Le roman épnoyme de
Didier Daeninckx fait suite à
Cannibale, qui racontait les traitements dégradants envers les Kanak lors de l'Exposition coloniale de Paris en 1931. le personnage central du roman revient à Paris 75 ans après l'exposition. Sa mission: récupérer une tête, la tête d'un Kanak. Pas n'importe lequel: Ataï, un chef tribal, symbole de la résistance locale au colon français. En l'occurrence, Ataï a été trahi par les siens (ce qui était également fort fréquent).
Il n'était pas rare que le colon s'approprie des parties des opposants, comme trophées. Mains, têtes... tout cela repartait vers la métropole pour alimenter les cénacles bien-pensants ou autres cabinets de curiosités. Ou pour prouver le caractère inférieur des populations visées. Gocéné va alors mener son enquête, de salle de ventes en musée, d'experts en trafiquants, afin de retrouver la tête.
C'est une plongée fort sombre dans les méandres du "commerce de l'art" à laquelle
Didier Daeninckx (qui scénarise la BD) et
Emmanuel Reuzé nous invitent. La mise en couleur est très grise, renforçant le propos. La progression se fait crescendo pour un twist final très prenant (on reconnaît la patte humaniste de
Daeninckx).
Le pillage de ressources a été une constante de la colonisation. de vestiges historiques à des corps ou parties de corps, les colons auto-proclamés "civilisés" ont fait main basse sur tout ce qu'ils pouvaient. Par exemple, le British Museum, le Louvre... et bien d'autres musées possèdent des biens acquis illégalement, dont des parties de corps. On sait (preuves à l'appui) qu'au moins 1% des pièces détenues par le Musée Royal d'Afrique Central près de Bruxelles sont des biens spoliés pris au Congo. S'approprier des parties de corps est la pire chose qui soit. Et
Didier Daeninckx nous le fait très bien ressentir, opposant la cruauté des colons à l'implacable et tranquille détermination de Gocéné à l'appât du gain et aux rouages des administrations. le dessin vient à point nommé pour renforcer cet effet.
Mentionnons qu'en exergue de la BD, on précise que Kanak remplace canaque, teinté de colonialisme et niant l'essence même d'un peuple.
Didier Daeninckx est connu pour ses combats humanistes. Cette BD m'a donné envie de me (re)plonger dans son oeuvre.