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Critique de Archie


Archie
02 septembre 2021
Publiée en 1989 par l'écrivain montréalais Mordecai Richler, Solomon Gursky est une fabuleuse saga consacrée à une dynastie fictive de Juifs canadiens devenus richissimes grâce au développement d'un conglomérat financier familial tentaculaire, brassant spiritueux, hôtellerie, immobilier… La saga des Gursky s'étend depuis le milieu du XIXe siècle jusqu'à nos jours. Elle illustre aussi l'histoire du Canada – ou tout au moins une histoire de la communauté juive au Canada –, dont l'immense territoire fut jadis considéré comme une terre promise par ceux qui en acceptaient la loi de la jungle et les extrêmes rigueurs climatiques. La faible densité de sa population et son bas niveau culturel encourageaient la propagation de toutes sortes de mythes, de mystères et de mystifications.

Tout commence par les stratagèmes incroyables d'Ephraïm Gursky, un petit malfrat d'origine russe, très imaginatif et manipulateur. Passé par les geôles londoniennes, il a débarqué sans le sou dans le Grand Nord. Plus tard, ses petits-fils, Bernard, Solomon et Morrie, tirent avec beaucoup de cynisme et d'habileté un immense profit des lois de la Prohibition. La saga se poursuit dans l'univers de la grande finance moderne, tandis que « filles et fils de » cherchent à se faire une place dans le groupe familial, sans renoncer pour autant à leurs lubies de gosses d'ultra-riches.

Pour reconstituer et nous livrer l'histoire des Gursky, l'auteur confie l'enquête à un écrivain alcoolique, Moses Berger, qui y consacrera plusieurs décennies. Enfant, il entendait souvent ses parents et leurs amis s'interroger sur ce qui avait bien pu se passer entre Solomon et son frère Bernard. Découvrant la famille en 1942, à l'âge de onze ans, Moses aura été à ce point fasciné, qu'il sacrifiera sa vie privée et son talent d'écrivain, pour tenter d'écrire une biographie de Salomon Gursky, disparu en 1934 dans l'explosion mystérieuse de son avion personnel.

Les dates, les dates ! Important de les relever ou de noter les événements permettant de s'y retrouver, car il ne faut pas compter dans cette narration sur une succession de péripéties chronologiques. (Pour ne pas perdre le nord en lisant ce texte foisonnant de plus de six cents pages, où traînent quelques mots de yiddish et d'inuktitut, il peut être utile de se raccrocher à des analyses et à des commentaires de lecture). Rêveur, brouillon et souvent entre deux whiskys, Moses plane d'une année à une autre, erre d'une extrémité du Canada à l'autre, avec quelques sauts à Londres ou à New York – sans oublier le Grand Nord –, à la recherche de souvenirs, de témoignages et d'archives, qu'il te laisse, lectrice, lecteur, le soin de compiler.

Dans cette comédie humaine intrigante et passionnante, parsemée d'embrouilles ahurissantes et d'instantanés souvent hilarants, Mordecai Richler brosse des portraits de personnages truculents. Bernard Gursky n'est pas le plus sympa ; « Monsieur Bernard » est un prédateur sans foi ni loi, lâche, menteur ; son comportement ridicule m'a fait penser à Louis de Funès dans ses rôles cultes. Pas de pitié non plus pour un contrôleur des douanes zélé et grotesque, qui poursuit les Gursky de sa haine étriquée et inextinguible ; « Je les aurai un jour, je les aurai ! », semble-t-il se promettre.

Plus généralement, lectrice, lecteur, si tu fréquentes la communauté juive, que tu en fasses partie ou pas, tu ne pourras pas t'empêcher de pouffer de rire en découvrant certaines répliques et certaines scènes. Juif lui-même, Mordecai Richler fit pourtant grincer des dents autour de lui : quelle idée saugrenue, que de mettre en avant une fortune de famille juive bâtie depuis le début sur des trafics indignes ! L'un des personnages du livre répond par anticipation que ce type de réussite patrimoniale a existé partout et de tous temps : « Il suffit de creuser un peu dans le passé de n'importe quelle famille noble pour (en) découvrir le fondateur aux mains sales, l'assassin. »

Qui était finalement Solomon Gursky ? Sans doute un escroc de haut vol, peut-être même un assassin, mais aussi un séducteur, malin, insaisissable, à la manière d'un Arsène Lupin. Est-il vraiment mort dans l'explosion de son avion ? Moses se souvient d'un journal intime où il aurait lu : « Je t'ai un jour dit que tu n'étais rien d'autre que le fruit de mon imagination. Tant que tu existes, je dois donc continuer d'exister ». Mais on connaît Moses, était-il alors à jeun ?… Et puis, tu sais, les écrivains !…

Lien : http://cavamieuxenlecrivant...
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