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Citations sur Les soliloques du pauvre - Le coeur populaire (6)

Impressions de promenade

Quand j’ pass’ triste et noir, gn’a d’ quoi rire.
Faut voir rentrer les boutiquiers
Les yeux durs, la gueule en tir’lire,
Dans leurs comptoirs comm’ des banquiers.

J’ les r’luque : et c’est irrésistible,
Y s’ caval’nt, y z’ont peur de moi,
Peur que j’ leur chopp’ leurs comestibles,
Peur pour leurs femm’s, pour je n’ sais quoi.

Leur conscienc’ dit : « Tu t’ soign’s les tripes,
« Tu t’ les bourr’s à t’en étouffer.
« Ben, n’en v’là un qu’a pas bouffé ! »
Alors, dame ! euss y m’ prenn’nt en grippe !

Gn’a pas ! mon spectr’ les embarrasse,
Ça leur z’y donn’ comm’ des remords :
Des fois, j’ plaqu’ ma fiole à leurs glaces,
Et y d’viennent livid’s comm’ des morts !

Du coup, malgré leur chair de poule,
Y s’ jett’nt su’ la porte en hurlant :
Faut voir comme y z’ameut’nt la foule
Pendant qu’ Bibi y fout son camp !

« — Avez-vous vu ce misérable,
« Cet individu équivoque ?
« Ce pouilleux, ce voleur en loques
« Qui nous r’gardait croûter à table ?

« Ma parole ! on n’est pus chez soi,
« On n’ peut pus digérer tranquilles...
« Nous payons l’impôt, gn’a des lois !
« Qu’est-c’ qu’y font donc, les sergents d’ ville ? »

J’ suis loin, que j’ les entends encor :
L’ vent d’hiver m’apport’ leurs cris aigres.
Y piaill’nt, comme à Noël des porcs,
Comm’ des chiens gras su’ un chien maigre !

Pendant c’ temps, moi, j’ file en silence,
Car j’aim’ pas la publicité ;
Oh ! j’ connais leur état d’ santé,
Y m’ f’raient foutre au clou... par prudence !

Comm’ ça, au moins, j’ai l’ bénéfice
De m’ répéter en liberté
Deux mots lus su’ les édifices :
« Égalité ! Fraternité ! »

Souvent, j’ai pas d’aut’ nourriture :
(C’est l’ pain d’ l’esprit, dis’nt les gourmets.)
Bah ! l’Homme est un muff’ par nature,
Et la Natur’ chang’ra jamais.

Car, gn’a des prophèt’s, des penseurs
Qui z’ont cherché à changer l’Homme.
Ben quoi donc qu’y z’ont fait, en somme,
De c’ kilog d’ fer qu’y nomm’nt son Cœur ?

Rien de rien... même en tapant d’ssus
Ou en l’ prenant par la tendresse
Comm’ l’a fait Not’ Seigneur Jésus,
Qui s’a vraiment trompé d’adresse :

Aussi, quand on a lu l’histoire
D’ ceuss’ qu’a voulu améliorer
L’ genre humain..., on les trait’ de poires ;
On vourait ben les exécrer :

On réfléchit, on a envie
D’ beugler tout seul « Miserere »,
Pis on s’ dit : Ben quoi, c’est la Vie !
Gn’a rien à fair’, gn’a qu’à pleurer.

Pages 33 à 35.
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Crève-Coeur (Extrait)

Eun’ fois j’ai cru que j’ me mariais
Par un matin d’amour et d’ Mai ;

Il l’tait Menuit quand j’ rêvais ça,
Il l’tait Menuit, et j’ pionçais d’bout,
Pour m’ gourer d’ la lance et d’ la boue
Dans l’encognur’ d’eun’ port’ cochère.

(Hein quell’ santé !) — Voui j’ me mariais
Par un matin d’amour et d’ Mai
N’avec eun’ jeuness’ qui m’aimait,
Qu’était pour moi tout seul ! ma chère !

Et ça s’ brassait à la campagne,
Loin des fortifs et loin d’ici,
Dans la salade et dans l’ persil,
Chez un bistrot qui f’sait ses magnes.

Gn’y avait eun’ tablée qu’était grande
Et su’ la nappe en damassé,
Du pain ! du vin ! des fleurs ! d’ la viande !
Bref, un gueul’ton à tout casser,

Et autour, des parents ! d’ la soce !
Des grouins d’ muffs ou d’ bons copains
Baba d’ me voir tourné rupin,
Contents tout d’ même d’êt’ à ma noce :

Ma colombe, selon l’usage,
Se les roulait dans la blancheur,
Et ses quinz’ berg’s et sa fraîcheur
F’saient rich’ment bien dans l’ paysage.

Je r’vois ses airs de tourterelle,
Ses joues pus bell’s que d’ la Montreuil
Et ses magnèr’s de m’ faire de l’œil
Comme eun’ personne naturelle,

Ses mirett’s bleues comme un beau jour,
Sa p’tit’ gueule en cœur framboisé
Et ses nichons gonflés d’amour,
Qu’étaient pas près d’êt’ épuisés,

Et moi qu’ j’ai l’air d’un vieux corbeau,
V’là qu’ j’étais comme un d’ la noblesse,
Fringué à neuf, pétant d’ jeunesse...
Ça peut pas s’ dir’ comm’ j’étais beau !

Je r’vois l’ décor... la tab’ servie
Ma femm’ ! la verdure et l’ ciel bleu,
Un rêv’ comm’ ça, vrai, nom de Dieu !
Ça d’vrait ben durer tout’ la vie.

(Car j’étais tell’ment convaincu
Que c’ que j’ raconte était vécu
Que j’ me rapp’lais pus, l’ diab’ m’emporte,
Que je l’ vivais sous eun’ grand porte ;

Et j’ me rapp’lais pas davantage,
Au cours de c’te fête azurée,
D’avoir avant mon « mariage »
Toujours moisi dans la purée.)

(Les vieux carcans qui jamais s’ plaint
Doiv’nt comm’ ça n’avoir des rêv’ries
Ousqu’y caval’nt dans des prairies
Comme au temps qu’y z’étaient poulains.)

V’nait l’ soir, lampions, festin nouveau,
Pis soûlé d’un bonheur immense
Chacun y allait d’ sa romance,
On gueulait comm’ des p’tits z’oiseaux !

Enfin s’am’nait l’heur’ la pus tendre
Après l’enlèv’ment en carriole,
La minute ousque l’ pus mariolle
Doit pas toujours savoir s’y prendre !

Dans eun’ carrée sourde et fleurie,
Dans l’ silence et la tapiss’rie,
Près d’un beau plumard à dentelles
Engageant à la... bagatelle,

J’ prenais « ma femme ! » et j’ la serrais
Pour l’ Enfin Seuls obligatoire
Comm’ dans l’ chromo excitatoire
Où deux poireaux se guign’nt de près...

Près ! ah ! si près d’ ma p’tit’ borgeoise
Que j’ crois que j’ flaire encor l’odeur
De giroflée ou de framboise
Qu’étaient les bouffées d’ sa pudeur.

J’y jasais : « Bonsoir ma Pensée,
Mon lilas tremblant, mon lilas !
Ma petite Moman rosée,
Te voilà, enfin ! Te voilà !

« Comme j’ vas t’aimer tous les jours !
T’ es fraîch’.. t’ es mignonn’.. t’es jolie,
T’ as des joues comm’ des pomm’s d’api
Et des tétons en pomm’s d’amour.

« Quand j’étais seul, quand j’étais nu,
Crevant, crevé, sans feu ni lieu,
Loufoque, à cran, tafeur, pouilleux,
Où étais-tu ? Que faisais-tu ?

« Ah ! que d’ chagrins, que d’ jours mauvais
Sans carl’, sans bécots, sans asile,
Que d’ goujats cruels, d’imbéciles,
Si tu savais, si tu savais...

« Mais à présent tout ça est loin...
Voici mon Cœur qui chante et pleure,
Viens-t’en vite au dodo, ma Fleur !... »
(Vrai c’est pas trop tôt qu’ j’aye un coin.)
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A moins qu'ça n' soy' moi qui n'écope
Y aurait des chanc's pour qu' d'eun' mandale
Un d'euss' m'envoy' râper les dalles
De la plac' Pigalle au Procope.

Car euss' n'ont pas dîné... d'mépris
Ni déjeuné d'un paradoxe.
Tous ces muff's-là, c'est ben nourri,
ça fait du sport... ça fait dl'a boxe.

p46 in Soliloque du pauvre ; Songe-Mensonge Espoir Déception ; Songe-Mensonge IV
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Ah ! nom de Dieu, v'là qu'tout r'commence,
L'Amour, y "gonfle tous les coeurs",
D'après l'chi-chi des chroniqueurs,
Quand c'est qu'y m'gonflera... la panse ?

Quand c'est qu'y m'foutra eun' pelure,
Eun' liquette, un tub', des sorlots.
Si qu'a fait peau neuv' la Nature,
Moi, j'suis cor' mis comme un salaud !

[...]

Ah ! ben il est frais l'mois d'Avril,
Le v'là l'temps des métamorphoses !
Moi, j'chang' pas d'peau comm' les reptiles,
J'suis tous les Printemps la mêm' chose.

N'empêch' ! Je m'sens des goûts d' richesse,
J'suis comm' ça moi, né élégant,
J'am'rais ben, moi, fair' mon Sagan
Et mon étroit' chez des duchesses !

Et m' les baigner dans des étoffes,
Car pour moi, quand l' turquois est gai,
La pir' de tout's les catastrophes
C'est d'êt' mochard et mal fringué.

p116-117 in Soliloque du pauvre ; Printemps ; I la journée ; IV
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Quand j'étais seul, quand j'étais nu,
Crevant, crevé, sans feu ni lieu,
Loufoque, à crans, tafeur, pouilleux,
Où étais-tu ? Que faisais-tu ?

Ah ! Que d' chagrin, que d' jours mauvais
Sans carl', sans bécots, sans asile,
Que d'goujats cruels, d'imbéciles,
Si tu savais, si tu savais...

p150
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Les petites baraques

« M’man ? Laiss’-moi voir les p’tit’s baraques
dis,... arrêt’ toi M’man,... me tir’ pas !
Tu m’ sahut’s, tu m’ fais mal au bras...
Aïe, M’man ! Tu fous toujours des claques !

Ben vrai, c’ qu’y a du populo !
M’man ? y rigol’nt comm’ des baleines....
Quoi c’est qu’y leur jacqu’t’ el’ cam’lot ?
Pheu !... c’ que ça pue l’acétylène !

M’man, les « bolhommes » ! M’man, les « pépées »,
les « ciens d’ fer », les flingu’s, les « misiques »,
les sabr’s, les vélos « mécaliques » !
oh ! Moman, c’ que j’ suis égniaulé !

C’ qu’y coût’ cher « l’ ceval » du milieu ?
Ç’ui-là qu’ est pus grand qu’eune enseigne ?
J’ vourais l’avoir, moi, nom de guieu !
Aïe, M’man ! Tu fous toujours la beigne !

Quiens,... ton baluchon qui s’ défait !
Y te l’ont r’fusé chez ma « Tante » ?
C’est p’t-êt’ pour ça qu’ t’es pas contente ?
Oh ! va donc, Moman, qué qu’ ça fait !

N’ t’occup’ pas si tu n’as pas d’ sous,
c’est pas pour m’ach’ter que j’ t’arrête ;
mais rien que d’ z’yeuter les joujoux,
moi ça m’ fait du bien aux mirettes.

Si l’ dâb rentr’ pas mûr et sans l’ rond,
quiens, tu m’ paieras eun’ tite échelle,
eune orange ou deux sous d’ marrons ;
va M’man, ça f’ra la rue Michel !

Oh ! là là, c’ que j’ suis fatigué !
On l’est pas h’encore à Saint-Ouen ?
Pus qu’on trotaill’, pir’ que c’est loin,
Oh ! Moman, c’ que j’ suis fatigué !

La neige entr’ dans mes godillots ;
ça fait du tort à mes z’eng’lures ;
j’ai beau êt’ un gas à la dure,
j’ai comme un lingu’ dans les boïaux !

Tu sais, l’ sal’ môm’ de l’épicier ?
Y fait son crâneur, son borgeois ;
l’aut’ nuit, l’a eu dans ses souïers
eun’ tit’ balance et des vrais poids...

n’avec eun’ bell’ petit’ bagnole,
eun’ boît’ de troufions, un guignol ;
c’est « l’ Pèr’ Noël », à c’ qu’y paraît ;
pour voir, dis Moman, c’est-y vrai ?

— « Vous, qu’y nous a d’mandé, les crapauds,
’spliquez-moi c’ que vous avez eu
de la part du « Petit Jésus » ?
— « Nous, qu’on y a balancé, la peau ! »

Alorss, t’ sais pas c’ qu’y nous a dit,
M’man ? Y nous a app’lés « plein-d’-poux » ;
— « Le Pèr’ Noël, c’est sûr, pardi,
va pas chez des purées comm’ vous ! »

Vingt dieux ! Du coup, moi, mes frangines,
tous dessus on y a cavalé :
ah ! qu’est-c’ qu’on y a mis comm’ volée !
Dame aussi ! Porquoi qu’y nous chine !

Pis... on y a cassé ses affaires ;
pis après, on s’a fait la paire ;
ben, tu sais pas c’ qu’y nous a dit ?
— « Tas d’ salauds, j’ vas l’ dire à mon père
et j’ vous f’rai couper vot’ crédit ! »

Oh ! là, là, Moman ! Quoi qu’y t’ prend ?
Marée ! C’est lui la « mauvais’ graine » !
Aïe ! Oh ! Soupé ! Merd’ c’ que j’étrenne !
Sûr, on voit ben qu’ c’est l’ Jour de l’An !

Extrait du recueil : Le coeur populaire.
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