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Critique de Alho


Une excellente critique et interview de l'auteure par Jean-Claude Vantroyen dans le supplément « Les livres » du Soir des 28 et 29 avril 2018 !


Jennifer Richard offre une grande et passionnante fresque historique et romanesque
Entretien :
Voilà un roman que tous les Belges devraient lire. Il anéantirait leurs dernières illusions sur le rôle héroïque des Belges dans leurs missions « civilisatrice » et « pacificatrice » de l'Afrique centrale. Pour Léopold II, il s'agissait tout simplement de donner à son royaume une grandeur qui pouvait satisfaire son ego et doper l'économie de son pays. Les moyens ? Pousser Stanley à explorer le plus possible et planter le drapeau belge dans les régions les plus éloignées, aller plus vite que les Français de Brazza, que les Allemands, que les Anglais. Tout cela sous le couvert de la lutte contre la traite des Nègres, c'est-à-dire contre les Arabes qui en faisaient le commerce. Mais, libérés du joug de l'esclavage, les Africains se retrouvaient sous la férule mordante des Belges, et si la situation était sans doute théoriquement plus morale, elle n'était pas nécessairement meilleure.
Il est à toi ce beau pays. C'est le titre que donne Jennifer Richard à son très beau roman. Cela aussi, c'était théorique à la fin du XIX e siècle. Et sans aucun doute encore maintenant. Un roman qui parcourt plus de deux décennies, de 1873 à 1896. Et les trois continents. On se retrouve sur les traces de Stanley ou de Brazza en plein coeur de la forêt équatoriale, dans le palais de Laeken avec Léopold II, à Paris avec Jules Ferry ou à Londres. Mais aussi à Washington, en Virginie, en Ohio avec les militants américains contre la ségrégation que furent Booker T. Washington ou George Washington Williams.
Tout commence cependant par Ota Benga. le livre et l'idée du roman.
En effet. Nous étions à New York en vacances. On a lu un article sur le zoo du Bronx dans le Lonely Planet. Il y avait un encart sur Ota Benga, un Pygmée qui avait été exposé en 1906 dans ce zoo avec les singes comme, deux ans plus tôt, à l'Exposition universelle de Saint-Louis. J'ai été prise de compassion pour cet homme en imaginant ce qu'on pouvait ressentir en passant trois semaines dans une cage avec un orang-outang et des touristes qui vous jettent des cacahuètes. Je me suis renseignée sur Ota Benga. J'ai trouvé un livre écrit par le petit-fils du missionnaire qui avait été le chercher au Congo. J'ai enquêté sur ce missionnaire et j'ai découvert ce qui s'était passé en Afrique centrale à l'époque, le Congo de Léopold II, Stanley qui s'était mis à son service pour explorer et annexer ces territoires, la concurrence entre Stanley et Savorgnan de Brazza. J'ai découvert aussi que l'accélération de l'enrichissement de l'Europe à ce moment-là coïncidait avec l'instauration de la ségrégation judiciaire dans le sud des Etats-Unis. Tout ça est concomitant et lié. du coup, Ota Benga sert de pivot au roman. Il en est le début et la fin. Il nous permet de voyager sur les trois continents, puisque lui l'a expérimenté dans sa chair.
Vous vous êtes dit : je vais faire le grand roman de la colonisation ?
Ce n'était pas mon intention au départ, mais ça s'est trouvé ainsi en cours de route. Parce que j'ai découvert des personnages, j'ai été époustouflée par les destins de Stanley, Brazza, Léopold II, des personnages qui ont initié les droits civiques aux Etats-Unis. Aujourd'hui, on est très critique vis-à-vis des explorateurs, mais ils avaient une force de vie et une volonté incroyables. Ils travaillaient pour des monarques, qu'ils soient rois ou présidents, mais c'étaient d'abord des surhommes.
Tout est-il vrai ?
J'ai inventé les dialogues – ce n'est pas un livre d'histoire, c'est un roman – mais les lieux, les dates, les événements sont tous réels.
Est-ce un moment idéal pour revisiter cette histoire ?
Bizarrement, d'autres romans et des documentaires parlent de ce thème. Colson Whitehead l'année passée, David van Reybrouck plus tôt. Je ne sais comment les idées viennent. Ce n'est peut-être qu'une coïncidence. Mais il est important de parler de la colonisation. Et dans un roman, on voit les gens agir au quotidien. Il me fallait montrer les acteurs de cette période, voir ce qui les motive, comment leurs combats animent ou non leur quotidien.
L'histoire n'est pas finie, ni celle de la colonisation ni celle de la ségrégation.
C'est loin d'être terminé. On nous apprend que la décolonisation est finie. Mais non : la néocolonisation est toujours là et elle ne sert pas les Etats, comme jadis, mais les grandes entreprises. Les Etats colonisés français en Afrique n'ont toujours ni souveraineté militaire ni souveraineté monétaire : en quoi un Etat peut-il dès lors être souverain ? Non, ce n'est pas terminé.
JEAN-CLAUDE VANTROYEN
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