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EAN : 9782253006701
224 pages
Le Livre de Poche (14/06/1973)
4.21/5   3472 notes
Résumé :
Quand nous partons, nous ne sommes que de vulgaires soldats, maussades ou de bonne humeur et, quand nous arrivons dans la zone où commence le front, nous sommes devenus des hommes-bêtes...

Témoignage d'un simple soldat allemand de la guerre de 1914-1918, A l'ouest rien de nouveau, roman pacifiste, réaliste et bouleversant, connut, dès sa parution en 1928, un succès mondial retentissant et reste l'un des ouvrages les plus forts dans la dénonciation de ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (278) Voir plus Ajouter une critique
4,21

sur 3472 notes
Il y a 1000 raisons de lire et plus encore, peut-être, de ne pas lire, tel ou tel ouvrage. Nous avons tous nos raisons et ce qui nous unit au moins en partie sur Babelio, c'est notre désir de partager nos expériences littéraires.

Ce que j'aime personnellement dans la lecture, ce n'est peut-être pas tant l'évasion, l'imaginaire, l'horlogerie fine d'un scénario mais bien plutôt le fait de pouvoir vivre 1000 vies en une, d'enfiler le costume de celui ou de celle que je ne serai jamais et de me mettre à sa place, le temps d'un livre, le temps d'un passage de témoin. J'admire aussi beaucoup le style, la façon particulière qu'aura un auteur de nous laisser sa place pour que nous nous y installions.

Quelle expérience ! Quelle expérience exceptionnelle vient de me faire vivre Erich Maria Remarque ! L'espace de quelques petites centaines de pages, j'étais un homme d'il y a cent ans sur le front, côté allemand. Quelle prouesse ! J'y étais ! J'y étais vraiment !

J'avais hérité de son casque, de son barda, de ses bottes et j'entendais les obus siffler au-dessus de mes oreilles. Je transpirais, je faisais presque dans ma culotte, mon coeur s'affolait en imaginant les scènes. Je fermais parfois le livre et je sentais encore mon coeur battre intensément pendant de longues minutes, j'avais des images plein les yeux, j'y repensais souvent.

Des images horribles, des bruits assourdissants et des larmes pour ces milliers, ces millions de jeunes hommes, de jeunes innocents, arrachés à leurs familles, à leurs épouses, à leurs enfants, à leurs études, à leur métier, envoyés au front de force, de part et d'autre, et transformés fatalement en cibles mouvantes ou canardeurs selon le sens du vent des attaques.

Courir sans savoir pourquoi, se baisser, s'aplatir au sol en priant très fort pour que rien ne tombe sur votre tête, ne pas oublier votre masque à gaz en croisant les doigts pour qu'il soit étanche, tirer parfois, tuer peut-être, porter secours aux copains moins chanceux en espérant que quand votre tour viendra d'être blessé ils seront là pour vous ou bien encore que les éclats d'obus adverses auront le bon goût de vous tuer franchement et proprement plutôt que de vous arracher un bout de bras, un bout de mâchoire ou un bout de ventre sans vous faire crever tout à fait.

L'horreur absolue de la guerre, toute l'absurdité et l'inhumanité de la guerre est là, racontée sans pathos, sans fioriture, d'un ton juste, d'un ton simple, d'un ton incroyablement percutant de ce fait qu'il n'a pas même besoin de se vouloir militant pour militer à la seule chose pour laquelle il soit humainement louable de militer : la paix, l'exécration absolue et inconditionnelle de la guerre, quels qu'en soient le motif ou la justification invoqués.

Texte sensationnel, brut et fort. Je me suis baladée le week-end dernier dans un petit village, un tout petit village qui devait être encore bien plus petit il y a cent ans. Je suis arrivée devant une manière d'obélisque gris qui y fait office de monument aux morts. Et j'ai eu de grosses larmes à l'oeil en égrenant ces quelques noms, morts de trop, morts pour rien, morts parce que d'autres qu'eux l'avaient décidé, sur un coin de table, à Paris ou à Berlin.

1916 : DUBOIS, G. ; DUBOIS, M.
1917 : DUBOIS, B.
1918 : DUBOIS, J.

Combien pouvait-il y avoir de familles Dubois dans ce village ? Probablement qu'une seule. Qu'avaient-ils faits ces frères ou ces cousins pour mériter cela ? Et tous les autres, les Berthelot, les Michel, les Janin, les Leliquerre ? Qu'avaient-ils faits, côté allemand les Schneider, les Rebmann, les Müller, les Knopff et les Vogt ?

Immense respect pour Erich Maria Remarque, immense coup de chapeau à cet écrivain qui a produit ce livre essentiel et que je ne saurai jamais trop vous conseiller, même si a priori (tout comme moi avant cette lecture) vous n'êtes pas captivés par les livres de guerre ou d'histoire ou d'horreurs. Celui-ci est une merveille qui joue juste de bout en bout.

Et qu'on ne vienne plus jamais me parler de la nécessité de nos " frappes ", au Mali, en Syrie ou ailleurs car derrière ce mot très digne, " frappes ", il y a surtout des bombes, des membres arrachés, des yeux crevés, des poumons perforés, des corps écrasés sous l'effondrement des murs : horreur, désolation, dommages collatéraux et désir de vengeance…

Pensez juste qu'il y a cent ans, quelque part à l'est de la France, la pluie était d'un rouge profond et des flaques éclaboussaient des bouts de métal, des bouts de bidoche, des bouts d'innocence qui jamais ne repousseraient… Mais bien entendu, à l'est, à l'ouest, aujourd'hui comme à chaque fois, rien de nouveau, ceci n'est que mon avis, c'est-à-dire, pas grand-chose.
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Erich Maria Remarque - À l'Ouest, rien de nouveau - 1929 : 1914, dernier jour d'école en Bavière ou ailleurs : «Finalement messieurs cette année vous ne passerez pas le bac, vous n'irez pas en vacances non plus, vous prendrez un fusil et vous irez vous battre dans les tranchées». Enfin se battre si on veut car pouvait on appeler des combats cette infâme boucherie dans laquelle fut plongée une génération entière de jeunes hommes qui n'étaient encore pour la plupart que des enfants. Des classes de terminale joyeuses comme celles qu'on connait aujourd'hui furent précipités au milieu du feu par la faute d'un nationalisme abruti qui guida aveuglement toutes les nations d'Europe vers l'apocalypse. Einrich Maria Remarqué lui-même ancien combattant revenu de l'enfer trouvait les mots justes pour décrire avec réalisme l'ignoble quotidien des soldats sur le front. Par la faute d'un professeur exalté une bande de gamins s'engageait dans l'armée allemande dès le début de la guerre bien persuadé d'être rentré dans leurs foyers avant noël couvert de reconnaissance et de gloire. Brève utopie car pendant cinq ans les jours de fête seront aussi cauchemardesques que les autres. Pendant tout ce temps Il faudra survivre alors que la seule raison de cette débauche de feu et de fer était d'anéantir un maximum de jeunes êtres humains comme de minuscules fourmis écrasées sous les pieds d'un géant. le lecteur en apnée vivait la peur et la sauvagerie des combats dans la peau des protagonistes se demandant à chaque page si son existence n'allait pas s'achever percée par une baïonnette ou disloquée par un éclat d'obus. Cette guerre qui a rongé l'humanité comme un cancer trop virulent prenait sous la plume d'Heinrich Maria Remarque l'allure cataclysmique de l'enfer de Dante. Mais ses personnages au lieu de bruler au feu du repentir se tordaient de douleur sous l'effet des gaz de combat et trop souvent aussi sous ceux de la faim et de la soif. Car outre le fait de risquer la mort à chaque seconde, les soldats souffraient des conditions de vie épouvantables quand ils étaient en ligne, le froid, la chaleur, les poux étaient les éléments d'une torture qui n'en finissait jamais. Un semblant d'humanité les faisait tenir debout quand même, le soutien d'un camarade plus âgé qui prenait le rôle d'un père de substitution ou la parole d'un officier bienveillant redonnaient un peu de chaleur dans la froideur désolée du désespoir. Et quand enfin il pouvait rentrer dans leurs familles, la permission ou la convalescence n'apportaient aucun réconfort aux soldats déboussolés par l'insouciance d'une population qui reprochait à ceux du front les privations engendrés par le blocus des alliés. La notion de sécurité n'existait même plus et pour la plupart des combattants la vie à l'arrière était d'un tel dégoût qu'ils préféraient retourner se faire tuer avec leurs camarades. "A l'ouest rien de nouveau" expliquait le chaos avec une précision si frappante que l'Allemagne nazi qui préparait en secret une implacable revanche en interdit la publication. Il reste après les années le plus puissant manifeste contre la guerre jamais écrit... éprouvant
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Le mot chef d'oeuvre est souvent galvaudé.
«A l'ouest, rien de nouveau » mérite pourtant indiscutablement ce titre. Un récit qui suit le quotidien d'une patrouille allemande, jeunes mômes lâchés sur les champs de bataille sans le moindre remord. L'horreur des tranchées, avec une description à vous retourner l'estomac, le livre de Remarque est un formidable témoignage antimilitariste, nous montrant une génération massacrée, traumatisée pour ces rescapés, au nom d'intérêts ridicules. Ici, que l'on soit français, allemands , russes ou autres, la peur, l'effroi, la douleur n'ont n'y drapeaux, ni nationalités.
La violence des combats est d'un cruel réalisme. Comment peut-on infliger un telle barbarie ? Un livre qui soulève beaucoup de questions et qui n'ont malheureusement toujours pas trouvé un semblant de réponses à notre époque.
Une claque.

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Ce livre est bouleversant, bouleversant d'humanité et d'inhumanité!

Nous plongeons dans les boyaux de la guerre de 14-18, mais c'est surtout un livre sur l'homme, et sur cette génération à peine sortie de l'enfance qui découvre la vie avec la guerre, une jeunesse brisée avant même d'avoir pu éclore. Paul, le narrateur, est allemand. Il a 18 ans quand il s'engage avec d'autres camarades de sa classe dans ce conflit, sous la pression de leur professeur. Dire que ce sera une cruelle désillusion est un euphémisme...

L'écriture est d'une sobriété et d'un réalisme qui vibre d'authenticité. Elle va droit obus! Il n'y a ni haine, ni jugement, pas même d'ennemis! C'est le triste constat d'une réalité, la réalité brute, toute nue, du quotidien d'un jeune soldat lambda sur le front, dont les repères volent en éclats et qui essaye de survivre comme il le peut, à la faim, aux poux, aux gaz, aux obus, aux mutilations, aux gémissements des blessés qui agonisent sur le champ de tir, aux morts, et pire (!) aux permissions... Mais peut-on vraiment s'en protéger ?

"les horreurs sont supportables tant qu'on se contente de baisser la tête, mais elles tuent quand on y réfléchit. "

Erich Maria Remarque dénonce (entre autre) toute l'horreur de la guerre et son absurdité à bien des niveaux à travers ces soldats dont les différentes origines du civil se fondent dans le même bloc de souffrances; et une guerre, comme toutes les guerres, qui en brisera plus d'un, quelque soit l'âge.

Ce livre est d'une intensité à couper le souffle! Mais rien de ce que je pourrais dire ne pourra ne serait-ce que faire toucher du doigt la force de ce livre. Il faut le lire pour comprendre à quel point il sort du lot, à quel point il est une explosion d'émotions ! Un coup de coeur autant qu'un coup au coeur!

"Deux papillons jaunes jouent tout un après-midi devant notre tranchée ; leurs ailes sont tachetées de rouge.
Qu'est-ce donc qui a pu les attirer ici ?"

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C'est à mon goût le meilleur roman sur la première guerre mondiale, et il est de plus écrit par un perdant. C'est le meilleur car il y a tout : l'horreur des tranchées, les interrogations de celui qui doit agir au mlilieu de la boucherie, la réaction de l'arrière, la débilité des chefs, la camaraderie naissante et fauchée, l'amertume d'une guerre pour rien, la froideur du propos.
Ce roman est antimilitariste jusqu'à la moelle, anti-guerre et il n'a rien à envier aux films d'horreur d'aujourd'hui, sauf que là, c'était la réalité. L'impression personnelle est renforcée par l'usage de la première personne, comme dans un journal, et on suit les évenements la peur au ventre, même si parfois on aimerait en savoir plus, notamment lors des ellipses narratives.
Je l'ai lu, étudié avec des élèves de seconde qui ont été impressionés, à l'heure des combats de jeux vidéo et des guerres modernes.
On ne ressort pas indemne de cette lecture et on se dit que tout cela n'a servi à rien, puisqu'on a remis ça vingt ans après et qu'aujourd'hui encore, à un endroit du globe, ça continue...
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critiques presse (1)
LeFigaro
26 janvier 2017
D'Ellis Island à Hollywood, sur les pas d'un personnage qui emprunte bien des traits à l'écrivain, Remarque écrit le roman de l'exil et du retour à la vie.
Lire la critique sur le site : LeFigaro
Citations et extraits (373) Voir plus Ajouter une citation
“Pourquoi donc y-a-t-il la guerre ?” demande Tjaden.
Kat hausse les épaules.
“Il doit bien y avoir des gens à qui la guerre profite”.
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Tjaden revient […] en demandant comment une guerre se produit.
« Le plus souvent, c'est parce qu'un pays en offense gravement un autre », répond Albert, d'un ton un peu supérieur.
Mais Tjaden fait la bête : « Un pays ? Je ne comprends pas. Une montagne allemande ne peut pourtant pas offenser une montagne française, ni une rivière, ni une forêt, ni un champ de blé.
— Es-tu stupide à ce point ou bien joues-tu la comédie ? grommelle Kropp. Ce n'est pourtant pas ça que je veux dire. Un peuple en offense un autre…
— Alors, je n'ai rien à faire ici, réplique Tjaden. Je ne me sens pas offensé.
— Mais a-t-on donc des explications à te donner, à toi ? dit Albert d'un ton mécontent. Toi, cul-terreux, tu ne comptes pas là-dedans.
— Alors, raison de plus pour que je m'en retourne », insiste Tjaden.
Tout le monde se met à rire.
« Mais, bougre d'idiot, il s'agit du peuple dans son ensemble, c'est-à-dire de l'État… s'écrie Müller.
— L'État, l'État (ce disant, Tjaden fait claquer ses doigts d'un air malin), des gendarmes, la police, les impôts, voilà votre État. Si cela t'intéresse, toi, je te félicite.
— D'accord ! fait Kat. C'est la première fois que tu dis quelque chose de sensé, Tjaden ; entre l'État et la patrie, c'est vrai qu'il y a une différence.
— Cependant, l'un va avec l'autre, réfléchit Kropp. Une patrie sans État, ça n'existe pas.
— Juste ! réplique Kat. Mais songe donc que nous sommes presque tous du peuple et en France aussi la plupart des gens sont des manœuvres, des ouvriers et de petits employés. Pourquoi donc un serrurier ou un cordonnier français voudrait-il nous attaquer ? Non, ce ne sont que les gouvernements. Je n'ai jamais vu un Français avant de venir ici, et il en est de même de la plupart des Français, en ce qui nous concerne. On leur a demandé leur avis aussi peu qu'à nous.
— Pourquoi donc y a-t-il la guerre ? » demande Tjaden.
Kat hausse les épaules.
« Il doit bien y avoir des gens à qui la guerre profite.
— Eh bien, je en suis pas de ceux-là, ricane Tjaden.
— Ni toi, ni personne de ceux qui sont ici.
— À qui donc profite-t-elle ? » insiste Tjaden.

Chapitre IX.
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En chemin, nous traversons un bois pitoyable, avec des troncs mutilés et un sol tout lacéré. À certains endroits il y a des trous effrayants.
« Nom d'un chien ! ici il en est tombé rudement, dis-je à Kat.
— Des mines », répond-il en me faisant signe de regarder en l'air.
Dans les branches des arbres, des morts sont accrochés. Un soldat nu semble accroupi sur la fourche d'une branche, le casque est resté sur la tête. En réalité, il n'y a sur l'arbre qu'une moitié de lui, le tronc : les jambes manquent.
Je demande ce qui a pu se passer.
« Celui-là, ils l'ont sorti tout vif de son habit », grogne Tjaden.
Kat dit : « C'est une chose bizarre, nous avons déjà vu ça plusieurs fois. Lorsqu'une mine vous attrape, on est effectivement sorti de son habit. C'est la pression de l'air qui fait ça. »
Je cherche encore ailleurs. C'est bien ce qu'il dit. Là-bas sont accrochés uniquement des lambeaux d'uniformes, ailleurs est collée une bouillie sanglante qui, naguère, constituait des membres humains. Un corps est là étendu, avec un morceau de caleçon à une jambe et autour du cou le col d'un uniforme. À part cela, il est nu, ses vêtements sont éparpillés dans un arbre. Les deux bras manquent, comme s'ils avaient été arrachés par torsion ; je découvre l'un d'eux vingt pas plus loin dans la broussaille.
Le mort a le visage contre terre. Là où sont les attaches des bras emportés, le sol est noir de sang. Sous ses pieds, les feuilles sont écrasées, comme si cet homme les avait encore piétinées.

Chapitre IX.
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[...] ... Le bombardement a cessé, je me tourne vers l'entonnoir et je fais signe aux autres. Ils sortent et ôtent leurs masques. Nous saisissons le blessé, l'un de nous tenant son bras éclissé. Ainsi nous détalons aussi vite que nous pouvons, non sans trébucher.

Le cimetière est un champ de ruines. Cercueils et cadavres sont dispersés partout. C'est comme si les morts avaient été tués une seconde fois. Mais chacun de ceux qui ont été mis ainsi en pièces a sauvé la vie de l'un de nous.

La clôture du cimetière est détruite ; les rails du chemin de fer de campagne qui passe à côté sont arrachés et ils se dressent en l'air tout cintrés. Devant nous, il y a quelqu'un d'étendu. Nous nous arrêtons ; seul Kropp continue de marcher avec le blessé.

Celui qui gît sur le sol est une recrue. Sa hanche est inondée de sang caillé. Il est si épuisé que je saisis mon bidon, dans lequel j'ai du thé au rhum. Kat arrête ma main et se penche sur le soldat : "Où as-tu été touché, camarade ?"

Il remue les yeux. Il est trop faible pour répondre. Nous coupons son pantalon avec précaution. Il gémit. "Du calme, du calme, ça va aller mieux ..."

S'il a été touché au ventre, il ne faut pas qu'il boive. Il n'a pas vomi, c'est de bon augure. Nous mettons sa hanche à nu. C'est une bouillie de chair, avec des esquilles d'os. L'articulation est atteinte. Ce garçon ne pourra plus jamais marcher.

Je lui frotte les tempes de mon doigt mouillé, et je lui donne un coup à boire. Ses yeux s'animent. Alors seulement nous nous apercevons que son bras saigne aussi. Kat étale autant qu'il peut deux paquets de pansements afin de recouvrir la plaie. Je cherche de l'étoffe pour l'enrouler tout autour, sans trop serrer. Nous n'avons plus rien. Alors, je relève la jambe de pantalon du blessé pour faire une bande avec un morceau de son caleçon, mais il n'en a pas ; je le regarde attentivement, c'est le blondin de tout à l'heure. [Pour la première fois au feu, il avait eu une crise de panique et n'avait pu retenir ses fonctions naturelles. Le narrateur l'avait invité à se débarrasser de son sous-vêtement.] Cependant, Kat a trouvé, dans les poches d'un mort, d'autres paquets de pansements que nous appliquons sur la blessure avec précaution. Je dis au jeune homme, qui nous regarde fixement : "Nous allons maintenant chercher une civière." Alors, il ouvre la bouche et murmure : "Restez ici." Kat dit : "Nous revenons tout de suite ; nous allons te chercher un brancard."

On ne peut pas savoir s'il a compris. Derrière nous, il gémit comme un enfant : "Ne me quittez pas." Kat se retourne et dit tout bas : "Ne vaudrait-il pas mieux simplement prendre un révolver pour que tout soit fini ?" ... [...]
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Müller est mort. On lui a tiré à bout portant une fusée dans le ventre. Il a vécu encore une demi-heure avec toute sa lucidité et en souffrant terriblement. Avant de mourir il m'a donné son portefeuille et m'a fait cadeau de ses bottes, celles qu'il avait héritées de Kemmerich. Je les porte, car elles me vont bien. Après moi, c'est Tjaden qui les aura ; je les lui ai promises.
Nous avons pu enterrer Müller, mais sans doute qu'il ne restera pas longtemps en paix. Nos lignes sont ramenées en arrière. Il y a en face de nous trop de troupes fraîches anglaises et américaines. Il y a trop de corned-beef et de farine blanche de froment et trop de nouveaux canons, trop d'avions.
Quant à nous, nous sommes maigres et affamés. Notre nourriture est si mauvaise et faite de tant de succédanés que nous en devenons malades. Les industriels, en Allemagne, se sont enrichis, tandis que nous, la dysenterie nous brûle les intestins. Les feuillées sont toujours pleines de clients accroupis. On devrait montrer aux gens de l'arrière ces figures terreuses, jaunes, misérables et résignées, ces corps courbés en deux, dont la colique épuise douloureusement le sang et qui, tout au plus, sont capables de se regarder en ricanant et de dire avec des lèvres crispées, et frémissantes encore de douleur : « Il est inutile de se reculotter… »

Chapitre XI.
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Vidéo de Erich Maria Remarque
Extrait du livre audio "À l'Ouest, rien de nouveau" d'Erich Maria Remarque lu par Julien Frison. Parution CD et numérique le 11 août 2021.
https://www.audiolib.fr/livre/louest-rien-de-nouveau-9791035405885/
>Littérature (Belles-lettres)>Littérature des langues germaniques. Allemand>Romans, contes, nouvelles (879)
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