Citations sur Pierre-Auguste Renoir, mon père (38)
[...] Monet, Sisley, Berthe Morisot et lui avaient décidé de tenter une vente aux enchères publiques à la salle Drouot. Le public manifesta. Un monsieur traita Berthe Morisot de "gourgandine". Pissaro donna un coup de poing à l'insolent. La police intervint. Pas un tableau ne fut vendu.
Renoir découvrait et redécouvrait le monde, à chaque minute de son existence, à chaque aspiration d'air frais par ses poumons. Il pouvait peindre cent fois la même fille, la même grappe de raisin, chaque tentative était pour lui une révélation émerveillée. La plupart des adultes ne découvrent plus le monde. Ils croient le connaître et s'en tiennent aux apparences. Or, les apparences sont vite explorées. De là, cette plaie des sociétés modernes, l'ennui. Les enfants, eux, vivent d'étonnements renouvelés. Une expression imprévue sur le visage de leur mère leur suggère l'existence d'un infini de pensées mystérieuses, de sensations inexplicables. C'est parce qu'il partageait avec les enfants cette faculté de curiosité passionnée que Renoir les aimait tant.
Mallarmé écrivant à Renoir mis cette adresse :
A celui qui de couleur vit
au trente cinq de la rue du vainqueur
du dragon, porte ce pli, facteur
Les employés de la poste envoyèrent sans hésiter cette lettre à sa destination,
35 , rue Saint Georges.
Le public américain n'est probablement pas plus malin que le public français, mais il ne se croit pas obligé de ricaner quand il ne comprend pas.
Les cerfs et les biches sont curieux comme des hommes !
Ils s'étaient habitués à ce visiteur silencieux, presque immobile devant son chevalet et dont les mouvements semblaient caresser la surface de la toile.
Longtemps Renoir ne se douta pas de leur présence. Quand il prenait du champs pour juger d'un effet, c'était la débandade. C'est le froissement des sabots sur la mousse, accompagnant l'une de ces retraites, qui découvrit leur jeu.
Renoir commit l'imprudence de leur apporter du pain. < Ils étaient constamment sur mon dos, me poussant du museau, me soufflant dans le cou. Parfois j'étais obligé de me facher... Allez vous me laisser peindre, oui ou non ? >
En échange de mes histoires de guerre, Renoir me racontait des souvenirs de sa jeunesse. L'homme que je croyais être devenu découvrait un Renoir inconnu. le père saississait cette occasion de se rapprocher du fils. je pense maintenant qu'il simplifiait sa pensée pour se mettre à sa portée. Il y réussissait et au cours de ces conversations l'enfant, le jeune homme, puis l'homme mûr me devenaient clairs.....
Il y a en tout cas un aspect de lui que je n'entrevoyais même pas à cette époque, c'est celui ayant trait à son génie.
Le malentendu n'était pas seulement dans sa tenue. Il venait de ce que sa vision de la vie n'était pas celle des autres et que les gens devinaient vaguement l'existence d'un fossé.
Ses dernières oeuvres ne sont encore comprises que de très peu de nos contemporains. C'est une constatation qui me réjouit et me donne la sensation qu'il est encore là, jeune, vivant et qu'il n'a pas fini d'épater le bourgeois.
Derrière le vin, il voulait retrouver le vigneron et sa vigne, comme derrière un tableau , il voulait retrouver le peintre et le coin de nature qui l'avait inspiré.
L'idée de "but dans la vie", de réussite ou d'échec, de récompense ou de punition était étrangère à Renoir. Je parle évidemment de but matériel. L'acceptation totale de la condition humaine lui faisait considérer la vie comme un tout, le monde entier comme un seul objet.
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Quand ça ne venait pas, Renoir n’insistait jamais. Son entourage le savait aussitôt. Il cessait de chantonner et se frottait violemment la narine gauche avec l’index de la même main. Il finissait par dire à la femme du monde dont il faisait le portrait, ou au modèle qui avait arrêté sa chanson : « Nous pataugeons, il vaudrait mieux remettre ça à demain. » La dame ou le modèle devenait très triste. Il fumait une cigarette, faisait quelques passes de bilboquet. Parfois il sortait cinq minutes et marchait jusque chez Manière, pour acheter un paquet de cigarettes jaunes Maryland. « Il faut savoir s’arrêter et flâner ! »
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