Qui oserait dire que ce livre de
Matthieu Ricard n'est pas intéressant, documenté, légitime et dérangeant ?
Bien sûr personne. Sauf peut-être des éleveurs, des industriels, des expérimentateurs en laboratoires, les organisateurs de corridas, les trafiquants divers et variés de peaux, cornes, défenses, bile et autres produits issus de l'animal, des directeurs de cirques et même certains responsables de zoos, j'en passe et des bien pires.
Qui oserait dire de soi qu'il n'aime pas les animaux, qu'il est insensible à la douleur d'une bête blessée, prise au piège, torturée, disséquée, mise à mort dans des conditions rituelles barbares, abattue sans étourdissement, ou devant un élevage de volailles qui se piétinent dans leur fiente avant de finir ébouillantées ou hachées menu pour nourrir d'autres animaux ? Encore personne sauf peut-être un chasseur, un éleveur, un directeur d'abattoir.
Moi qui suis inconsolable chaque fois qu'un de nos chats nous quitte pour toujours, qui frémis devant un documentaire animalier où pourtant la nature ne s'expose que dans la grande chaîne alimentaire, (voir à ce titre “Un nouveau jour sur Terre”, admirablement filmé, et commenté par Lambert Wilson), j'ai dû survoler des pages de ce livre à de nombreuses reprises pour ne pas trop m'enfoncer dans l'horreur des traitements infligés aux animaux.
Bref, faire du mal aux animaux c'est mal, les manger ce n'est pas bien, les exploiter d'une manière ou d'une autre c'est pire et ne pas s'en rendre compte c'est coupable. Alors bien sûr, des âmes “bien-pensantes” se sont fait un devoir de nous le rappeler, encore et encore, sans cesse, quitte à se mettre en scène dans la rue déguisés en animaux couverts de (faux) sang, en en appelant au peu qui reste d'humanité en nous (si c'est encore le cas). Et je ne parle même pas des nouvelles hordes de fous-furieux “antispécistes” qui viennent caillasser, détruire et attenter aux personnes et aux biens des commerçants des villes et des marchés qui osent encore vendre de la boucherie, de la charcuterie, du poisson, ou autres produits issus d'un animal. Alors, faudrait-il que tous ces gens se reconvertissent en distributeurs de mouron et de graines pour les petits oiseaux ? À jeter dans la rue bien sûr car il ne faut plus non plus de cages aux oiseaux…
Le monde est devenu fou, de sur-pêche, de sur-exploitation de bétail ou de volaille, et de comportements plus excessifs les uns que les autres. Non, il n'y a pas que la violence pour se faire entendre. Il y a l'éducation, et elle est de notre ressort, parents voire grands-parents pour faire en sorte que les mentalités changent. Un repas sans viande à la cantine de temps en temps, pourquoi pas, c'est plutôt une bonne idée, mais il ne faut pas être naïf. Tout ça ne se fera pas en un claquement de doigt ou en deux ou trois lois rapidement votées et aussitôt détournées. Depuis qu' « Homo Ergaster » est apparu sur terre il y a environ 1,9 à 1 million d'années, il a commencé à se transformer en pêcheur et chasseur et donc à consommer de la viande et du poisson en plus des végétaux, crus, puisque c'est il y a un peu moins de 500 000 ans que « Homo Erectus » domestique le feu et découvre la capacité de cuire ses aliments. Une telle adaptation à la nourriture autre que végétale ne disparaîtra pas en si peu de temps.
De bonnes résolutions et des bonnes idées foisonnent dans le livre de
Matthieu Ricard. Les chiffres de consommation, d'élevage, d'abattage d'animaux, de comparaisons entre les cultures également. Et la quantité de références à des études internationales sont tellement nombreuses qu'elles sont répertoriées dans un recueil de notes assez imposant en fin d'ouvrage. Et pour moi c'est là que le bât blesse, autant de rapports d'études, de chiffres, de descriptions plus horribles les unes que les autres, confinent à l'acharnement et à la justification systématique du propos, et il faut être sévèrement blindé et imperturbable pour ingurgiter autant d'informations; Et comme disait l'autre « trop d'info, tue l'info ».
Au bout du compte, les convaincus du propos avant d'ouvrir le livre y trouveront matière à se rassurer et à tenter de convaincre les autres en disant « tu vois bien c'est marqué là ! ». Et les antispécistes de jubiler.
Les curieux ou indécis comme moi sont dépassés par tant de notions et se voient accusés de tous les maux, parce que malgré l'attachement qu'ils portent à leurs animaux de compagnie au risque d'être accusés d'un anthropomorphisme de mauvais aloi selon certains autres, ne se convainquent pas de délaisser un filet mignon en croûte, une entrecôte marchand de vin, ou une sole meunière, et risquent de devenir schizophrènes entre l'autocollant pour la protection animale et celui d'un label de qualité sur une volaille élevée à courir au grand air.
Les derniers, ceux que je citais en début de propos, les “méchants”, n'y verront qu'un tissu de chiffres torturés autant que les animaux, d'informations erronées et de toutes façons n'iront pas au-delà du deuxième ou troisième chapitre.
Comment conclure ? Je suis vraiment partagé, car au-delà des bonnes intentions évidentes de l'auteur et louables de surcroît, à moins de devenir végétarien, végétalien, vegan, bouddhiste ou tout à la fois, du jour au lendemain, on risque de devenir dingo chaque fois que l'on ira faire ses courses, de nourriture ou d'habillement. La prise de conscience indispensable à la protection animale ne peut se faire sans un geste individuel et une communication apaisée de part et d'autre. On peut refuser d'assister à des corridas, préférer les cirques d'acrobates, jongleurs, antipodistes…, à ceux dont les ménageries sont des cages étriquées où l'animal sauvage n'a rien à faire sinon déprimer lentement. On peut réduire sa consommation de viande, de poisson, mais à moins de voir des pans entiers des économies alimentaires s'écrouler d'un coup et générer des foules de chômeurs sans ressources, ces mesures drastiques ne seront de toutes façons pas prises d'un jour à l'autre. D'abord parce que l'homme est l'homme avec ses contradictions et ses habitudes alimentaires (surtout dans un pays ou la gastronomie est une institution multi-séculaire) et qu'avec les meilleures intentions du monde chacun a sa propre éthique qu'elle soit louable ou pas. Essayons déjà de lutter contre les trafics, les tortures, les comportements insupportables qu'il est nécessaire de dénoncer et éduquons nos futures générations avec des valeurs positives et respectueuses de l'espèce animale. Ces générations comprennent vite et feront plus rapidement et efficacement ce que nous n'avons pas pu (pas voulu) faire, par ignorance ou indifférence.