Italie, Plateau d'Asiago.
Tönle, jeune, est un contrebandier maladroit qui vient d'assommer malencontreusement un carabinier qui le sommait de s'arrêter au passage de la ligne frontalière.
Tönle va donc vivre, plusieurs années durant, en se cachant quand il est de retour, tout le village sait qu'il est là, mais les carabiniers l'ignorent... Un semblant de vie normale s'écrit pour Tönle toujours sur le point de fuir pour se cacher...
Les années passent, les enfants naissent et Tönle reprend régulièrement son bâton pour pérégriner et aller proposer sa force et son courage au delà des frontières et travailler, ramener de quoi faire vivre la famille.
Sa "terre" ne s'arrête pas aux limites des hommes, curieux qu'il est des autres cultures. Possédant plusieurs langues à force de toujours avancer plus loin pour se louer, il peut échanger, rencontrer, apprendre de l'Autre.
Si cette vie s'écrit au rythme des
saisons, des éloignements, du retour plein de joie, des retrouvailles et de ce qu'il a à raconter, c'est bien davantage la période de la Première guerre mondiale qui hantera l'esprit du lecteur lorsqu'il aura refermé le livre.
D'une vie difficile mais rythmée, partagée avec ses semblables, voici que la foudre bouleverse tout.
Tönle n'est désormais plus le jeune homme fougueux avide de découvertes mais un berger à l'automne de sa vie, qui de tout, préfère désormais cheminer juste à travers ses montagnes en compagnie de ses brebis et de son chien avec lequel il converse par silences et hochements de tête. Les
saisons restent l'horloge de l'existence…
Mais la guerre qui fracasse les hommes, va détruire ses paysages, ses sentiers qu'il connaît par coeur, massacrer ses arbres qu'il vénère.
Toujours poussé par le bruit de la mitraille à réduire le périmètre du pâturage, il s'étiole, se questionne, s'attriste et s'indigne, se révolte pacifiquement. Bien sûr, les années ont passé, certains sont partis d'autres sont morts, encore ces derniers n'ont-ils pas connu l'apocalypse qui frappe ces plateaux italiens. Quand le village doit être abandonné, Tönle reste dans le bois avec ses bêtes, se jugeant transparent, y manifestant à sa manière une forme de résistance placide, un déni de ces heurts entre nations qu'il ne comprend, ni ne cautionne…
Ce n'est que quand il perdra son troupeau et son chien que la guerre aura étendu réellement son ombre sur sa silhouette, le laissant désemparé, silencieux, comme caché au plus profond de lui-même.
Très beau récit qui nous dit et redit l'absurdité des guerres et la douceur du trésor inestimable d'une vie en paix. Magnifique texte qui fait exister l'homme à travers les animaux et les arbres, à travers les
saisons et les montagnes, à travers les chemins et les crêtes… Et qu'importe les frontières, tous sont semblables pour travailler ensemble ou s'inventer des existences pas si éloignées, pour juste goûter aux dons de la nature et rester éternellement ébahis de ses largesses.
Par l'entêtement de quelques uns, c'est toute une génération qu'on sacrifie quand le feu prime sur l'olivier, quand le tonnerre parle plus fort que le pipeau…
Tönle, c'est l'incarnation humaniste en harmonie avec la nature de la vérité et de l'innocence sacrifiée sur l'autel des intérêts et du nationalisme.