![]() |
Quand j'ai commandé ce… cette chose, j'imaginais qu'il s'agissait de révoquer les idées reçues, à la manière de Flaubert. Eh bien, à mon suprême effarement, pas du tout ! Il s'agit plutôt de les revendiquer crânement, avec un aplomb qui désarçonnerait n'importe qui. Tout y passe. Il y aurait eu une "réforme grégorienne", des "bibles de pierre", une révolution de "l'an mil"… On a le vertige devant la définition délirante des avant-nefs, "précisant" des distinctions parfaitement arbitraires entre clocher porche, Westwerk et avant-nef (en réalité tous synonymes), ou devant la vieille lune très "Troisième République" d'un art roman national (homogène dans toute la "Gaule"), et j'en passe et de pires! Tout cela a été prouvé faux et archi-faux depuis des lustres. Tous les historiens professionnels d'élite rejettent aujourd'hui le concept de "réforme grégorienne" qui n'est plus un concept valide. C'est le cas également pour l'idée d'un "an mil" qui aurait constitué une césure. Quant aux avant-nefs, je renvoie aux travaux sérieux dirigés par Sapin. Enfin, côté "art roman de Gaule", il y a bien longtemps que Johnny Roosval a dégagé cinq blocs artistiques de l'art roman dont aucun ne se définit en termes "nationaux" au sens moderne d'une géographie hexagonale telle que Vauban l'a fixée. Louis Grodecki, par la suite, a eu le mérite de montrer que la combinaison la plus totalement harmonisée de la sculpture et de la peinture spécifiquement "romanes" occupe une aire transversale qu'il appelle "ibéro-burgonde", traversant le Sud-Ouest européen et embrassant l'Espagne du Nord, la France au Sud de la Loire et à l'Ouest du Rhône, et la Bourgogne (GRODECKI, Louis, "L'Europe romane" [Expositions de Saint-Jacques de Compostelle et de Barcelone, 1961], L'Oeil, n° 82, 1961.) Quant aux "bibles de pierre", quelques citations d'éminents spécialistes qui mettent les choses au point: "Cette sculpture, dans l'esprit de ses concepteurs, n'est pas « la Bible des illettrés » comme on l'a souvent dit. Elle est présente dans le paysage des moines et des chanoines, pour les cloîtres, ou celui des clercs et des fidèles, pour les églises, et elle vise à transmettre la vision du monde que l'Eglise entend promouvoir." Quitterie Cazes, in : Sculptures romanes toulousaines. Regards croisés "L'image médiévale n'est pas, comme le veut l'idée commune, la "Bible des illettrés"!" Jérôme Baschet, in : L'Iconographie médiévale "L'imagerie religieuse n'est pas destinée aux pauvres croyants, ainsi placés devant une «bande dessinée» sculptée dans la pierre, servant à leur édification. C'est une vision purement romantique! Ces images sont tellement compliquées qu'elles sont incompréhensibles pour le peuple. D'ailleurs, tout le monde s'en foutait." Yves Christe, in : Images médiévales de l'au-delà Faut-il passer aussi sur les anachronismes qui font grincer des dents, comme celui-ci : Otton Ier « couronné empereur du Saint-Empire romain », alors que le SERG n'existera que plusieurs siècles plus tard? Enfin, la typographie pique les yeux : ici c'est "Mozat" (!) au lieu de Mozac, là "roman" au lieu de romain… et ainsi de suite. Bref, j'arrive à la dernière page, passablement exaspérée. Elle s'intitule "Pour aller plus loin". ENCORE plus loin, vraiment? C'est-il possible? Et dès la première ligne, on vous renvoie à la "référence" (!) Eliane Vergnolle. Avec une telle caution, en effet, tout est permis dans ce pays. En vérité, je vous le dis: l'après-Vergnolle constituera une libération considérable du carcan des bêtises ressassées depuis 50 ans dans le domaine stérilisé de l'histoire de l'art en France (tandis qu'à l'étranger, la recherche a pris une avance considérable, humiliation suprême qui nous fait passer pour indignes de notre propre patrimoine national, un peu comme les Grecs du XIXe siècle qui, jugés dégénérés par les Britanniques, ont été dépossédés de leurs trésors par les archéologues du British Museum). + Lire la suite |