Cet ouvrage est constitué de l'intersection entre trois sujets : le toucher, la période de la Covid-19 et la (première) grossesse et maternité de l'autrice. Naturellement, la représentation la plus évidente de cette triple intersection peut ainsi se reformuler : Qu'adviendra-t-il de l'univers haptique du bébé né le lendemain du confinement lorsque/puisque les « gestes barrières » perdurent ? À partir de cette question, sont explorés, alternativement, par fragments et grâce aux témoignages de plusieurs intervenants, les trois sujets, séparément ou conjointement. Au moins deux d'entre eux sont habituellement traités de façon très incomplète et souvent stéréotypée : la maternité, riche de connotations idéologiques, et le toucher, le parent pauvre des cinq sens, minoré sous le régime hégémonique de la vision.
Peut-être la meilleure façon de sortir du discours idéologique et apologique sur la maternité n'est-elle pas de se recentrer sur les sensations corporelles de la grossesse et les premiers gestes de la maternité : « laver, langer, bercer, consoler, nourrir, endormir » ? Des gestes que l'artiste Mierle Laderman Ukeles (1969), dans une perspective féministe, place parmi les tâches typiquement féminines qui relèvent de « l'art de la maintenance »...
Bien que les fragments s'éloignent progressivement de ces questions initiales, malheureusement le résultat est très nettement dissymétrique, privilégiant non pas « les architectures tactiles » comme le paratexte le laissait espérer, mais bien l'expérience de la maternité de la narratrice. J'ai nourri successivement deux espoirs au sujet du traitement du toucher : celui d'une étude anthropologique, ou éventuellement historique [pour ce dernier point, je note la référence plusieurs fois citée de : _
Histoire sensible du toucher_ par
Anne Vincent-Buffault (2017)] ou bien, d'un point de vue « ontogénétique » et songeant au sous-titre (« Une archéologie du toucher »), celui d'une démarche à la
Daniel Pennac dans _
Journal d'un corps_ au féminin, relative au sens en question.
Déçu sur ce point, j'ai été très sensible, en contrepartie, à la sincérité avec laquelle le témoignage sur l'expérience de la maternité a été rendu, dans la complexité de son évolution au fil des mois, jusqu'au seuil de l'apparition des premiers signes de l'acquisition du langage. Cette sincérité – que l'on retrouve également de façon bouleversante dans le fragment sur le décès du père – a réussi pleinement le défi de déconstruire le mythe encore si intouchable de la maternité, mais aussi celui de faire avancer le débat féministe sur certains points très cruciaux. de plus, j'ai beaucoup appris de certains textes inattendus.