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Critique de JustAWord


Après la réédition d'Un Étranger en Olondre de Sofia Samatar par les éditions Argyll, voici qu'un autre trésor méconnu de la fantasy est remis sur le devant des étals : le Prophète et le Vizir d'Yves et Ada Remy.
Repris en poche par Pocket Imaginaire au sein de son nouveau label des « Étoiles montantes de l'imaginaire », ce court roman initialement paru en 2012 aux excellente éditions Dystopia est malheureusement passé quelque peu inaperçu.
Et pourtant…

Dans l'Orient brûlant…
Pourtant, Yves et Ada Rémy restent deux figures indispensables du milieu de l'imaginaire français, couronnés en 1979 par le Grand Prix de l'Imaginaire pour leur roman La Maison du Cygne. Avec le décès récent d'Yves Rémy, il était plus que temps de se pencher sur l'oeuvre tout en finesse et en poésie de ce couple d'écrivains (et cinéastes !) français.
Avec le Prophète et le Vizir, voici le lecteur propulsé dans le passé, au VIIIème siècle de l'Hégire sur L'île de Bahreïn où le plus doué des pêcheurs de perles du golfe Persique est enlevé par l'émir Nour al-Din Malek, un prince obsédé par l'avenir et, plus particulièrement par la future expédition punitive d'un des rois du Yémen à son encontre. Malgré une cour riche en monstres-devins (en fait des hommes et femmes affublés de difformités diverses et variés), il ne parvient pas à extraire ce qu'il souhaite de cette assemblée aussi étrange que repoussante, mécontentant par la même les nombreux visiteurs qui viennent chercher conseil auprès de l'émir.
Kemal bin Taïmour, le pêcheur de perles aux six doigts, va excéder tous les espoirs de l'émir et, au contact des autres devins, acquérir un don de prescience qui lui permet de saisir l'avenir le plus lointain. Devenu inutile et grotesque aux yeux de Nour al-Din Malek qui ne comprend pas les visions par trop nébuleuses de son sujet, voici Kemal embarqué dans un voyage qui fera de lui le plus grand prophète de son temps, chez les Croyants comme chez les Infidèles.
En fait d'un roman, le Prophète et le Vizir résulte du collage de deux nouvelles : « L'ensemenceur » et « Les huit enfants du vizir Fares Ibn Meïmoun », la seconde constituant une suite directe à la première. Dans une atmosphère proche de celle des Milles et Unes Nuits, Yves et Ada Rémy imagine un conte philosophique sur le passage du temps et sur la causalité.
Ou devrait-on dire plus poétiquement : sur le destin.

Peut-on changer le cours de l'Histoire ?
En compagnie de Kemal, le lecteur découvre l'Orient puis l'Occident, il mélange l'Histoire avec l'histoire et le présent avec l'avenir. le récit, aussi poétique que subtil, évoque différents évènements historiques tels que le siège de Malte ou la Peste de Marseille. Les Rémy s'amusent à porter le regard d'un homme du XIVème siècle sur des faits qu'il ne saisit pas et qu'il tente, avec sa compréhension limitée, d'exprimer au mieux. C'est l'occasion pour le lecteur de déchiffrer à la place de Kemal et de percevoir par la même occasion toute la difficulté du prophète pour savoir quoi faire et quoi dire de ces visions qu'il ne saisit pas lui-même. C'est non seulement un exercice de style réussi sur le sens des légendes à travers les siècles, mais aussi, et surtout, une réflexion sur l'influence de ces révélations dans le temps. Au fond, le Prophète et le Vizir s'interroge sur la possibilité d'influer sur le Destin ou si celui-ci, quoique l'on fasse, est-il déjà tout tracé ? On se demande alors si les révélations de Kemal sont à l'origine d'un changement dans les évènements prédits ou si c'est le fait pour lui d'en avoir parler qui a engendré ces visions en devenir ?
La causalité tourne en rond, le temps se fige et Kemal finit par se demander pourquoi Allah le tourmente de cette façon.
Mais outre sa réflexion sur l'inéluctabilité du Destin, le récit se permet de raconter le récit d'un homme à la fois tout à fait extraordinaire et complètement banal. Kemal est un personnage émouvant, à la fois sauveur et martyr, témoin et acteur. Il est un instrument entre les mains d'Allah, de Dieu, du Temps, du Destin…et des Rémy aux-même qui, en un sens, finissent par être les ultimes maîtres de cette vie de papier.

Déjouer le Destin
Dans la seconde histoire, Yves et Ada Rémy poussent plus loin leur expérimentation littéraire autour du Destin en resserrant leur intrigue sur le sort des enfants du vizir Fares Ibn Meïmoun, celui-là même qui occupait la dernière étape du voyage du prophète Kemal bin Taïmour.
Alors qu'un a prédit la mort de ses huit enfants, le vizir s'entête à tromper le Destin en les cachant au milieu du désert. C'est l'occasion cette fois pour les auteurs français de s'amuser avec leur concept et de l'installer de façon théâtrale, floutant encore davantage la frontière entre leur rôle d'écrivains et celui du Destin créateur. Moins dépaysant mais certainement plus tendu que le précédent récit, cet affrontement convoque créatures surnaturelles et mirages pour montrer que le démon véritable n'est pas forcément celui qui ôte la vie à la fin. de nouveau, Yves et Ada Rémy font merveille dans leur façon de dresser un décor oriental et de l'intégrer dans une histoire plus vaste et plus subtile qu'il n'y paraît de prime abord. Dépaysement garanti.

Avec ces deux récits, Yves et Ada Rémy prouvent qu'ils sont de grands conteurs. Poétique, intelligent, subtil et envoûtant, le Prophète et le Vizir s'amuse avec l'Histoire et la vie des hommes pour s'interroger sur le poids de nos actes et de nos paroles à travers le temps. On en ressort songeurs et charmés.
Lien : https://justaword.fr/le-prop..
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