Le début de ce tome 2 est sensationnel. (Je possède l'édition Desjonquères de 1999 où ce tome commence à la lettre 180.) Lorsque Lovelace se met à prendre la narration à son compte, le roman devient carrément haletant.
C'est un fourbe, un monstre, un impitoyable mais, à sa façon, il a un charme fou. Son amour pour Clarisse n'est pas douteux, et pourtant, et pourtant…
Clarisse n'a assurément pas mérité de tomber sur un tel dépravé sexuel mais n'est-elle pas inflexible à l'excès ? Ne voit-elle pas qu'il fait pour elle ce qu'il n'aurait consenti pour aucune autre ? Ce n'est peut-être pas assez, au sens chrétien du terme, mais pour un homme tel que lui cela ne signifiait-il pas déjà beaucoup ? Lovelace a-t-il 100 % des fautes à se reprocher ? Ce n'est sans doute pas aussi simple. N'y avait-il rien de bon à espérer ni à retirer d'un Lovelace ? Une âme si charmante et si élevée qu'une Clarisse, si clairvoyante en toute situation a-t-elle été si perspicace en ce qui concerne le plus haut degré de la passion amoureuse susceptible de naître chez son persécuteur ?
Bref, peu importe, il arrivera ce qu'il arrivera et je m'en voudrais de vous le dévoiler. Un roman réellement exceptionnel en cette première moitié de second tome mais dont je dois reconnaître que, malheureusement, sitôt que le narrateur principal devient Belford l'intérêt décline.
Pourquoi ? Parce qu'au lieu d'écouter la force prodigieuse de cette histoire, la sagesse du roman, comme l'appelle
Milan Kundera, Richardson a voulu transmettre des valeurs morales et de piété chrétienne. Je trouve que cela affaiblit le roman.
Alors qu'il était d'une intensité et d'un puissance absolue, il devient languissant, larmoyant, faisant largement dans le pathétique et appuyant, insistant lourdement sur les dangers des travers moraux.
Je serais tentée de vous dire : « On s'en fout de la morale monsieur Richardson ! Faites-nous palpiter encore, faites-nous tressaillir pour vos personnages comme avant, continuez de nous envoûtez par les rouages du roman que vous maîtrisez à la perfection et ne cherchez plus à faire de nous des grenouilles de bénitier que nous ne serons jamais. »
L'abbé Prévost qui a traduit le roman en français ne s'y est pas trop trompé, il a compris que l'intérêt supérieur du livre était dans cette fantastique histoire d'amour et de moeurs, ce bras de fer délicieux entre la belle vertueuse et le beau dépravé et pas du tout dans les conséquences, d'où les coupes nombreuses qu'il a opéré en fin d'ouvrage.
En approchant du dénouement, le roman fait long feu, on veut faire pleurer dans les chaumières, on veut édifier, éduquer peut-être, un lectorat qui a été transporté si haut auparavant qu'il ne peut que se juger déçu de se voir infliger un sermon moralisateur.
Cher
Samuel Richardson, votre histoire était magnifique et se suffisait largement à elle-même. Ce que vous avez voulu injecter de morale, c'est ce que vous avez fait perdre de force à l'oeuvre, qui, par chance en avait tellement au départ que cela ne l'altère finalement pas tant que cela.
Mais si l'on excepte ce bémol, quelle beau roman, messieurs, dames, quel beau roman !
Bien entendu, ceci n'est que mon avis, c'est-à-dire, pas grand-chose.