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EAN : 9782849505649
148 pages
Syllepse (01/10/2017)
4/5   1 notes
Résumé :
Dans l’imaginaire collectif, la révolution d’Octobre apparaît comme une révolution essentiellement européenne, venue achever, dans tous les sens du terme, les idéaux de la modernité occidentale. Cette vision n’est pas fausse, mais elle occulte le fait que 1917 fut également le fruit d’un décentrement de la théorie et la pratique révolutionnaires aux marges de l’Europe, avant d’être l’origine d’un cycle de luttes d’émancipation, nationale et anticoloniale, en « Orien... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Traduction et enrichissement réciproques des diverses expériences d'auto-émancipation

Dans son introduction, Lénine décolonial, Matthieu Renault aborde, entre autres, la disparition des monde non-européens dans les perspectives révolutionnaires, le premier congrès des peuples de l'orient, la non-pensée des dimensions anti-coloniales, les évolutions des propositions de Lénine « un long et progressif décentrement révolutionnaire »…

L'auteur revient sur les théorisations de C. L. R. James, de Kautsky, de Lénine, des « tâches de médiation révolutionnaire », les difficultés à rompre avec le passé impérial-tsariste, « Les minorités nationales peuplant les marges (occidentales, méridionales, orientales) de la Russie avaient trop longtemps ployé sous le joug du tsarisme ; elles attendaient impatiemment d'être libérées, ou de se libérer elles-mêmes si le pouvoir soviétique y rechignait ».

Penser les taches d'émancipation nationales, de « désimpérialisation » des territoires, d'« exportation » de la révolution en Asie et au Moyen-orient nécessitait, non comme l'écrit l'auteur, de « déplacer les termes même du débat « marxisme versus pensée décoloniale » » ou de « décentrement constitutif de la Révolution », mais bien d'intégrer toutes les facettes (et, les contradictions, les différentes temporalités, les nécessaires auto-organisations, etc.) des luttes révolutionnaires et les résistances spécifiques dans les rangs mêmes des organisations qui se réclamaient de l'émancipation. L'universel (auto-libération des êtres humains) ne pouvait se réduire à un chemin, une voie, une forme, une histoire. de ce point de vue, le terme pluriversalisme me semble adéquat.

Les insuffisances de celles et ceux qui se réclament du « marxisme » ne dispensent pas d'interroger les faiblesses des pensées de celles et ceux centrées sur le « décolonial ». Il ne s'agit pas faire partager les responsabilités inscrites historiquement (asymétrie et domination, chauvinisme grand-russien…) indifféremment aux un-e-s et aux autres, mais bien de marquer aujourd'hui les nécessaires réflexions pour penser et construire des possibles émancipateurs…

Car si hier la révolution de 1917 a incarné d'« immenses espoirs » à travers le monde, il est encore nécessaire d'en souligner les manques, les impasses, les non-dits, les axes aveugles, dont justement les phénomènes coloniaux…

« À ceux de toutes obédiences qui persistent à croire, malgré les leçons de l'histoire, que le communisme adviendra à la suite d'une grande insurrection color-blind ou d'une « convergence » spontanée des luttes qui éradiqueront, comme par un coup de baguette magique, les rapports de pouvoir postcoloniaux et raciaux-« nationaux », aussi sédimentés soient-ils, et sans même qu'il y ait eu à les penser, ce livre voudrait apporter un démenti cinglant ». Et cela reste aussi vrai pour celles et ceux qui oublient les rapports sociaux de sexe ou le système de genre…

Quelques remarques préalables complémentaires aux remarques déjà faites, en laissant de coté certaines divergences. Je ne vais pas ici discuter du vocabulaire utilisé – le terme décolonial me semble trop vague. Pour ma part, je parle de luttes anti-colonialistes ou anti-coloniales, de colonialité du pouvoir. Il me semble de plus, que contrairement à l'auteur, les véritables décolonisations (luttes d'indépendance nationale ou luttes contre l'impérialisme), ne peuvent être séparées des luttes contre le capitalisme. Comme il s'agit toujours de construire des regroupements majoritaires de dominé-e-s, toutes les organisations asymétriques des rapports sociaux (domination « nationale », classe, genre, racisation) et leur imbrication doivent être prises en compte – ce qui ne dit rien des formes concrètes et historiques des mots d'ordre ou des formes d'organisation à chaque fois possibles ou souhaitables. Enfin, j'indique qu'il aurait été utile de préciser ce que le mot « musulman » (par exemple, dans « minorités musulmanes » pouvait signifier dans les années 20 du siècle dernier dans l'ex-empire russe, pour éviter une désinscription historique ou une essentialisation de certains rapports socio-culturels…

Matthieu Renault souligne certains traits des lectures marxistes et de Lénine, une certaine foi dans le progrès, une vision apologique de la révolution capitaliste et des transformations induites contre les « arriérations », une vision linéaire du temps (conception d'un temps historique homogène et linéaire) et de l'espace (Pour une lecture historicisée de ces problématiques, voir Kevin B. Anderson : Marx aux antipodes. Nations, ethnicité et sociétés non occidentales– des textes inconnus des protagonistes de l'époque), la reprise a-critique de la notion de « colonisation interne », les visions euro-centrées, la confusion entre développement du capitalisme et européanisation, les terres supposés « libres » et les territoires supposés « vides », etc. Ce travail de critique reste malheureusement toujours d'actualité.

L'auteur discute des positions du parti ouvrier social-démocrate de Russie (PODSR) sur le droit à l'autodétermination, les débats avec Rosa Luxembourg sur la question nationale, la place éventuelle de la religion dans certains contextes géo-sociaux, les notions de « nations oppressives et nations opprimés », le fait que les développements historiques sont pas unilinéaires (dit autrement, le développement inégal et combiné), les phénomènes de « non-contemporanéité » au sein d'un même monde, le panislamisme, les évolutions dans la « géo-stratégie » de Lénine, la lutte contre le « chauvinisme de grande puissance », la place des guerres nationales et leurs effets dans le coeur des grandes puissances, les formes hétérogènes et guère prévisibles des processus révolutionnaires, le polymorphisme révolutionnaire…

Je souligne particulièrement les passages sur la République du Bachkortstan, les conflits de l'autonomie, l'auto-émancipation, les frontières, le Turkestan, les relations socio-économiques, les divergences à l'intérieur des partis communistes, les « musulmans modernisateurs-radicaux », les problématiques de compétences locales-globales, les stratégies de contrôle, le chauvinisme grand-russien, les traductions possibles de la révolution en Orient, le travail original de traduction ou l'ancrage des propositions dans les conditions spécifiques et historiques (« traduction réciproque des expériences révolutionnaires »), l'oppression interne versus l'oppression externe, l'irréductible multiple, Sultan Galiev, Ryskoulov, Georgui Safarov, les liens entre questions agraires et questions nationales, l'émancipation des femmes…

Des débats toujours d'actualité, de réelles difficultés à articuler les multiples dimensions et les contradictions spécifiques dans les processus historiques d'émancipation. J'aurais bien aimé connaître les programmes et les propositions des « communistes musulmans ». Un petit livre utile, malgré ce que je nommerai des impasses méthodologiques.

Lien : https://entreleslignesentrel..
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Citations et extraits (3) Ajouter une citation
Au lendemain de la révolution d’Octobre, les bolcheviks ne se contentent pas de publier une déclaration des droits des nations en général ; le 7 décembre 1917, Lénine et Staline lancent un appel « A tous les musulmans de Russie et d’Orient », afin de les rallier à la révolution en marche :

« Musulmans de Russie, Tatars de la Volga et de Crimée, Kirghizes et Sartes de Sibérie et du Turkestan, Turcs et Tatars de Transcaucasie, Tchétchènes et montagnards du Caucase ! Vous tous dont les mosquées et les maisons de prière ont été détruites, dont les croyances et les coutumes ont été piétinées par les tsars et les oppresseurs de la Russie ! Désormais, vos croyances et vos coutumes, vos institutions nationales et culturelles sont libres et inviolables. Organisez votre vie nationale librement et sans entrave ! C’est votre droit. Sachez que vos droits, comme les droits de tous les peuples de Russie, sont protégés par la puissance de la Révolution, par les soviets des députés travailleurs, soldats et paysans. »

Liant indéfectiblement le sort des musulmans de l’Orient non-russe à celui de leurs alter ego sur le sol soviétique, l’appel enjoint « les Perses, les Turcs, les Arabes et les Indiens » à s’unir au gouvernement révolutionnaire dans sa lutte contre les puissances impérialistes européennes, qui se partagent impitoyablement leurs territoires et les réduisent en « esclavage ». Dans le même temps, Lénine, dans un geste de haute portée symbolique, ordonne la restitution à Tachkent du Coran d’Othman, l’une des plus anciennes copies du texte sacré, dont von Kaufman s’était emparé à Samarcande lors de la conquête du Turkestan pour l’offrir en présent au tsar Alexandre II, et qui avait depuis été conservé à la Bibliothèque impériale de Saint-Pétersbourg. (pp. 73-74)
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Les minorités nationales peuplant les marges (occidentales, méridionales, orientales) de la Russie avaient trop longtemps ployé sous le joug du tsarisme ; elles attendaient impatiemment d’être libérées, ou de se libérer elles-mêmes si le pouvoir soviétique y rechignait
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À ceux de toutes obédiences qui persistent à croire, malgré les leçons de l’histoire, que le communisme adviendra à la suite d’une grande insurrection color-blind ou d’une « convergence » spontanée des luttes qui éradiqueront, comme par un coup de baguette magique, les rapports de pouvoir postcoloniaux et raciaux-« nationaux », aussi sédimentés soient-ils, et sans même qu’il y ait eu à les penser, ce livre voudrait apporter un démenti cinglant
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