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Critique de HundredDreams


« Mangeterre » est un roman sur les violences faîtes aux femmes. de part le monde, les femmes crient pour que cela cesse.
En Argentine, une femme meurt toutes les 36 heures sous les coups de son compagnon ou d'un proche. Avec le confinement, le nombre de féminicide a augmenté d'un tiers et le nombre d'appels d'urgence pour dénoncer des violences domestiques a explosé. Un chiffre : 18 femmes ont été assassinées par leur conjoint ou ex-conjoint pendant les vingt premiers jours du confinement de l'année dernière.
Sans aller aussi loin, on recense chaque année en France environ 225 000 femmes victimes de violences conjugales. En 2019, triste nombre, révoltant, 146 femmes ont été tuées par leur conjoint.
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« Mangeterre » un nom qui interpelle. C'est le surnom de la narratrice, une adolescente à part, d'humeur taciturne et indocile.
Elle se découvre un don le jour de l'enterrement de sa mère, victime des brutalités conjugales répétées. Par désespoir, colère, rébellion, elle mange de la terre, ce qui lui provoque des visions. Elles lui révèlent où sont les personnes disparues ou décédées et les circonstances de leur mort.

Ce pouvoir est un secours inestimable pour toutes ces familles à la recherche de parents disparus, des femmes la plupart du temps. Les familles affluent, apportant dans des petites bouteilles, de la terre foulée par leur proche disparu. Mais l'état de transe dans lequel plonge la jeune fille est aussi une terrible épreuve. Voir leur supplice, ressentir leur souffrance et leur peur l'obsède, l'habite dans ses rêves.

Trop jeune, elle se sent désorientée, partagée entre son envie d'aider les autres et le besoin de se protéger.
« J'ai caressé la terre qui me donnait des yeux neufs, me permettait d'avoir des visions auxquelles j'étais la seule à accéder. Je savais combien les messages des corps volés sont douloureux. »
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Terriblement immersif. J'ai respiré le parfum de la terre humide, j'ai ressenti du dégoût à en manger.
En seulement 200 pages d'une beauté crue et âpre, l'auteure nous immerge dans les pensées de cette jeune fille et nous ressentons ses peurs, ses fragilités, son mal-être, la nécessité de se préserver de toutes ses souffrances, mais aussi son désir d'apaiser les incertitudes et le désarroi de toutes ces femmes qui viennent la solliciter.
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Ce roman est aussi celui d'une adolescente qui se cherche. L'auteure donne ainsi vie à une héroïne complexe, forte autant que fragile, un peu sorcière, un peu voyante. Sous des apparences de dureté et de grossièreté, se cache une âme sensible, blessée et un coeur généreux. Nous ne connaîtrons ni son prénom, ni son âge.
« Je garde mes larmes pour moi, pour ne laisser sortir qu'une colère qui me donne l'impression d'être pétrifiée. »
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Mais ce qui est le plus intéressant, c'est cette image de la terre, qui boit le sang des victimes, et avec lui, leur douleur, leur peur, leur rage. Cette terre est la mémoire des violences commises, en particulier sur les femmes et les enfants. Cette terre qui lui permet de voyager jusqu'au disparu, d'entrer en contact avec lui lors de transes et de voir ce qui est arrivé.
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L'écriture évolue en fonction des besoins de la narration. Mangeterre s'exprime dans un langage argotique et cru. Mais le langage de la rue se substitue à une écriture plus poétique, plus profonde, plus riche. Ce mélange est assez déconcertant, mais rend le récit encore plus douloureux et poignant.
La violence est très présente, mais l'auteure ne décrit pas toute la barbarie et l'abjection des meurtres, le lecteur lit entre les lignes. J'ai aimé cette approche sans voyeurisme.
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La première partie du roman m'a emportée dans un univers fantastique, mystérieux et onirique, même si l'intrigue ne s'installe pas vraiment.
La deuxième partie de l'histoire m'a moins transportée, plus cru, moins onirique. Je me suis demandée où l'auteure voulait me conduire. Il n'y a pas vraiment d'intrigue, c'est plutôt un itinéraire de vie, une expérience individuelle, une fiction qui rend compte de la violence faite aux femmes et de l'impuissance des autorités à résoudre ces affaires criminelles.
La fin ouverte laisse le lecteur dans l'incertitude. Je comprends bien les intentions de l'auteure qui nous laisse comprendre que le combat pour le respect des femmes continue, mais je n'aime pas trop ce genre de fin.
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Roman lu après la magnifique critique de Berni_29 que je vous engage à lire, je ne regrette pas, même si je suis un tout petit peu moins enthousiaste que Berni. C'est un roman atypique, intrigant, agréable à lire, où se mêlent dureté et lyrisme. J'ai été prise dans un tourbillon de sentiments contradictoires, entre colère, tristesse, empathie, impuissance, révolte, beauté aussi.
Je vous engage à le lire pour vous faire votre propre avis.
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