Tout d'abord, un grand merci à Michel Rio pour avoir mis un peu d'ordre dans cette « saga celtique », même si l'auteur, parlant de son travail nous avoue : « Je me suis permis là une scandaleuse appropriation »... Un travail de récolement, plutôt ; tant de textes et récits épars « réunis » en trois volumes : « Merlin », « Morgane », « Arthur » et le chapeau final, « Merlin faiseur de rois »…
On ne commentera jamais assez le style de Michel Rio : précis, efficace, poétique, évocateur… Tellement efficace qu'on se trouve embarqué dès la première page…
Ce deuxième tome de la trilogie s'attache à Morgane, fille D'Ygerne et demi-sœur de Merlin dont elle enfantera un fils, Mordred que Merlin considérera comme un grand danger pour la Table Ronde. Nous sommes au V ème siècle et l'empire romain vient de s'effondrer laissant la place aux querelles locales en grande Bretagne et en Armorica.
Morgane vivra en trois lieux : Carduel, le Val sans Retour, et l'île d'Avalon.
A Carduel, elle sera « éduquée » par Merlin qu'elle dépassera bien vite en connaissance, elle a douze ans…
Au Val sans Retour, elle sera placée en exil par Merlin pour conduire sa grossesse incestueuse, et commencera à mettre en place son univers totalitaire.
Sur l'île d'Avalon, transformée en forteresse imprenable, elle perfectionnera son système de domination sur son peuple. Un système autocratique basé sur la justice pour le petit peuple et une extrême cruauté au moindre faux pas.
Dans les écrits de Michel Rio, Merlin n'est jamais présenté comme un magicien. Il est la Science. Morgane n'est pas présentée comme fée, pas plus que Viviane … La puissance de Morgane n'a rien de surnaturel : élève de Merlin, elle s'appuie sur ses connaissances scientifiques et sur nombre d'expériences sur les humains qui n'ont rien à envier à certaines expériences pratiquées dans les camps de concentration ; dissection, vivisection, drogues… le pouvoir de Morgane est assis sur la peur qu'elle inspire à ses sujets, doublée d'une grande efficacité de guérisseuse : une sorte de sidération devant tant de bonté et de cruauté associée dans ce corps de femme considéré comme un des plus beaux jamais vus jusqu'alors…
Il me tarde de commencer la lecture du troisième volet : « Arthur »…
Commenter  J’apprécie         290
Les chefs de guerre bretons étaient alignés dans la pénombre des murs, combattants vainqueurs ou vaincus, ceux de Logre et de Galles, ceux des terres conquises par Uther ou forcées à l'alliance, rassemblés par l'amour ou la crainte du roi, issus de tous les peuples de l'immense contrée s'étendant au sud du mur d'Hadrien et à nouveau réunie par la force comme elle l'avait été autrefois par les légions de Rome. Ils attendaient dans la grande salle du palais de Carduel, et sur leurs faces, leurs vêtements et leurs armes, les jeux de la lumière et de l'obscurité, de l'indistinct,de l'ébauche et du net aggravaient quelque chose de féroce qui émanait d'eux, comme une violence alourdie d'immobilité et de silence.
Les bêtes sauvages en savent autant, et en cela, vous ne vous distinguez pas d'elles, car la conscience qui a été donnée à l'homme ne vous sert qu'à aggraver, par les calculs de l'intelligence, la férocité naturelle et universelle, ce qui fait que la domination, l'agressivité, l'antagonisme, la ruse, la chasse et le meurtre, qui sont les lois de la nature, deviennent le despotisme, la cruauté, la haine, la trahison, la guerre et le massacre, qui sont les lois de l'esprit au service de la matière.
Morgane est le chaos, dit Arthur à Merlin. Un chaos où s'anéantit toute finalité, où le bâtisseur méticuleux et acharné qui a reçu en héritage ce souci impérieux du but se perd avec délices. Morgane est l'obsession des sens qui tue dans la pensée l'obsession du projet.
Elle est le présent absolu qui ronge le fragile devenir. Son esprit est un ravage que je voudrais haïr, adorant chaque parcelle de sa chair, la moindre ébauche de son mouvement qui est comme une danse de grâce et de mort. Et cependant je vois bien que sa chair n'est que la matière soyeuse et inouïe de son esprit, que les deux sont une seule et même chose et que la séduction de cette enveloppe, à quoi rien dans la nature ne peut se comparer, n'est que l'interprète harmonieux d'une séduction mille fois plus puissant, née du faste calculé d'une intelligence sublime et pervertie.
(quatrième de couverture de l'édition parue chez "Seuil" en 1999)
Je crois comme lui que la terre est ronde, parce que l’horizon est limité mais recule à mesure qu'on veut l’atteindre, et que sur une sphère, même petite, on peut parcourir un chemin qui ne finit jamais.
Devant ses larmes, Morgane se sentit bouleversée à son tour, envahie par une douceur d'amour qu'elle ignorait. Elle se leva et s'avança vers lui. Il se mit à genoux et referma sur ses hanches l'étau de ses bras, appuyant sa tête contre son ventre.
Et toute la nuit, ils eurent l'un de l'autre un plaisir qu'ils n'avaient jamais connu et qu'ils ne devaient plus jamais connaître.
Michel Rio : Leçon d'abîme
Depuis le
café parisien "Le Rostand"
Olivier BARROT présente le livre "Leçon d'abîme" en compagnie de l'auteur
Michel RIO édité chez du Seuil. Gros plan sur la couverture du livre.