretiennent fiction et réalité, alors prépare-toi à te perdre avec délices dans le labyrinthe construit par Eric Reinhardt. Parce que ce roman-là, dans son genre, c'est de la bombe !

Le sujet en est pourtant plus qu'austère, glaçant : Eric Reinhardt - et c'est bien lui qui prend la parole au début du livre - évoque le combat livré par sa femme contre le cancer. Dans cette lutte sans merci, elle fut épaulée par son époux. Plus qu'épaulée : soutenue, portée, amenée à se dépasser par le truchement de la création littéraire. Il fut en effet entendu entre eux que les efforts qu'elle livrerait contre la maladie se doubleraient de ceux de son mari pour écrire le roman qui allait être Cendrillon. C'est donc dans les singulières coulisses de l'écriture de ce livre que Reinhardt nous invite à entrer.
Si l'oeuvre se nourrit d'une urgence et surtout d'une sève qui lui sont communiquées par le désir éperdu de vie de son auteur, elle communique en retour la sienne à cette femme assiégée par le mal qui en écoute quotidiennement l'avancée. La vie et l'oeuvre se nourrissent mutuellement pour finalement se confondre en une énergie vitale hors du commun.
De ce fait, l'oeuvre et les conditions de sa création ne formant plus qu'un, l'écrivain racontant en vient à devenir le personnage principal du roman en train de s'écrire, évoquant le livre qu'il a écrit pour soutenir sa femme - ou le livre qu'il aurait pu écrire. La mise en abîme se démultiplie, exactement comme si l'écrivain se tenait entre deux miroirs renvoyant son image à l'infini. C'est vertigineux et très habilement fait.
On relit ainsi certaines lignes écrites plusieurs pages auparavant, avec toutefois des changements de noms, des changements de profession, des nuances, de légers décalages, des petits riens qui disent combien la fiction offre un vaste champ de possible et laisse de liberté. Elle dit la manière dont la littérature peut s'emparer du réel pour le déformer, le magnifier, le recréer à sa guise.

Reinhardt s'amuse à nous faire perdre pied, glissant parfois inopinément du je au il, d'un personnage à son double, sans que l'on s'en rende toujours bien compte, nous obligeant à nous interroger et à revenir quelques pas en arrière.

Je sais que ce livre en irritera plus d'un. Reinhardt s'y expose sans pudeur. Il serait pourtant dommage de ne pas tenter l'aventure. Au-delà de l'exercice, auquel on peut adhérer ou non, l'écrivain possède une plume remarquable qui m'a fait goûter chacun de ses mots. Et puis, quoi qu'en disent certains, il sait aussi se jouer de lui, et il m'est arrivé, en dépit de la gravité du sujet, de sourire. Et surtout d'être très touchée.
Intelligence, style et émotion, ce livre qui célèbre la vie et la littérature réunit tout ce que je peux attendre d'un roman.


Roman lu dans le cadre d'une opération Masse critique privilégiée de Babelio. J'avais été ravie de cette proposition, ayant précédemment beaucoup apprécié L'amour et les forêts. Merci donc à Babelio et Gallimard pour ce très bel envoi.

Lien : https://delphine-olympe.blog..
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Le cancer est le thème qui relie et oppose L'Amour et les forêts, le précédent roman d'Eric Reinhardt, à La Chambre des époux, qui paraît aujourd'hui: alors que Bénédicte Ombredanne abdiquait face à la maladie, les personnages de ce nouveau roman - qu'ils gagnent ou qu'ils perdent le combat- se battent. Au lieu de suivre le mouvement tragique de la reddition, la dynamique merveilleuse de l'écriture, dans La Chambre des époux, est à l'image de la force de vie intense qui galvanise les personnages. Ce livre célèbre le pouvoir extraordinaire qu'a l'être humain, ce magicien capable de transformer ce qui lui arrive de pire :  le Beau, l'Amour, des formes de vie plus intenses se déploient alors que les situations semblent désespérées, même si le propos de ce livre n'est pas de déclarer de façon simpliste que l'amour permet de triompher de la maladie. le roman devient une sorte de thérapie narrative: il permet la métamorphose du réel grâce aux jeux des récits miroirs.

Comme dans son précédent roman, l'auteur semble partir de la réalité de sa vie personnelle: ici le premier chapitre, qui raconte la lutte que l'écrivain a menée avec son épouse qui était atteinte d'un cancer du sein,  avait même été publié à titre de témoignage dans les Inrocks. Et c'est étonnant pour le lecteur, car ce début est complètement différent de la fiction annoncée sur la quatrième de couverture, qui nous parle d'un personnage principal nommé Nicolas. Alors le lecteur se demande d'emblée: "mais comment va-t-il faire pour raccrocher les wagons?" Cela crée une attente, on se demande comment un récit autobiographique d'expérience aussi lourde peut décoller et devenir un roman... A priori, cela semble impossible. Et pourtant. La situation de détresse de l'écrivain se métamorphose en scène paradoxalement hilarante quand il raconte ensuite sa participation catastrophique aux Assises internationales du roman à Lyon. On passe donc très vite de l'émotion face à la maladie au fou-rire devant l'autodérision virtuose de l'autoportrait. Ce glissement incroyable dans les registres va se doubler d'un glissement dans les niveaux de narration. L'auteur en exhibant le statut fictionnel de l'histoire de Nicolas, qui affleure constamment au long du livre, donne une légèreté assez incroyable à son livre.

Michel Butor, dans ses Essais sur le roman insistait sur la nécessité pour les auteurs contemporains d'inventer des formes nouvelles. Et l'une des choses que j'aime spécialement dans les romans d'Eric Reinhardt, c'est justement qu'il invente pour chacun de ses livres une nouvelle forme, inattendue, un dispositif narratif inédit.  Alors que L'Amour et les forêts faisait se succéder les pans narratifs de manière volontairement abrupte, la structure assez géniale de la Chambre des époux est au contraire tout en glissements imperceptibles: le procédé de narration virtuelle permet de tomber sans s'en rendre compte d'un niveau de récit à un autre. A certains moments, on est avec Mathilde, puis on trouve Margot et on se demande tout à coup si on suit le personnage du romancier ou bien Nicolas: j'ai beaucoup aimé ces surprises.

Car on retrouve dans La Chambre des époux un thème important et passionnant qui parcourt toute l'oeuvre du romancier: la relation complexe que l'écrivain entretient avec ses personnages, le laboratoire intérieur de la création romanesque à l'intérieur de la tête du romancier, qui entre dans le roman. Comment Eric Reinhardt crée-t-il une histoire à partir d'une réalité? Comment vit-il son quotidien avec ces réalités parallèles, quand il écrit? Comment y projette-t-il ou y dépasse-t-il ses propres angoisses?

Pour autant, ce n'est pas un roman compliqué, il se lit d'une traite et c'est le plus court qu'il ait jamais écrit. C'est un livre qui fera du bien à ses lecteurs, notamment par ses propos sur le couple dans la durée et les épreuves. le discours sur les phases de sexualité non obligatoire dans le long-terme du couple est tellement rare, et si peu entendu. On peut percevoir un mouvement des derniers romans d'Eric Reinhardt vers l'intime, amorcé depuis L'Amour et les forêts. En tout cas l'idée un peu fofolle que le double du romancier poursuit au début de son livre avec son désir éperdu et comique de guérir tout le monde du cancer me semble presque exaucée par ce livre magique.
Lien : http://effleurer.une.ombre.o..
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Écrire un roman, peindre un tableau, composer de la musique, bref s'adonner à un art quel qu'il soit, aux côtés de sa compagne gravement malade, pour elle, pour l'aider à survivre, peut-il être une preuve plus grande que lui prêter une présence charnelle et morale ? Si Éric REINHARDT n'avait pas eu la force d'accepter la demande de sa femme Margot, il n'y aurait pas eu de vrai roman, de belle histoire d'amour et d'attachement au-delà de tout, et nous, lecteurs, serions certainement restés sur une histoire au sel fade, celui de la compassion, de l'attention mesurée, des « petits soins ». Mais là, l'auteur nous entraine dans une magnifique histoire, la sienne, celle vécue avec Marion quelques années plus tôt : il ose tout, défait la pudeur, part dans un véritable « combiné autobiographique » intime, celui d'un amour transcendant. Car si vous lisez bien son récit, vous comprendrez que c'est Marie, cette femme rescapée d'un cancer, rencontrée lors d'un diner d'auteurs, qui lui a donné l'impulsion folle d'écrire son roman. Il aime Marie, il a envie de lui faire l'amour, mais c'est sa femme qu'il voit à travers elle. Ce n'est pas de l'adultère, mais au pire du fantasme. Á partir de ce moment-là, c'est la plume qui entre en combat. Un combat mené pour deux. Certes, Margot lui avait cette demande d'écrire pour les aider à survivre, mais il lui fallait une motivation extérieure, presque fortuite. Elle est là. Et entre en scène l'histoire du double : celle de Nicolas et Mathilde. Parfois, je me demande s'il n'aurait pas été préférable que le récit reste entièrement autobiographique. J'ai même cru, à un moment donné, que cette « bifurcation » lui fut nécessaire afin de rendre son vécu plus crédible dans l'esprit du lecteur. C'est peut-être dommage, je ne sais pas …
Le thème de la sexualité dans le couple, en pareil cas, est magnifiquement décrit. On peut presque tout dire avec les mots, en voici une délicate illustration dans sa prose : « La sexualité conjugale englobe aussi la rêverie sexuelle ; le désir non réalisé, suspendu, émerveillé de lui-même. Avoir envie de faire l'amour, mais ne pas le faire. Se sentir fort de ce désir intériorisé. Ça, c'est l'une des vérités méconnues de la vie de couple. » La description du fantasme, parce qu'il le vivra, est quasi-parfaite : l'amour fantasmé est bien meilleur, bien plus beau que l'amour vécu. Ne pas passer à l'acte est, dans le fond, très excitant. Rien n'est dit vraiment, tout est implicite, c'est encore au lecteur à faire l'effort de comprendre. N'est-ce pas Fédérico Fellini qui aurait dit, à juste titre : « Un homme n'épouse jamais son fantasme. » ?
Nulle intention pour moi de vous livrer un résumé de ce livre. de plus, aurait-il été vraiment bon, conforme à ce qu'il faut en tirer ? C'est une histoire faites de ressentis, d'émotions, de frissons. C'est à vous de lire, de souligner ce qui paraît important, ou pas, de mesurer à quel point la maladie met à l'épreuve l'amour, l'amitié, les rapports en général. Car c'est vrai qu'elle révèle des peurs, des manques, une bravoure insoupçonnée, d'insondables forces, mais pas seulement pour le malade, pour celui qui veille aussi. La lecture de ce roman m'a rappelé une phrase importante écrite par Virginia Woolf, à une époque où, elle aussi, croyait que l'écriture était une véritable thérapie, et le prêchait à haute voix : « Ai-je le pouvoir de rendre la véritable réalité ? Ou écris-je des essais sur moi-même ? » Mais revenons au roman, je pense qu'Éric Reinhardt se décrit lui-même, plus que sa relation avec Margot. Que dis-je ? Il passe son temps à ça. Á se justifier, à tenter de se comprendre, parfois. Il fait ressortir l'«artiste romantique» qu'il croit être, ou du moins qu'il suggère au lecteur. Sa fascination pour la beauté, l'amour et la maladie s'y entrelacent jusqu'au sublime : « Je suis venu pour m'abîmer en vous, je serai votre force, vous allez vivre. » Et Margot, elle, a besoin de se battre contre autre chose que sa maladie : elle guérira si son époux accepte de se battre avec l'écriture. Se sont-ils vraiment compris ? Je ne pensais pas qu'il était possible, du moins à ce point et en telle circonstance, de basculer de l'autobiographie à la fiction. Je suis toujours en train de rechercher la raison pour laquelle l'auteur a eu besoin de se servir de l'histoire de Mathilde et Nicolas. La sienne ne lui suffisait-elle pas ? de ce roman, je retiendrai surtout l'exercice de style, très compliqué, subtil, osé, et le « mélange de genres ». Maintenant, dire qu'on ne peut ressortir indemne après la lecture de ce roman serait un peu exagéré, en tout cas ce n'est pas ce n'est pas ce que j'ai ressenti. Suis-je peut-être un lecteur au « délicieux désordre intérieur » ?
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Magnifique témoignage des transformations et bouleversements émotionnels et existentiels que provoque le cancer dans une vie, pas seulement celle de la malade, aussi celle de son mari et de l'écrivain qu'il est. Remarquable maîtrise de la construction narrative, qui parfois se regarde un peu écrire mais on lui pardonne cent fois. Merci M. Reinhardt !
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En mêlant encore une fois réel et fiction, Eric Reinhardt explore la création artistique, et en premier lieu la façon dont il écrit: son roman Cendrillon est au coeur de la première partie (la plus lumineuse selon moi), mais également le roman-pansement qui n'a jamais vu le jour et qui lui permet en le "fondant" dans ce récit de fantasmer les différentes issues. A travers la dissection de son traumatisme, il nous laisse un message plus universel que la maladie: la part d'inconsolabilité de certaines situations.
Il y a du mythe d'Orphée et Eurydice aussi dans sa définition du couple qui ne peut être qu'exceptionnel, où l'un sauve l'autre. Les pages consacrées au désir sont d'une élégance et d'une justesse qui donnent à l'érotisme la poésie qui lui sied tant.
Lien : https://yaourtlivres.canalbl..
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Eric Reinhardt s'inspire de ce qu'il a lui-même vécu avec son épouse pendant qu'il écrivait Cendrillon (dans ma PAL depuis longtemps, ce roman ne va pas tarder en sortir) afin de dresser la trame de son nouveau roman "La chambre des époux".

Tel un récit à tiroirs, une succession de poupées russes ou encore un roman puzzle, Reinhardt n'a de cesse de nous parler des liens qui lient chacun de ses personnages masculins face à la femme de leur vie atteinte d'un cancer (chacune portant un prénom commençant par la lettre M), ainsi que face au personnage féminin commun qui, lui, incarne la vie après la maladie. Les récits s'enchaînent, se croisent et se décroisent au fil des pages (d'ailleurs, d'après moi, il y a une coquille dans le roman... malgré plusieurs lectures du passage, je suis persuadée que l'auteur se trompe de personnage! Une idée de la page à laquelle je fais référence?).

Ce texte est une pépite quant à la souffrance psychologique de l'entourage face à ce crabe qui ronge la personne aimée. Ici, l'on ressent tout le positivisme distillé à la personne malade durant son traitement afin de rebooster la malade, de l'accompagner dans son combat mais l'on comprend également, une fois le patient en rémission, le mari épuisé par cette tension permanente - convaincre la malade et se convaincre soi-même que la vie finira par l'emporter. Cette tension n'est susceptible de connaître, finalement, un dénouement heureux qu'après une période de 5 ans post-traitement (le malade est alors déclaré guéri). Les premiers chapitres m'ont vraiment beaucoup émue, sans nul doute car ils résonnaient véritablement en moi suite au cancer d'une personne très proche.

Ce texte est une ode à l'amour envers et contre tout, pour le meilleur et le pire. Ici, peu importe la maladie, l'amour de l'autre - qu'il soit tendre ou sexuel - transparaît à chaque ligne entre Eric et Margot et/ou Nicolas et Mathilde.

Si je dois chercher et trouver un bémol à formuler dans ce billet, il concerne la deuxième partie du personnage de Marie - il est fortement, et malheureusement, peu crédible.

Comme dans "L'amour et les forêts", j'ai succombé au style et à la forme empruntés par Eric Reinhardt; j'aime ses longues phrases méditatives bien écrites, ses nombreuses références tant littéraires qu'artistiques. J'ai pris en mains ce roman et ne l'ai déposé qu'à la fin de ses 174 pages, regrettant qu'il se termine déjà.

J'ai adoré cet Eric Reinhardt qui se transforme, le temps d'un livre, en Dephine de Vigan brouillant les pistes, semant une histoire dans une ou plusieurs histoires, le lecteur ne sachant plus vraiment ce qui est réalité et ce qui est fiction - pourtant la couverture mentionne clairement "roman" et la dédicace ne fera que vous le confirmer.

Un vrai coup de coeur de cette rentrée littéraire!

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