Citations sur Les Saisons de Giacomo (48)
Maintenant, c'est-à-dire depuis une trentaine d'années, les sept portes du hameau ne s'ouvrent que quand les gens de la ville montent de la plaine pour les vacances. Ils ne sont plus là, les descendants de ceux qui les avaient construites avec les pierres extraites des montagnes et les troncs choisis dans nos bois, qui les avaient réparées en 1920, qui avaient commencé ou achevé ici leur vie, ou qui étaient partis d'ici pour aller travailler au loin, ou à cause de la guerre. On n'allume pas le feu dans les cheminées mais on fait des grillades en plein air en brûlant des saucisses sur les barbecues le week-end. Les jardins sont devenus des parkings. Il n'y a même plus de fontaine car elle empêchait les voitures de manœuvrer. Tout à changé. Ce qui était vivant dans cette maison est très loin, elle est vidée de tout et remplie de silence.
En attendant, l'hiver mangeait aux tas de bois leurs bûches et aux caves leurs réserves. Les journées courtes étaient longues à passer pour ceux qui n'avaient pas de travail.
Le dernier jour d'école, c'est à lui que l'institutrice avait fait lire la dernière page du manuel : « [...] Le fascisme œuvre pour que l'Italie devienne toujours plus grande. » Il avait lu de sa voix sonore habituelle, mais après avoir reçu son livret et chanté les hymnes patriotiques, à l'église, pendant la messe en l'honneur de Saint Louis, il pensait que lui, les choses qu'il avait lues, il ne les avait jamais vues. Pourtant, si c'était écrit dans les livres, cela devait être vrai.
- C'est une bande de fous. On n'a pas encore enterré les soldats qui sont morts à la Grande Guerre, et ils pensent déjà à en faire une autre.
- Mes batteries ne se trompaient jamais.
- Regardez, monsieur, observez bien. À la guerre, tout le monde se trompe. Même les Autrichiens. Sur les tranchées italiennes, on trouve des morceaux d'obus italiens, sur les tranchées autrichiennes des morceaux d'obus autrichiens, sur les tranchées anglaises des morceaux d'obus anglais. (...) Pour savoir comment les choses se sont passées, les commandants devraient venir apprendre chez les récupérateurs et non pas lire les histoires dans les livres !
Parfois, quand le jour de la paye était loin derrière, ils demandaient une fiasque de vin à crédit et Mario, comme le lui avait appris son grand-père, le leur accordait sans rien noter, car les pauvres ne trichent pas.
- Hier il y avait le discours du Duce pour la déclaration de guerre à l'Abyssinie et ils ont fait du boucan jusqu'à tard.
- Ça aussi, un jour ou l'autre, ça devait arriver, observa le père de Giacomo. Quand on allume un feu on ne sait pas toujours comment l'éteindre. En plus, une guerre ça ne coûte pas que de l'argent : il suffit de regarder ici dans nos montagnes, où on trouve encore des morts.
Je suis curieux de voir comment ça finira, les sous et le copinage rendent la justice aveugle.
À nouveau, ce jour-là (N. B. : le 1er mai 1938), il y eut de la neige mêlée de pluie, et les gens continuèrent à dire que c'était encore les conséquences de l'aurore boréale du 25 janvier. Au contraire, la grand-mère de Giacomo disait qu'il y avait toujours eu des drôles de saisons, que les gens ont la mémoire courte, et que beaucoup ne savent pas regarder en arrière. Dans sa jeunesse, il lui était déjà arrivé d'aller en luge à la fête de la saint Marc, à travers prés, dans la neige, et à Noël elle avait vu fleurir la bruyère et les pâquerettes.
L'après-midi du vendredi ils étaient sortis tout contents de l'école, en chahutant, et Titta Baldara, le factotum de l'école, les avait laissés crier. Dans leur cahier ils avaient écrit une dictée où on disait les victoires que le Duce avait remportées contre les factieux, contre la malaria, contre les blasphémateurs, contre la dévaluation et même contre les mouches.