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Critique de Philemont


Le cycle de Sherlock Holmes de René REOUVEN ce n'est pas moins de 3 romans et 2 recueils de nouvelles, auxquels sont adjointes 3 nouvelles éparses. Ces histoires sont structurées en deux parties, en premier lieu « Celles que Watson a évoquées sans les raconter », en second lieu « Celles que Watson n'a jamais osé évoquer ». Nous reprenons cette structure dans cette chronique, en partant du principe que les personnages de Holmes et Watson sont connus de tout un chacun (au besoin la documentation est abondante sur Internet) ; par ailleurs, les histoires originales étant libres de droit, on peut les lire en ligne et/ou les télécharger à volonté, par exemple sur Ebooks libres et gratuits ; c'est à la production de ce groupe que je fais référence quand je cite une des histoires originales (quand il s'agit d'une nouvelle je cite également le recueil dans lequel elle est incluse).

Celles que Watson a évoquées sans les raconter

Les amateurs savent que le canon est constitué de soixante enquêtes de Sherlock Holmes rapportées par le docteur Watson, lequel accompagne le détective à peu près en toutes circonstances. Ils savent aussi que dans le fil de ces histoires Watson a été amené à évoquer d'autres affaires sans pour autant en donner le détail. C'est à elles que René REOUVEN s'intéresse ici.

L'Assassin du boulevard (1985) est un roman qui fait très clairement référence à « la traque et l'arrestation de Huret, l'assassin du Boulevard - une prouesse qui valut à Holmes une lettre autographe de remerciement du Président français et la Légion d'honneur » (Le pince-nez en or, in le retour de Sherlock Holmes). Indirectement REOUVEN utilise aussi ce qui est évoqué dans L'interprète grec (Les mémoires de Sherlock Holmes) quant à l'ascendance française du détective. Il exploite surtout les divers indices laissés ça et là par DOYLE entre la « mort » de Holmes mise en scène dans le dernier problème (Les mémoires de Sherlock Holmes) et sa réapparition dans La maison vide (Le retour de Sherlock Holmes). Pour l'occasion il fait du détective le narrateur principal dans le cadre d'une intrigue au sein des milieux anarchistes français du début des années 1890. Celle-ci est remarquablement construite, telle une mécanique de précision dans laquelle les références historiques sont tout aussi riches que les références holmésiennes. On y appréciera également la finesse de l'humour de REOUVEN dans sa peinture de l'administration publique de l'époque.

Premier recueil de nouvelles dans le recueil, le Bestiaire de Sherlock Holmes (1987) exploite le fait qu'au fil des aventures de Sherlock Holmes, DOYLE a constitué un véritable bestiaire. On pense bien sûr au fort connu Chien des Baskerville, mais d'autres espèces, autres que canines, ont été évoquées au fil des aventures du détective. Il en est ainsi du cormoran qui est associé à une histoire de politicien et de phare dans La pensionnaire volée (Les archives de Sherlock Holmes), et qui se veut une histoire d'espionnage en pleine Première Guerre mondiale sous la plume de REOUVEN. Cité dans le vampire du Sussex (Les archives de Sherlock Holmes), le rat géant de Sumatra sème la terreur dans les bas-fonds londoniens en 1887. Quant au « ver mystérieux que la science ignorait », il est cité dans le problème du pont de Thor (Les archives de Sherlock Holmes), s'avère tout aussi géant que le rat suscité et a des effets étonnants sur la personnalité d'un homme connu pour sa propension à s'emporter à la moindre contrariété. Enfin, la sangsue citée dans le pince-nez en or (Le retour de Sherlock Holmes) se caractérise aussi par son gigantisme et par la mort particulièrement horrible d'un banquier américain.
On l'aura peut-être compris, le rat, le ver et La sangsue ont une véritable unité en mettant en scène des espèces à la taille démesurée ; elles trouvent leur origine dans les agissements d'un certain Docteur Moreau, ce que Holmes démontre en se faisant narrateur le temps de ces trois nouvelles. C'est d'ailleurs synthétisé par l'affaire de la Compagnie de Hollande et de Sumatra, évoquée par Watson dans Les Propriétaires de Reigate (Les mémoires de Sherlock Holmes), laquelle est l'objet du bref épilogue de ce recueil, brillant exercice de style où se mêlent imagination fertile, faits historiques et connaissance pointue des littératures de l'imaginaire du XIXème siècle.

Les Passe-temps de Sherlock Holmes (1989) réunit trois nouvelles qui ont pour point commun d'être des intrigues historiques ayant des échos dans le présent des années 1894-1895. Citée dans le pince-nez en or (Le retour de Sherlock Holmes), La tragédie des Addleton trouve son origine au XVIème siècle, dans l'ascendance d'un certain William Shakespeare, et dans la réalité de son talent. La mort subite du cardinal Tosca est évoquée dans Peter le Noir (Le retour de Sherlock Holmes) et va conduire Holmes à dévoiler l'identité cachée d'un pape ayant vécu au Xème siècle, ce qui s'avère tout simplement insupportable pour certains courants conservateurs de l'Eglise Catholique. La persécution spéciale enfin conduit Holmes à se référer à l'oeuvre de Goethe et à la mort de Gérard de Nerval dans le cadre d'une enquête pour le compte de la famille d'un magnat du tabac ; initialement elle est évoquée par Watson dans La cycliste solitaire (Le retour de Sherlock Holmes). Moins structuré que le précédent recueil, et donc moins abouti, Les passe-temps de Sherlock Holmes démontre néanmoins, s'il en est encore besoin, que René REOUVEN a des connaissances historiques pointues et qu'il sait les utiliser dans des intrigues policières aussi fouillées que divertissantes.

La première partie des Histoires secrètes de Sherlock Holmes s'achève sur deux nouvelles éparses. C'est d'abord le drame ténébreux qui se déroula entre les frères Atkinson de Trincomalee (1989), un drame familial conduisant à une usurpation d'identité entre frères jumeaux ; si elle est amusante, elle se montre un peu trop facile par rapport au reste de la production pour être véritablement impérissable ; elle trouve sa source dans Un scandale en Bohême (Les aventures de Sherlock Holmes) et Watson y laisse la parole à Holmes. C'est ensuite les Histoires secrètes de 1887 (1992) qui conte l'histoire d'une vaste escroquerie à l'assurance sous le couvert d'une société philanthropique ; elle est citée dans Les cinq pépins d'orange (Les aventures de Sherlock Holmes) et est surtout notable pour croiser pour la première fois les routes du détective et du colonel Moran, associé du Professeur Moriarty, les deux étant traditionnellement considérés comme les pires ennemis de Holmes.

Celles que Watson n'a jamais osé évoquer

La démarche adoptée par René REOUVEN dans la seconde partie des Histoires secrètes de Sherlock Holmes est fondamentalement différente de celle qui a présidé à la première. Ici il n'y a pas de références explicites ou sibyllines à rechercher dans le canon ; l'auteur préfère s'adonner à un exercice de style dans lequel la mise en scène s'articule avant tout autour de personnages historiques bien réels qui auraient influencés Arthur Conan DOYLE dans la composition de son cycle de Sherlock Holmes.

C'est tout particulièrement vrai du roman Élémentaire, mon cher Holmes (1982). Pour sa première incursion dans l'univers holmésien, REOUVEN avait tout simplement décidé d'évacuer les personnages imaginaires au profit d'hommes bien réels, à commencer par Robert Louis STEVENSON qui, dans le prologue, se voit contraint par sa femme de détruire un manuscrit qu'elle juge trop malsain ; si le doute subsiste sur la réalité de cette destruction, toujours est-il que la seconde version de ce manuscrit donne lieu peu de temps après à la publication de L'Étrange Cas du docteur Jekyll et de M. Hyde. S'en suit une structure tripartite où REOUVEN met en scène et explique à sa façon trois affaires de tueurs en série bien connues des années 1888 à 1892, et qui sont depuis entrées dans l'imaginaire collectif. le point commun entre les trois c'est bien sûr un étrange manuscrit dont la lecture conduirait à la folie meurtrière ; mais c'est aussi la mise en scène de protagonistes ayant un lien plus ou moins direct avec l'univers holmésien. C'est par exemples Arthur Conan DOYLE lui-même, ses sources d'inspiration tels le docteur Joseph Bell (son ami ayant inspiré le personnage de Holmes), Alfred Wood (son secrétaire qui aurait inspiré le personnage de Watson), ou encore un certain Jules Bonnot (son chauffeur qui lui permet d'établir un nouveau lien avec les milieux anarchistes français de l'époque).
La mécanique ainsi développée par René REOUVEN est brillante. Ses références historiques, littéraires et holmésiennes sont innombrables et érudites tout en venant servir un imaginaire extrêmement divertissant. Incontestablement, avec ce roman, on est en présence du meilleur des Histoires secrètes de Sherlock Holmes.

On ne peut pas en dire autant à propos du Détective volé (1988), second roman de cette partie. Dans celui-ci REOUVEN fait voyager dans le temps les personnages de Holmes et Watson grâce à un nouvel emprunt à Herbert George WELLS. Ils sont d'abord envoyés dans le Paris de 1834 par leur auteur (car ils ont conscience d'être des personnages de fiction), pour enquêter sur l'identité réelle du chevalier Dupin, personnage créé par Edgar Allan POE, et source d'inspiration avouée de DOYLE pour le personnage de Holmes ; pour cela ils travailleront en collaboration avec un certain Vidocq et éclaireront de leur esprit analytique les enjeux politiques de la lettre volée, l'une des trois nouvelles dans lesquelles POE a mis en scène Dupin. Dans la seconde partie du roman ils se retrouvent à Baltimore en 1849 pour enquêter sur la mort suspecte de POE lui-même ; ce faisant ils y trouvent les clés de l'affaire Mary Rogers qui inspira l'auteur américain pour son Mystère de Marie Roget, autre nouvelle de la trilogie « Dupin ». le roman s'achève alors sur un paradoxe temporel certes astucieux, mais qui rend vraiment artificielle cette rencontre entre personnages de fiction. Surtout il vient souligner le caractère décousu de ce roman et finalement le fait qu'il n'est vraiment pas convaincant, en dépit de la richesse de ses références.

Et le recueil de s'achever sur une nouvelle composée de deux lettres adressées au rédacteur en chef du Strand Magazine, l'éditeur d'Arthur Conan DOYLE. Signées d'une part de James Moriarty, d'autre part de Sébastian Moran, elles révèlent que La Plus grande machination du siècle (1990) ne serait pas forcément de leur fait, démystifiant ainsi les « plus grands ennemis » de Sherlock Holmes, et l'intéressé lui-même...Ce récit épistolaire vient conclure le cycle de Sherlock Holmes selon REOUVEN à la manière d'un clin d'oeil. Ce n'est pas forcément impérissable mais c'est plein d'humour et finalement parfaitement adapté à son rôle d'épilogue aux Histoires secrètes de Sherlock Holmes de René REOUVEN.

Au final ces Histoires secrètes de Sherlock Holmes sont d'une lecture extrêmement plaisante. Elles sont à la fois érudites, divertissantes et pleines d'humour. L'écriture de REOUVEN est parfaitement ciselée et dans de nombreux textes les connaisseurs de l'oeuvre originale de DOYLE s'y croiront réellement. A ce titre les histoires que « Watson a évoquées sans les raconter » sont bluffantes, en particulier les nouvelles composant le bestiaire de Sherlock Holmes. Quant à « Celles que Watson n'a jamais osé évoquer », elles sont l'occasion d'un imaginaire bien plus personnel de la part de l'auteur, lequel confine à l'excellence avec son roman Élémentaire, mon cher Holmes. C'est d'ailleurs ce texte qui marquait sa première incursion dans l'univers holmésien et qui lui valut le Prix mystère de la critique en 1983 (sous le pseudonyme Albert DAVIDSON). Comme on le sait c'est également la première incursion de René REOUVEN dans ma bibliothèque personnelle, mais ce n'est probablement pas la dernière.
Lien : http://philemont.over-blog.n..
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