LE BRUIT DES VAGUES
Tous les flots des marines du mur pourraient se
déverser dans les assiettes, avec la céruse écumante
des vagues.
Le fond resterait toujours bleu, derrière le soleil trop
éclatant du cadre.
Dans la maison, assez calme pour un pareil temps,
chacun se retourna pour savoir d’où venait ce bruit, ce
mouvement.
Car personne n’était dans le secret, que celui dont
l’œil inquiet ne quittait plus le carré blanc de la fenêtre,
et, dans les rideaux soulevés par sa poitrine émue,
celui qui n’était venu là que pour voir et ne pas être vu.
TOUT DORT
L’arbre du soir, l’abat-jour de la lampe et la clef du repos.
Tout tremble quand la porte s’ouvre sans éveiller de bruit.
Le rayon blanc traverse la fenêtre et inonde la table.
Une main avance à travers l’ombre, le rayon, le papier sur la table.
C’est pour prendre la lampe, l’arbre au cercle étendu, l’astre chaud qui s’évade.
Un souffle emporte tout, éteint la flamme et pousse le rayon.
Il n’y a plus rien devant les yeux que la nuit noire et le mur qui soutient la maison.
APRÈS-MIDI
Au matin qui se lève derrière le toit, à l’abri du pont, au coin des cyprès qui dépassent le mur, un coq a chanté. Dans le clocher qui déchire l’air de sa pointe brillante les notes sonnent et déjà la rumeur matinale s’élève dans la rue ; l’unique rue qui va de la rivière à la montagne en partageant le bois.
On cherche quelques autres mots mais les idées sont toujours aussi noires, aussi simples et singulièrement pénibles. Il n’y a guère que les yeux, le plein air, l’herbe et l’eau dans le fond avec, à chaque détour, une source ou une vasque fraîche. Dans le coin de droite la dernière maison avec une tête plus grosse à la fenêtre.
Les arbres sont extrêmement vivants et tous ces compagnons familiers longent le mur démoli qui s’écrase dans les épines avec des rires.
Au-dessus du ravin la rumeur augmente, s’enfle et si la voiture passe sur la route du haut on ne sait plus si ce sont les fleurs ou les grelots qui tintent.
Par le soleil ardent, quand le paysage flambe, le voyageur passe le ruisseau sur un pont très étroit, devant un trou noir où les arbres bordent l’eau qui s’endort l’après-midi.
Et, sur le fond de bois tremblant, l’homme immobile.
CIEL OUVERT
Le fil descend. Du haut du ciel le fil descend lourd, droit, noir, — descend sur le sommet de la tête nue — la tête du vieillard qui s’arrête.
Il est dans un jardin bordé de grilles, en cage et le monde est autour. Les autres gens tournent autour, le long des arbres.
Le temps est lourd, les yeux, les étincelles éclairent la nuit noire ou la lueur du film — cette lueur qui n’est pas encore dans sa tête.
Un nuage de suie se gonfle, avalanche de coton sans eau, la maison se gonfle aussi, la poitrine, les arbres se gonflent et la tête est perdue.
La peau — sous les tiges de feu — ruisselle — et l’eau s’écarte de la masse d’huile qui glisse, qui joue — les gonds de la plus grande porte qui tourne. Le ciel fendu — le fil descend — l’éclair. Le monde
à sa lueur est à peine entrevu.
MOUVEMENT INTERNE
Sa face écarlate illumine la chambre où il est seul. Seul avec son portrait qui bouge dans la glace. Est-ce bien lui ? Serait-ce l’œil d’un autre ? Il n’en aurait pas peur. Son pied manque le sol et il avance en éclatant de rire. Il croit que cette tête parle — celle qu’il a devant lui, ivre, les yeux ouverts.
Le plafond s’abaisse, les murs vont éclater et il rit. Il rit au feu qui lui chauffe le ventre ; à la pendule qui bat comme son cœur. La chambre roule — ce bateau dont le mât craquerait s’il faisait plus de vent. Et, sans s’apercevoir qu’il tombe, sur le lit où il va s’endormir, il croit encore rêver que les vagues l’emportent. Trop loin. Il n’y a plus rien que le rire idiot du réveil et le mouvement inquiétant de la porte.
Robert Bober Il y a quand même dans la rue des gens qui passent - éditions P.O.L où Robert Bober tente de dire comment et de quoi est composé son nouveau livre "Il y a quand même dans la rue des gens qui passent", et où il est notamment question de son précédent livre "Par instants la vie n'est pas sûre" et la poursuite de sa conversation avec Pierre Dumayet, d'identité indéterminée et d'identités, d'innocence et de bonté, d' enfance et de rencontres, du yiddish et de Georges Perec, de Seth et de Julien Malland, de Martin Buber et de Gaston Bachelard, de Cholem Aleikhem et du film "Tevye le laitier" de Maurice Schwartz, de Zozo et de la rafle du Vel d'hiv, d'images et livres, de Robert Doisneau et de la photographie, de Pierre Reverdy et de la librairie du Désordre à la Butte aux Cailles, à l'occasion de la parution de "Il y a quand même dans la rue des gens qui passent" en octobre 2023 aux éditions P.O.L, à Paris, le 10 janvier 2024
"– Alors, toujours aussi gros ?
– Et toi, toujours aussi con ?
C'est comme ça que j'ai compris qu'ils étaient copains. le gros, derrière son comptoir, c'était le patron du bistrot-guinguette « Chez Victor » situé derrière la place des Fêtes au fond de l'impasse Compans. le con était accoudé au zinc en attendant d'être servi.
Plus tard, bien plus tard, je suis retourné voir le bistrot « Chez Victor », je ne l'ai pas retrouvé. Tout le quartier avait été détruit."
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