On a retrouvé avec enthousiasme l'univers de "Lili Goth", dont l'esprit typiquement british occupe chaque page de ce très bel objet-livre (couverture en dure reliée et tranche colorée en rouge métallisé), dans le fond comme dans la forme. L'écriture, en effet, n'est pas sans évoquer la prose loufoque et l'imagination débridée d'un
Lewis Carroll (mais d'un
Lewis Carroll qui aurait dévoré
Edgard Poe au breakfast) : la demeure des Goth possède un garde-chasse d'intérieur et un salon d'extérieur, mais aussi une écurie de chevaux à roulettes (en fait des draisiennes, mais dont s'occupe toute une équipe de palefreniers), ainsi qu'une rocaille aux nains de jardin pour la chasse et le tir (!).
Les nombreux jeux de mots, s'ils ne fonctionnent certainement pas tous aussi bien en français qu'en version originale, renforcent l'extravagance gentiment ravagée de cette série, surtout dans les noms des protagonistes (qui ne sont d'ailleurs pas sans évoquer des personnages célèbres, issus de l'actualité ou de la littérature). Que dire, en effet, de ce Gordon Ramsgate au visage patibulaire qui vient participer au concours de pâtisserie ? Ou d'Abba, le minautore suédois qui compose sur sa lyre scandinave des mélodies dont on ne parvient pas à se débarrasser ? Ajoutons à cela les caniches Belle et Sébastien et les poètes La Fontainedelapiequiboit et Alfred Amussetcommunfou, ainsi que les peintres prêchiprêcharaphaélites, et il est difficile de lire ce roman sans glousser.
Dans la forme, c'est un festival également : on pourrait parler des notes de pied de page, qui prennent très concrètement la forme d'un pied de page (ou plus spécifiquement de pieds palmés de page, car écrites par un canard moscovite migrateur), mais on va surtout parler des magnifiques illustrations de
Chris Riddell. Ses dessins réalisés à la main et à l'encre de chine sont réellement rafraîchissants, et on sent un plaisir évident à mettre en images cet univers gothico-loufoque, tant la dimension graphique prend une place importantes. Les annotations qui complètent les images enrichissent ainsi le texte d'un humour supplémentaire en s'amusant des décalages ou interprétations possibles (à l'image de la statue des Trois Grâces – en fait étiquetée "Statue de Grace, Grace et Grace" – ou des nombreuses cheminées du manoir arborant chacune un style différent et toutes baptisées en conséquence : "Les six cheminées d'
Henry VIII", ou encore une haute cheminée "Oxo", qui parlera sans doute aux amoureux de Londres).
L'ensemble se savoure donc surtout pour ce foisonnement de clins d'oeils et de références déguisées, au point qu'on se demande si
Chris Riddell écrit pour les enfants ou des adultes, les premiers ne pouvant disposer de la culture suffisante pour en cerner toutes les subtilités. C'est d'ailleurs encore plus vrai pour le lectorat français, tant les nombreux easter eggs cachés entre les pages renvoient à des clichés, images et événements très britanniques. Mais peu importe : nous, on adore !
En bref : Un second tome qui impose toute la fantaisie gothique et délicieusement barrée de "Lili Goth" !
Chris Riddell s'amuse évidemment comme un fou à disséminer dans son texte et dans ses illustrations les clins d'oeil qu'il adresse directement au lecteur. le tout est magnifiquement mis en images par son coup de crayon légendaire, lequel s'accorde particulièrement bien à cet univers gentiment horrifique débordant de charme macabre.