Rencontrée depuis peu avec son magnifique roman, «
Dans le silence du vent », véritable coup de coeur, coup au coeur, un roman d'une puissance émotionnelle rare, je suis repartie dans le Dakota du Nord avec mon amie NicolaK, pour remonter à la source du roman de
Louise Erdrich qui m'avait tant plu et retrouver les personnages qui m'avaient profondément touchée.
En effet, l'autrice a composé un ensemble de trois romans totalement indépendants qui peuvent donc se lire dans le désordre, au gré des envies du lecteur.
"
La malédiction des colombes", le premier de la trilogie, a été finaliste du prix Pulitzer en 2009.
Comme dans tous ses romans,
Louise Erdrich s'inspire de faits réels. En 1897, un jeune indien de treize ans, Paul Holy Track, fut pendu par des citoyens en colère.
*
Le roman "
La malédiction des colombes" de
Louise Erdrich m'a impressionnée en s'ouvrant sur le meurtre d'une famille de fermiers blancs au début du XXe siècle. Seul un bébé, dont nous ne connaîtrons l'identité qu'à la toute fin du roman, est épargné lorsque l'arme du tueur s'enraye.
L'homme, exaspéré par les cris de l'enfant, met en marche un gramophone présent dans la chambre de l'enfant pour mieux se concentrer sur la réparation de son arme et l'achever ensuite.
Le frémissement des cordes du violon emplisse la pièce et apaise le bébé qui se rendort dans son berceau, inconscient du danger qui le menace.
Contre toute attente, l'homme, après avoir rechargé son arme, lui laissera la vie sauve.
Quatre indiens, passant près de la propriété, vont découvrir les premiers la scène de carnage. Voulant porter secours à cette famille, ils vont malheureusement subir la justice sommaire de quelques hommes blancs et finir pendus.
*
Je pensais retrouver dans ce roman-ci une forme sensiblement identique au roman lu précédemment, entre légendes indiennes, roman policier et quête initiatique.
J'ai donc été très surprise par la structure du roman constitué d'un ensemble de novellas, reliées entre elles par les acteurs du drame ainsi que leur famille. L'histoire raconte, avec une certaine distance, comment cette tragédie va affecter la petite ville de Pluto sur des décennies entières.
En définitive, l'intrigue est insolite, prenant le lecteur totalement de court. L'enquête est présente, mais peu conventionnelle : elle se dessine en filigrane, d'une encre presque invisible.
Je me suis demandée où
Louise Erdrich voulait m'emmener, devinant des liens mais sans les comprendre vraiment. Et puis, j'ai lâché prise, me laissant porter par la voix envoûtante de l'autrice, ne cherchant plus à relier ces instants de vie à l'incipit dont voici un extrait.
« L'homme répara le fusil et la balle glissa en douceur dans la chambre. Il l'essaya plusieurs fois, puis se leva et se tint au-dessus du berceau. le violon atteignit un crescendo d'une étrange douceur. L'homme épaula le fusil. Autour de lui, dans la pièce close, l'odeur de sang frais montait de toutes parts. »
Finalement, toutes les pièces que composent ces courts récits trouvent leur place pour révéler, dans les toutes dernières pages du roman, la sombre vérité sur cet horrible massacre. Mais si le puzzle s'assemble correctement, je regrette toutefois un dénouement trop précipité qui ne m'a pas permis de comprendre précisément les motivations du tueur.
*
Une autre particularité étonnante est la présence de trois narrateurs : à tour de rôle, ils vont prendre la parole à la première personne, enrichir d'anecdotes le fil narratif du récit, tout en apportant des regards différents sur toutes ces vies qui se croisent.
L'autrice joue sur le rythme, sur la personnalité de chaque narrateur, leurs sentiments, leurs émotions. Leurs voix, très distinctes, s'entrelacent, se chevauchent, se complètent, se ramifient subtilement pour tisser plusieurs générations de familles et celle de toute une communauté.
Mais, autant l'avouer, j'ai trouvé leur histoire familiale particulièrement complexe. Il n'est pas facile de s'y retrouver dans cet arbre généalogique qui se déploie sur plusieurs générations et qui s'imbrique de manière non linéaire, dans d'autres histoires de familles.
*
Pour moi, la plus grande réussite de l'autrice est sans aucun doute son talent indéniable à nous immerger dans tous ces récits de vie, à nous attacher aux personnages de l'histoire, à les rendre vivants, profondément humains et émouvants.
Louise Erdrich compose toute une galerie de personnages authentiques et truculents, terriblement ancrés dans une réalité sombre. Qu'ils soient sympathiques ou odieux, burlesques ou pathétiques, l'autrice les dessine avec délicatesse et tendresse.
Rien ne dure, le carrousel de la vie suit son cours, entraînant le lecteur dans des moments de rire, de peine, de laideur.
Les histoires de chacun sont tour à tour glaçantes, tragiques, tristes, drôles, cocasses, surprenantes, émouvantes, mélancoliques ou touchantes. En même temps, se mêlent de nombreuses émotions, et le lecteur devine dans l'implicite des silences, les douleurs cachées des adultes, leur chagrin, leur solitude, leurs douleurs. On devine aussi l'incompréhension des enfants qui n'ont pas encore la maturité des adultes pour comprendre ce qui est tu.
« Maintenant que je suis vieux et sais comment agit le chagrin, je comprends qu'elle ressentait trop, nous aimait trop fort, et craignait de nous perdre comme elle avait perdu mon frère. »
J'ai ressenti un soin particulier apporté à certains d'entre eux, Mooshum, Shamengwa, en particulier. Ces deux patriarches sont d'une beauté exceptionnelle, ils se dégagent d'eux, une sorte de noblesse et de charisme. Et en même temps, ils ont un côté enfantin, capables des pires espiègleries, comme s'ils étaient retombés en enfance.
« Peu d'hommes savent comment devenir vieux… »
On les sent entourés, aimés, cajolés, et à mon tour, je les ai aimés. «
Dans le silence du vent », j'avais déjà perçu que la notion de famille revêtait une signification profonde. C'est également le cas dans ce roman.
*
L'écriture de
Louise Erdrich est toujours là, magnifique, poétique, se drapant de nombreuses sonorités : drôle, onirique, sensible, émouvante, elle est aussi un cri silencieux face aux injustices du monde.
Mais je dois reconnaître que «
la malédiction des colombes » est un cran en dessous : il m'a beaucoup plu, mais il n'a pas la profondeur, la douleur et l'intimité émotionnelles de son autre roman «
Dans le silence du vent ».
Il y règne tout de même une douce sensation de sagesse, l'autrice nous invitant à pénétrer dans la culture et le spiritisme de la culture amérindienne, à appréhender les problèmes auxquels ils sont confrontés.
Elle explore les thèmes des relations familiales et de l'identité culturelle, de la violence et du racisme, de la justice et des préjugés, des traumatismes intergénérationnels et de la résilience.
Et puis, au tout début du roman, il y a cette deuxième scène incroyablement saisissante, qui plane comme une menace, d'où sera tiré le titre de ce roman : celle de milliers de colombes, qui comme une nuée de sauterelles, s'abattent en masse dans les champs cultivés, ravageant les récoltes sans défense.
A la fois symbole de paix, d'espoir et d'amour, les colombes portent une connotation tragique dans ce récit, symbolisant le meurtre injustifié de ces quatre hommes innocents, et plus globalement, la violence subie par les communautés autochtones à travers l'histoire des Etats-Unis.
« Mooshum vit dans les cieux du Dakota du Nord un nombre infini de colombes obstruant les airs et remplissant le ciel d'une éternité de cris graves. Il s'imaginait que la couverture de colombes s'était simplement élevée dans la stratosphère et n'avait pas été étouffée ici sur la terre. »
*
Pour conclure,
Louise Erdrich m'a transportée dans son monde teinté de réalisme magique. J'ai écouté, captivée, ces histoires fascinantes de famille, avec leurs secrets, leurs barbaries, leurs douleurs, leurs silences et leurs mesquineries.
"
La malédiction des colombes" est un beau roman, marquant grâce à quelques figures inoubliables, une écriture poétique, touchante et un univers particulièrement fascinant qui donne à l'histoire une dimension profonde et mystique.
Mais c'est aussi un roman complexe par ses nombreux personnages, ses nombreux retours en arrière, ses histoires décousues dont les liens apparaissent tardivement dans l'intrigue, et un dénouement trop rapide.