AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Arimbo


Arimbo
30 septembre 2020
Extraordinaire deuxième partie du 19ème siècle en France sur le plan de la création artistique, qui va voir surgir les peintres impressionnistes, et puis Van Gogh et Cézanne, les musiciens Fauré, Debussy, Ravel, les poètes Baudelaire, Verlaine, Mallarmé, et les deux incroyables "météores", Lautréamont et Rimbaud.
Si pour Lautréamont, c'est la mort prématurée qui interrompit brutalement son histoire poétique, pour Rimbaud, on le sait, et tant de commentaires ont été faits sur ce point, la fin de l'aventure poétique, c'est le retrait volontaire à l'âge de 20 ans. Alors que l'on ne sait quasiment rien de la vie De Lautréamont ni de ses opinions (quelques aphorismes dans son recueil "poésies" et quelques lettres), on sait beaucoup de choses sur le génial Rimbaud, et sans doute trop, malheureusement. Car la légende Rimbaud, faite de l'enfant surdoué et fugueur, de l'amant de Verlaine, de "l'homme aux semelles de vent" qui va tenter l'aventure en Abyssinie et s'y livrer au commerce et au trafic d'armes, tout ce "buzz" autour de sa vie empêche, je trouve, de voir le poète extraordinairement novateur, révolutionnaire, qu'il a été, que tous les grands du 20ème siècle, Breton, Char, Eluard, pour ne citer que ces trois là, admirent et reconnaissent comme leur source d'inspiration.
Et quand je lis le texte consacré au poète dans Wikipedia, je constate avec tristesse que près des deux tiers sont dédiés à ses aventures en Europe et surtout en Afrique. Et aussi, il faut bien le constater le Pléiade des oeuvres complètes comporte aussi plus de deux tiers des pages consacrés à la correspondance de Rimbaud, de ses proches et de ses amis, le plus célèbre étant Verlaine. Si certaines sont touchantes, comme la lettre d'amour passionnée qu'Arthur écrit à Verlaine, celle de sa mère qui se plaint de l'absence de nouvelles de son fils, la plupart de celles écrites après que le poète a quitté la poésie sont d'une grande banalité et ne seraient jamais passées à la postérité si l'auteur n'avait pas été un certain Arthur Rimbaud...j'excepte bien entendu les lettres de l'adolescent à Izambard et Demeny, dont la celébrissime lettre du "voyant" du 15 mai 1871.

Et donc, désolé pour cette longue introduction pour dire que le Rimbaud aventurier du désert qui fascine certains, personnellement n'a pour moi aucun intérêt et que je m'en tiendrais à la critique de l'oeuvre poétique. Comme l'a si bien écrit René Char: "Rimbaud, le poète, cela suffit, cela est infini" ou encore Yves Bonnefoy: "il faut absolument lire Arthur Rimbaud", sous-entendu, le poète. Si je vais essayer de vous faire partager mon amour inconditionnel pour ce poète, je suis conscient, bien entendu, que chacune et chacun peut avoir sa propre vision.

Que l'oeuvre de Rimbaud ait été écrite entre l'âge de 16 et 20 ans, ce n'est pas tant cela qui donne le vertige, mais ce qui stupéfie c'est le chemin prodigieux parcouru en quelques années par cet adolescent qui, d'une poésie inspirée par Hugo et Baudelaire va progressivement créer un nouveau langage poétique, " absolument moderne".

Je fais le choix d'une analyse des poèmes par année:

- 1870, en septembre puis mi-octobre, au décours de ses fugues successives, le jeune Rimbaud (il aura 16 ans le 20 octobre 1870) remet à l'obscur poète Paul Demeny, une série de poèmes, qui resteront 17 ans dans un tiroir, et constituent le "Dossier de Douai". Y figurent les plus faciles, les plus " grand public ", mais pas les plus originaux, ceux qui parlent de la jeunesse amoureuse (Première soirée, Rêvé pour l'hiver, Roman, les Réparties de Nina, A la Musique...), du jeune poète vagabond qui se met en scène dans Ma Bohème, Au Cabaret Vert, La Maline, le Buffet, enfin de la jeunesse confrontée à la mort: le Dormeur du Val, Ophélie. Mais aussi, apparaissent ces thèmes majeurs que sont d'une part, la révolte contre le pouvoir politique ou religieux, le refus d'une religion du péché et de la punition: le Forgeron, le Mal, le Châtiment de Tartuffe, ...et d'autre part, la fusion avec la nature et la nostalgie d'une antiquité célébrant le corps: Sensation, Soleil et Chair...Ces thèmes persisteront tout au long de l'oeuvre jusqu'aux Illuminations.

- 1871, la plupart des poèmes seront conservés par Verlaine. C'est durant cette période que naissent les poèmes les plus extrêmes, souvent très durs, chargés de révolte, de colère, de rage, de description de la laideur. Tout y passe, la laideur physique : Mes petites amoureuses, ou morale, des femmes: Les soeurs de charité, celle des vieillards: Les Assis, ...., la révolte et la colère consécutive à l'épisode de la Commune: l'Orgie Parisienne ou Paris se repeuple, l'Homme Juste (dirigé contre Hugo qui ne s'est pas impliqué auprès de communards) les mains de Jeanne-Marie (hommage aux communardes), Chant de Guerre Parisien, la révolte contre la religion: les Premières Communions, etc...Et à côté de ceux-là, il y a le merveilleux, tendre et érotiquement crypté, Les Chercheuses de poux, l'énigmatique et absolument novateur sonnet Les Voyelles, l'étrange Blason du corps féminin L'étoile a pleuré rose, et enfin la flamboyante métaphore du désir et de l'ivresse de liberté, voués en définitive à l'échec, qu'est le Bateau Ivre, ce prodigieux poème que Rimbaud avait écrit pour impressionner les poètes de Paris, en quelque sorte, comme un "chef-d'oeuvre" d'un compagnon du devoir.
En 1871, il y a aussi l'Album Zutique, une contribution de Verlaine et Rimbaud au groupe de poètes "zutiques" qui s'était formé après l'épisode de la Commune, en réaction à ceux qui étaient rentrés dans le rang, groupe qui voulait conserver une attitude anarchisante. C'est parodique, un peu potache et dirigé contre les poètes que Rimbaud et Verlaine détestaient, mais aussi obscène, tel le Sonnet du trou du Cul ou Les remembrances du vieillard idiot. Ce n'est pas le Rimbaud que j'aime, mais il faut accepter que lui, et Verlaine, n'étaient pas des anges, loin de là.

- 1872, le ton et la forme ont considérablement changé. La véhémence a laissé place à un ton plus interrogatif sur le bien fondé de la révolte: Qu'est-ce pour nous mon coeur, plus désabusé sur sa vie: Chanson de la plus haute tour, Ô saisons ô châteaux, Mémoire, plus philosophique aussi: L'éternité, Âge d'Or, Comédie de la Faim, Comédie de la soif, plus mystérieux: Est elle almée? Jeune Ménage, Michel et Christine.
Rimbaud commence à vraiment employer ce nouveau langage poétique qu'il appelait de ses voeux dans la lettre à Paul Demeny du 15 mai 1871. Et il s'affranchit souvent de la rime dans Bannières de Mai, Jeune Ménage, voire de la régularité de la métrique, dans Bonne Pensée du matin, rompt complètement le rythme de l'alexandrin, les vers de 12 syllabes n'étant plus qu'accessoires au service d'une structure plus fluide, presque de la prose, comme dans Mémoire,cet extraordinaire poème, merveilleuse métaphore filée du cours d'une rivière du matin au soir qui paraphrase la vie, et la place, d'Arthur dans la difficile famille Rimbaud (une première version s'appelant d'ailleurs Famille maudite).

- 1873, c'est Une Saison en Enfer, ce prodigieux texte en "prose de diamant", disait Verlaine, le plus beau texte en prose de la langue française le qualifiait Claudel. C'est la confession spirituelle que rédige Rimbaud sans doute après avoir été blessé par Verlaine début juillet. La confession bouleversante de la crise qu'a traversée le poète durant une saison, Avril à Août. Une crise dont il témoigne, dans un style oral, heurté, souvent halluciné, où plusieurs voix parlent, où souvent le rythme, le son, priment sur le sens. C'est la relation de l'échec de son entreprise prométhéenne, poétique, humaine, amoureuse, qui l'a amenée au bord de la folie, et les questionnements sur ce que pourrait être sa vie, sur le sens du travail, sur la sagesse de l'Orient, etc..., qui se résout par un retour à la vie simple, à "la vérité dans une âme et un corps".

- les derniers poèmes ce sont ceux des Illuminations, (le titre n'est pas de lui, mais de Verlaine) dont on pense maintenant qu'ils furent composés,au moins en partie, après Une Saison en Enfer, en tout cas furent remis à Verlaine en 1875, et publiés en 1886, sans l'accord de Rimbaud qui avait alors, et depuis longtemps, abandonné tout intérêt pour la poésie.
Il constituent la dernière étape, la plus aboutie à mon sens, de l'exploration du nouveau langage poétique que Rimbaud avait théorisé en 1871. Poèmes en prose, ou en vers libres, forme que Rimbaud est le premier à inventer (Marine, Mouvement), ils abordent les multiples registres, formels et thématiques, de ce que peut être une poétique nouvelle. Je reviendrais dans une autre critique sur l'analyse de ces merveilleux, et souvent complexes, poèmes.

Voilà une critique bien longue, me direz-vous. Désolé, je ne pouvais pas faire moins pour un homme qui, s'il voulait changer la vie, a changé la mienne, profondément. Je fais partie de ceux dont René Char disait: " nous sommes quelques-uns à croire, sans preuve, le bonheur possible avec toi".
Commenter  J’apprécie          131



Ont apprécié cette critique (10)voir plus




{* *}