De sa terre natale, la jeune femme avait reçu en héritage ce sens du fatalisme, cette lucidité à accepter l'improbable puisque l'âme orientale n'a pas renoncé à la part d'irrationnel qui entre dans une existence. On ne passait pas à côté de sa vie. On en empruntait le chemin avec plus ou moins de courage, de grâce et d'élégance.
_Le plus terrible était de ne pas pouvoir vous imaginer. Quand je pensais à ma mère, je n'avais aucun souvenir auquel me raccrocher. En grandissant, je m'observais parfois dans un miroir en me demandant si je vous ressemblais.
Il connaissait ce genre d’individus, leurs prétentions condescendantes, leurs convictions de croisés qui ne s’étaient jamais remis d’avoir dû abandonner Jérusalem à Saladin et Constantinople à Mehmet II.
Dans ses yeux, elle découvrit alors un vertige de mondes inédits, où elle se reflétait tout entière, avec ses peurs et ses espérances. Jamais personne ne l'avait regardée ainsi.
Elle croyait en l'au-delà. Il était impossible de naître en terre d'Orient et de ne pas éprouver une sensibilité mystique. La quête y était trop ancienne, trop puissante, et le tumulte des âmes retentissant.
Seule la connaissance peut lutter contre le fanatisme et faire émerger un idéal
commun, renchérit Adib d’un ton soudain beaucoup plus grave. C’est une idée neuve
en Syrie, vous comprenez. Une éducation digne de ce nom engendre la tolérance, mais
aussi le patriotisme et le respect de soi. La paix sera à ce prix à l’avenir. Cela
dit, même si les uns et les autres ne partagent pas exactement les mêmes idées, je
suis fier de nous tous… C’est la première fois, en près de quatre siècles de domination
ottomane, qu’un idéal commun rapproche les différentes confessions autour de la fierté
de l’héritage arabe.
L’envoûtement et la gourmandise se lisaient dans les regards, trahissant la volupté que provoque inévitablement ce tissu si ensorcelant qu’il était interdit aux pieux musulmans de le porter à même la peau. Depuis les premiers temps, l’islam prêchait l’ascétisme et privilégiait le lin, le coton et la laine, se méfiant de ce fil issu de la bave d’un insecte. Pour les hommes, la soie devait se limiter aux ceintures, aux manteaux, aux bordures des vêtements qui ne devaient jamais dépasser deux ou quatre
doigts selon les coutumes, aux turbans portés sur une calotte. Aux siècles passés, même les tissus d’ameublement se devaient d’être des mélanges, les croyants ne s’asseyant pas sur des coussins de soie pure. Seules les femmes pouvaient porter l’étoffe suprême, parce qu’elle célébrait mieux que toute autre leur sensualité.
Blanche ne résista pas à la tentation. Elle retira ses gants, caressa les qotnis à trame soie et chaîne coton, semées de fleurettes d’or, dont Damas avait le monopole.
Une pointe de nostalgie la traversa au souvenir de sa mère marchandant des pièces d’aladja, cette étoffe rayée multicolore semblable à du satin. Elle savait que, selon la traditio musulmane, les prières des vivants
De sa terre natale, la jeune femme avait reçu en héritage ce sens du fatalisme, cette lucidité à accepter l’improbable puisque l’âme orientale n’a pas renoncé à la part d’irrationnel qui entre dans une existence. On ne passait pas à côté de sa vie. On en empruntait le chemin avec plus ou moins de courage, de grâce et d’élégance. Elle porta une autre cuillerée à sa bouche, les cheveux d’ange craquèrent sous ses dents, et elle puisa de nouvelles forces dans ces arômes
qui évoquaient mieux que n’importe quels mots la tendresse et le réconfort.
- La vie commence le jour où on a quelque chose à perdre, dit Nazik.
Seuls ceux qui l'ont vécu peuvent comprendre le supplice de celui qui aime sans être aimé en retour.