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Critiques filtrées sur 4 étoiles  
Mario Rigoni Stern, ou le triomphe de l'authenticité... Car, voyez-vous, ce n'est pas un écrivain à style ; non, il s'efface derrière son histoire, ses anecdotes : à l'inverse d'un Jean Echenoz dans Je m'en vais, il veut qu'on l'oublie. Mais il a ses raisons le Mario, il sait que ses histoires sont épaisses comme les murs d'une forteresse, qu'elles se suffisent à elles-mêmes, sans qu'il soit besoin d'y rien ajouter. Alors, discrètement, il nous les raconte, sachant très bien qu'on sera emportés par elles.

Pas d'artifice, jamais ; du fond, du fond, rien que du fond. Et pourtant, c'est très bien fait, car bien évidemment, tout cela n'est qu'une illusion et il faut être un drôle de conteur pour parvenir à narrer, sans avoir l'air d'y toucher, un pan entier de l'histoire du monde rural italien, en pleine période fasciste de l'entre-deux guerres.

Le tour de force est là ; donner l'illusion que ça coule tout seul, que c'est évident, que c'est aisé comme le cours de la parole. Mais non, mes chers amis, rien n'est simple en ce bas monde, et c'est un fier travail que de faire croire qu'il n'y en a pas. J'y perçois en tout cas un bel hommage à ces habitants d'un monde qui n'existe plus, qu'il nous adresse, tel un legs.

Ainsi, l'auteur nous raconte Giacomo, un enfant né au pied des Alpes, tout au nord de la Vénétie, à deux pas des frontières autrichienne et yougoslave de l'époque. Ce petit bonhomme a dû naître en quelque chose comme 1920 et Rigoni Stern débute sa narration autour de 1928, pour nous la dérouler jusqu'en 1942, en pleine seconde guerre mondiale.

On se rend bien compte de ce que c'était que la vie dans ce rude milieu rural et montagnard, où la brûlante problématique, chaque jour, de savoir quoi manger le soir occupait pas mal les esprits. Lui, Giacomo, qui vit avec sa soeur aînée, sa mère et sa grand-mère, est un brave petit gars, pas mauvais à l'école, qui aide bien sa famille et qui n'a pas trop le temps de penser à faire des bêtises.

C'est lui l'homme de la famille, car son père, pauvreté et famine aidant, a été contraint d'émigrer pour un temps dans les mirifiques mines de Lorraine afin de faire, bien laborieusement, parvenir, de temps en temps, un petit pécule à la famille, lequel pécule se retrouve bien souvent englouti rien que pour régler les dettes et subvenir aux affaires courantes.

Car là-bas, chaque centime a son utilité ; on ne jette rien et on récupère tout, on use, on archi-use tout jusqu'à la corde car on ne sait pas quand on pourra s'en acheter un neuf. le système d doit souvent se mettre à l'ouvrage...

Oui, elle est bien dure cette vie, et les principales joies résident dans la beauté du cadre, la solidité de la famille et la cohésion des villageois du hameau, qui se serrent les coudes, car tous embarqués dans la même galère.

Le gros problème, ici bas, c'est l'emploi, vous comprenez, et finalement, pour améliorer moindrement le quotidien, la principale source de revenus et d'activité dans la région, c'est d'aller récupérer les métaux et la poudre des diverses munitions et obus tombés lors de la grande bataille avec les Autrichiens en 1917. le plomb, le fer, le cuivre, le laiton, chaque villageois récupérateur est devenu un expert en reconnaissance de type de munition, adeptes du recyclage avant l'heure. Ainsi, la poudre est savamment extraite pour être revendue aux chasseurs...

Mais vous vous doutez bien qu'une telle activité n'est pas tout à fait dénuée de risques. Nombreux sont ceux qui ont perdu un bras, un oeil, ou mieux encore, je vous laisse imaginer. La guerre est finie depuis dix ans, quinze ans, mais elle continue encore à tuer...

Sans compter que notre grand ami Benito Mussolini instaure un grand régime de grande tolérance et qu'il fait grand bonheur à ne pas partager ses idées. La délation va bon train et il faut se méfier de chacune de ses propres paroles qui peuvent constituer un chef d'accusation.

Les ruines de la première guerre mondiale, la mise en place du fascisme dans toute sa splendeur et la crise économique, trois bonnes raisons d'avoir le moral en berne dans cette Italie-là. Pas facile de se construire ni de trouver sa place pour le petit Giacomo, qui peu à peu devient un homme, saison après saison, chacune ayant ses bonheurs et ses difficultés propres.

Un livre fort, sans chichi, qui nous fait affectionner ces villageois et compatir à leurs malheurs, sans jamais jouer dans le pathos, sans oublier un final coup de poing, qui ne saurait vous laisser de marbre, du moins c'est mon avis, pas de saison, c'est-à-dire, pas grand-chose.
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Pureté, simplicité, amour pour la nature. Dans tous ses récits l'on retrouve cette idée directrice qui peut paraître aux yeux du lecteur d'aujourd'hui un manque d'ambition tant notre époque couronne l'esbrouffe.
Est-ce l'explication du peu de notoriété en France de ses livres avant les années 90 ? Il a fallu attendre ces années là pour trouver quelques ouvrages en poche (10/18) et qu'une maison d'édition Lyonnaise publie une bonne partie du reste de son oeuvre (douze livres actuellement au catalogue des Éditions La Fosse aux ours).
Mario Rigoni Stern fait partie de ces écrivains, comme Ramuz en suisse et Giono en France, qui ne déçoit jamais le lecteur même si la "petite musique" a un air de déjà entendu. Ceci explique ma note moyenne car je pense avoir eu plus de plaisir en lisant "Retour sur le Don" ou "Histoire de Tönle".
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Nous sommes en Vénétie dans les Alpes italiennes à la frontière de l'Autriche. Un homme revient dans le village de son enfance, aujourd'hui déserté. En passant devant la maison de Giacomo, son ami d'enfance, il se souvient...

Giacomo est né dans les années 1920. le village est pauvre et la survie s'y organise ; chaque lire est comptée et même les enfants essaient de ramener un peu d'argent.
Comme les montagnes autour du village furent le champ de batailles sanglantes, Giacomo et ses amis vont y faire de la "récupération" de minutions afin de vendre le cuivre et le plomb. En tombant parfois sur les corps des soldats morts. Une tâche que beaucoup d'hommes sont bientôt amenés à faire, parfois en y laissant leur vie.
Quand ils ne sont pas obligés d'émigrer, en France ou plus loin.
Et l'entre-deux guerres en Italie, c'est aussi la montée du fascine et l'arrivée au pouvoir de Mussolini. Les enfants apprennent des chants à la gloire du Duce, s'enrôlent dans les jeunesses fascistes afin d'avoir un quelconque avenir. La propagande est partout.Et les opposants se taisent, ou parlent tout bas. du communisme, de la guerre d'Espagne.
Et puis la seconde guerre arrive...

Les saisons de Giacomo, n'a pas vraiment la forme d'un roman ; ce livre est plus une suite de chroniques qui relatent la vie du village, l'école, les loisirs, les difficultés à trouver l'argent pour se nourrir, et la guerre. Chroniques qui rendent hommage à ces pauvres gens en relatant leur débrouillardise et leur grande générosité.
Ce roman est aussi un document sur la vie à cette époque, et le vocabulaire et les termes employés peuvent être parfois ardus. Mais la lecture n'en est pas moins passionnante...
Lien : http://mumuzbooks.blogspot.f..
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Giacomo, c'est un souvenir et c'est l'éternité. C'est le souvenir d'une enfance passée dans le Trentin-Haut-Adige, et c'est l'éternité d'un garçon devenu personnage de livre. Pour évoquer ses souvenirs de jeunesse, Mario Rigoni Stern a la pudeur de parler d'abord des autres. Ceux qui ont peuplé, justement, son enfance et son adolescence, et ses premières années de jeune homme avant que la guerre mondiale, la seconde, n'emporte, comme l'avait fait la première, tout sur son passage. Mario Rigoni Stern a la pudeur et l'humilité de parler de ceux qui n'avaient pas la même chance que lui, ni dans leurs jeunes années (on comprend, à la lecture, que la famille de Stern ne vivait pas dans le besoin) ni dans la guerre.

Il y a, dans l'écriture de Stern, une simplicité confondante. Aucune recherche stylistique, aucune grandiloquence, rien qui, dans le vocabulaire, cherche à impressionner. Mario Rigoni Stern cherche plutôt à dire et, donc, à trouver le mot juste. Bien que le récit soit simple, c'est entre les lignes que l'auteur glisse finalement les messages les plus forts de son oeuvre. Et ainsi s'oppose, dans ce court récit, la vie immémorielle des hommes et leur folie passagère et destructrice.

S'il n'y avait pas eu les grands événements qui avaient bouleversé L Histoire, Les saisons de Giacomo aurait simplement présenté la vie d'une communauté villageoise du Trentin-Haut-Adige. A quel siècles ces événements s'étaient déroulés, on n'aurait su le dire. Entre les cultures à semer et à récolter, les foires diverses, les messes, la transhumance des bergers et les rigueurs d'hivers alpins, voilà la vie simple telle qu'elle s'est passée durant des siècles. Les enfants vont à l'école, jouent ensemble, s'aiment tendrement parfois, participent aux travaux de leurs parents. Giacomo, comme les autres, n'échappe pas à cette règle ancestrale.

Au-delà de ce que l'on pourrait qualifier d'étude ethnologique, il y a, naturellement, les grands événements de l'Histoire. La première guerre mondiale apparaît, innocemment, au détour de phrases. Dans une clairière où viennent pique-niquer les travailleurs, on songe à ceux qui, dix ou quinze ans auparavant, s'y entretuaient. Dans une forêt, la terre est remplacée par de la balistite, qui remplissaient autrefois les balles des fusils et des obus. La première guerre mondiale a marqué le paysage : terrains aplanis ou défoncés, tranchées creusées et, bien-sûr, restes humains et débris de matériels qui affleurent sur la terre. La première guerre mondiale a pris les hommes du coin, elle les a dévorés, comme elle a dévoré les Autrichiens, les Anglais, les Français, les Croates et les Hongrois. Ce qui marque, dans Les saisons de Giacomo, c'est que la guerre se fait mère nourricière dans les années 20 et 30. Les hommes, dépourvus de travail, s'en vont faire de la récupération : contre quelques centimes ou lires du kilogramme, ils peuvent revendre le fer, le plomb, le cuivre qu'ils trouvent dans les montagnes. Il suffit de se pencher, parfois de creuser un peu. Naturellement, certains obus ne sont pas désamorcés et ils provoquent des explosions, donc de nouvelles morts. Mais cela n'arrête pas les récupérateurs, comme le père de Giacomo. Ce dernier prendra la suite de son père, parcourant ses montagnes puis les Dolomites pour agrémenter le quotidien.

Après la guerre vient, en Italie, le fascisme. Mussolini exalte la grandeur de l'Italie, la renaissance de l'empire : l'Ethiopie et l'Albanie, conquises, en témoignent. le pouvoir lance de grands travaux pour honorer les morts : la nature en sera encore victime. Pour cela, on rase des villages, on profane les cimetières, on engage une population qui n'a plus de travail. Mais les grands discours et les grands travaux du régime ne suffisent pas pour donner un travail stable à tous. Alors certains, comme l'a fait le père de Giacomo, partent : en France, aux Amériques (Etats-Unis, Argentine ...), en Australie (comme la soeur de Giacomo). le fascisme embrigade la jeunesse : les Ballila, les avant-guardistes séduisent à moindre coût une jeunesse qui n'a pas connu la guerre, bien qu'elle en voie les témoignages tous les jours. le Duce enflamme les coeurs lors de ses discours seulement. En dehors de cela, la méfiance gagne les âmes et les idées communistes pénètrent aussi ces sociétés villageoises (cf le père de Giacomo). Les guerres sont annoncées avec grandiloquence et acceptées avec fatalisme.

Ainsi que les saisons, les guerres sont donc cycliques. La vie des hommes et des femmes passent selon ces cycles, sans but à atteindre, sinon celui de passer les hivers. L'écriture de Mario Rigoni Stern respecte ces cycles, puisqu'il ne met en place aucune intrigue, laissant libre cours à ses souvenirs. Les saisons de Giacomo se termine avec l'hiver (russe) mais le souvenir que le livre laisse, lui, évoque un printemps éternel.
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Après la Seconde Guerre mondiale, le narrateur revient dans le petit hameau, perché sur la montagne vénitienne, où il a passé toute son enfance. Ce qu'il y découvre n'est que ruines et désolation. Bien que certaines maisons tiennent encore debout, les habitants, eux, ont bel et bien déserté soit par choix, soit que la Mort les a emportés. Bien que le village de son enfance ait été détruit, un autre a en revanche été reconstruit et y attend ses nouveaux son nouveau maire. Cet ouvrage est une suite de flash-back où le narrateur se souvient de ce qu'à été sa vie en Italie, son pays natal, avant l'arrivée du fascisme.
Merveilleux ouvrage qui dénonce les horreurs de la guerre tout en montrant que, malgré la barbarie des hommes, la vie finit toujours par reprendre le dessus...
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Lorsque Les saisons de Giacomo s'est retrouvé entre mes mains, je me suis sentie hésitante et intimidée. Je n'avais jamais lu de Rigoni Stern et pourtant, je le connaissais déjà si bien ! Allais-je retrouver sa voix teintée de neige alpine qui se mêlait à celle de mon père, ces soirs d'enfance où, avant de nous coucher, mon frère et moi avions le droit à quelques pages narrant les exploits des chasseurs-alpins, la misère infiltrant les chaumières cimbres et le réconfort de la polenta grillée ?

Eh bien, oui. Propulsée dans les montagnes du Sud-Tyrol dans les années 20, je m'installe à la table de Giacomo qui vit avec sa mère, sa soeur et sa grand-mère. Son père est encore en France, travaillant comme manoeuvre dans les mines lorraines. Mon arrivée dans la famille est facilitée par ce singulier narrateur, extérieur mais non omniscient, distant et d'une pudeur rare : jamais, au grand jamais, il ne se permet de pénétrer l'esprit des personnages pour en dévoiler les pensées.

La dure réalité de la vie des montagnes du Haut-Adige fait du petit Giacomo un enfant rusé, plein de ressources et de rêves. Rêves de cinéma, rêves de chevaux qui galopent plus vite que le vent, rêves de glissades enneigées … rêves d'adolescent, blancs et purs, immédiatement éraflés par la griffe du Parti fasciste. Giacomo s'engage dans les Balilla très jeune en échange de l'uniforme, de chaussettes chaudes et surtout, d'une paire de skis avec lesquelles il dévale la colline des Laiten avec ses compagnons insouciants.

C'est alors que la petite histoire de Giacomo et de sa famille croise la grande Histoire. Page après page, saison après saison, à mesure que les hommes et les femmes luttent contre la misère redoublant de malice pour survivre, le Parti national fasciste s'insinue dans la communauté jusqu'à devenir indispensable. Subrepticement, subrepticement, le parti du Duce confisque la plupart des postes jusqu'à devenir le seul employeur dans les montagnes. L'alternative est dangereuse : ceux qui ne souhaitent pas s'encarter se font récupérateurs. Arpentant les montagnes, ces trompe-la-mort fouillent le passé sanglant de la Première Guerre Mondiale, y trouvent cartouches et munitions à revendre, cadavres non identifiés et parfois quelque obus encore tout prêt d'éclater. Plus d'un récupérateur n'a jamais été récupéré. Et la mention « porté disparu » que leur affublent les autorités est une source d'angoisse pour les familles. En grandissant, Giacomo excelle à cette tâche périlleuse mais je comprends aisément que d'aucuns préfèrent un emploi plus calme quoique contrôlé par l'oeil acerbe du Duce.

La plume de Stern est douce, d'une douceur fatale, d'une douceur violente : les saisons passent, les hommes et les femmes se débattent pour survivre, beaucoup meurent et le Parti ne s'en émeut pas. J'ai envie de secouer le narrateur, de lui crier de se réveiller, de l'enjoindre de faire quelque chose. Pourquoi cette neutralité accablante ? Mais je finis par comprendre. La démarche de Stern donne une portée plus vaste à son ouvrage en nous rappelant que la famille de Giacomo peut aussi bien être celle de Nino que de Matteo ou bien de Mario ou Matteo … Et puis, c'est bien l'union de la distance narrative et de l'écriture douce et froide qui fait l'oeuvre. Elle semble imiter l'infiltration insidieuse du fascisme en Italie, mettant au jour les agissements du podestat qui grignotent peu à peu la vie des hommes tout en endormant la moindre révolte. Subrepticement, subrepticement… Je m'y suis laissée prendre. Et je ne sors de cette lecture que plus révoltée que par le discours antifasciste le plus péremptoire.

Je frémis d'autant plus en refermant le livre que je songe que mes ancêtres ont vécu ces ignominies. Les tranches de vies du Haut-Adige sont si proches de celles que me conte parfois ma grand-mère. Il faut dire que les cimbres sont voisins des frioulans et que la polenta, aussi bien que la soupe, ont le même goût dans ces deux régions. Je comprends alors ce cadeau de mon père : je sens entre ces pages la présence d'un grand-père que je n'ai jamais connu et jamais je ne m'en suis sentie aussi proche. À l'heure où j'écris ces lignes je ne suis plus bien sûre du titre : était-ce « Les saisons de Franco » ?

Chronique complète en cliquant sur le lien de mon blog.
Lien : http://grosser-garten.over-b..
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