Maladie d'amour

Les histoires d’amour étaient-elles autre chose qu’une succession de trahisons, de mensonges, comme dans la pièce ? Et encore, à l’époque, on avait la sagesse de ne pas se marier par amour.

Finalement, la seule chose positive, dans le bilan de sa relation, c’était d’avoir renoncé à ce métier pour lequel elle n’était pas faite. Sans réelle activité, la précarité dans laquelle elle vivait, ressemblant au rien qui l’habitait, avait fini par lui convenir. Elle aurait voulu, au jour de ses 30 ans, pouvoir tout effacer, repartir à zéro, envisager le lendemain comme le véritable commencement de sa vie.

C’était une sensation à la fois incongrue et délicieuse. Ce moment où rien ne se passait, où ils étaient juste debout, l’un en face de l’autre, comme deux présences physiques vivant en harmonie. C’était presque érotique, mais il était difficile d’expliquer pourquoi.

Ne pas le revoir faisait ressembler sa vie à un jour sans fin.

Le chagrin faisait aussi partie de cette histoire; il avait un corps, des contours occupés par l'absence. Alice aimait Dan, qu'il soit avec elle ou non, elle aimait la douleur qu'il lui procurait telle une présence supérieure. Elle avait compris la nature profonde de son désir, lui qui prétendait permettre aux autres d'accomplir le leur, et s'était adaptée au plaisir qu'il retirait lorsque son scalpel pénétrait les chairs de ses patientes. Elle s'était offerte, mais sans anesthésiant et sans qu'il y ait besoin d'instruments pour découper son corps. Elle ressentait dans son âme la pointe de ce désir, c'était cette souffrance qu'elle lui offrait, semblable à celle d'un corps ciselé par l'amour.

C’était son heure de gloire, il était temps de récolter les fruits de ces longues heures passées au téléphone, à échafauder des scénarios avec les uns et les autres. Celui-ci dépassait toutes ses espérances.

Le temps n’était-il pas venu de profiter l’un de l’autre ? C’était un passage douloureux, mais bientôt ces péripéties ne seraient plus que de mauvais souvenirs. L’avenir s’offrait à eux.

Alice avait besoin que les choses adviennent à la seconde où elle l’avait décidé. Il fallait que tout opère comme par magie, dans un accomplissement divin. Sinon, cela ne l’intéressait pas, ce n’était pas au niveau de sa flamme. S’il fallait prendre du temps, affronter des complications ou fournir des efforts pour que son rêve devienne réel, c’était décourageant. Cela signifiait que le destin la boudait. C’est à ce moment-là qu’Alice abandonnait, pour trouver une voie plus directe. Ce qu’elle voulait, maintenant, tout de suite, c’était le triomphe de la vérité, de sa vérité.

Il décrivit, en jouant le rôle d’un médecin imaginaire de l’époque de Molière, à la manière de Louis Jouvet dans Knock, les symptômes de l’amour tels qu’on les dépeignait dans la médecine du Haut Moyen Âge : perte de la voix, rougeurs enflammées, obscurcissement de la vue, sueurs soudaines, désordre du pouls, et, à la fin, quand l’âme est entièrement abattue, détresse, stupeur et pâleur.

Le recueillement quasi religieux autour de lui, cette tension semblable à l’acte amoureux n’avaient qu’un but : la perfection. L’éther était son parfum. Il avait aussi une façon de donner aux femmes qui passaient entre ses mains l’impression d’être uniques, même si peu de temps après il les oubliait.