Baudelaire a écrit "Parfois on trouve un vieux flacon qui se souvient, d'où jaillit toute vive une âme qui revient", voilà certainement au milieu de toutes les paroles, citations, ou extraits qui ont trait au parfum celui qui convient le mieux à cet ouvrage, d'une auteure que je découvre.
Sur son orgue à parfum
Theresa Revay nous joue ici, une partition absolument sublime.
Mélangeant grande Histoire et petite histoire, ce roman laisse dans son sillage des accords parfaits...
Une mémoire olfactive rarement ressenti dans un roman, alors certes il y a eu "
Le parfum" de
Patrick Süskind, mais là nous sommes aux antipodes avec
ce parfum rouge.
Jacques Guerlain écrivait en 1912 « le soleil s'est couché, la nuit pourtant n'est pas tombée. C'est l'heure suspendue.... L'heure où l'homme se retrouve enfin en harmonie avec le Monde et la lumière. », de l'heure bleue à l'aube rouge
le parfum du temps suspendu, le temps comme suspendu aux effluves d'une fragrance qui jouent sur les différentes notes de la mémoire...
Une mémoire plurielle, Une mémoire sensorielle
Ce livre est comme le flacon de Nine, l'héroïne de ce roman, ce "flacon qui l'attend à l'abri de la lumière dans un placard dont elle s'approche comme d'un tabernacle. Toute fragrance contient un élément mystique, quelques grammes évanescents, le poids de l'âme de son créateur."
L'écriture de l'auteur est semblable à ces accords nécessaires pour obtenir un résultat à la fois unique et entêtant, mais dans l'acception la plus noble de ce mot. À l'image de Nine : " Elle a réalisé des dizaines d'ébauches, ajustant les éléments au gramme près sans jamais atteindre l'alchimie miraculeuse qui permet à l'intuition d'un parfum de s'incarner en certitude."
Car on alterne entres les chapitres entre l'histoire et
L Histoire et l'écriture se fait mimétique, mais il reste une je ne sais quoi dans l'air, à la fin, comme une persistance olfactive.
Theresa Revay est qui sait comme ces créateurs dont elle écrit si subtilement : " Car il faut être fou ou prophète pour chercher à séduire par le plus énigmatique des cinq sens, celui qui alerte au danger, suscite la répulsion ou invite à la volupté, qui reconnaît le langage archaïque et sacré des aromates, des fleurs et des alcools. L'odorat, ce sens vulnérable à l'encens qui parle aux Cieux, aux suaves accords d'une fraîcheur innocente comme aux puissantes émanations de corps enfiévrés. Sensible, surtout, aux éblouissements nés de l'imaginaire de ces magiciens qui exaltent le secret des peaux qui se répondent, subliment la passion et annoncent la vérité."
Car écrire sur
le parfum n'est ce pas un exercice d'équilibriste, quoi de plus volatile, quoi de plus volubile, que d'écrire sur l'évanescence...
De plus l'auteure " a choisi " (les lecteurs découvriront dans les notes, que ce n'est pas un choix) une période charnière de l'histoire : "Mais de nos jours, la sauvagerie est partout. Elle est rouge en Russie, brune en Allemagne, et elle porte des chemises noires en Italie. Beaucoup d'entre nous l'avons aussi éprouvée au quotidien pendant quatre ans. Nous en conservons les blessures dans notre chair et « notre espérance est violente »."
Un parfum réussi, c'est l'exaltation des contraires.
Un livre réussi serait-il lui aussi l'exaltation des contraires, une chose est certaine
ce parfum rouge laisse dans son sillage, une impression de lecture loin d'être volatile, un peu comme un extrait de cette fragrance la plus concentrée...
Ce roman remarquable se respire avec ses notes de tête que sont l'histoire de Nine dans
L Histoire, des notes de coeur qui se composent sur fond de mémoire familiale et enfin des notes de fond d'une écriture subtile et sensible...